vendredi 6 juillet 2018

Ça sert à quoi un énarque ?


Olivier Cabanel

L’ENA, cette vieille institution dont certains n’hésitent pas à rappeler l’anagramme, produit d’étranges résultats, qui ne sont pas à son avantage. 

Le fait que l’ENA soit en effet le mot inversé d’Âne est-il une simple coïncidence ?
Il semble que non, car la légende de la bêtise du quadrupède a du plomb dans l’aile.
On a beaucoup glosé sur le fait que l’âne était têtu, mais en réalité, il est tout simplement indépendant, et ne fera que ce qu’il a envie de faire, toujours porté par une prudence plutôt intelligente, d’autant que des études ont démontré que l’âne, mis face à un obstacle, cherchera par tous les moyens de le contourner pour arriver à ses fins.
Ainsi un âne prisonnier d’un enclos finira par trouver le moyen de rejoindre l’ânesse dont il est amoureux... De plus, ce bel animal est attentif, et lors d’une randonnée, il attendra patiemment que les retardataires l’aient rejoint. lien
Retournons donc à notre ENA qui semble avoir pris un chemin bien différent, pour ne pas dire contraire.
Une vidéo tourne en boucle sur le net, et on peut y entendre un professeur dire : « la France fait deux erreurs, (...) la première c’est de penser que ceux qui ont fait les meilleures études sont les plus intelligents (...) quand j’étais dans mon université j’avais un professeur que j’aimais beaucoup, et qui avait posé la question : pourquoi croyez-vous qu’on va chercher à vous embaucher ?... on s’était dit, mais il est idiot ce gars-là, on cherche à nous embaucher parce qu’on est les meilleurs ! (...) il avait dit, non pas du tout, vous avez suivi des études donc ça prouve que vous n’avez aucun caractère, si vous aviez eu le moindre caractère, vous auriez créé votre entreprise, et donc vous avez montré que vous étiez capable de répéter ce que disent vos professeurs, et c’est qu’on appelle l’intelligence, mais ça n’a rien à voir avec l’intelligence (...) je pense à cet officier d’état-major, Gamelin qui a foutu la France en l’air, et qui était sorti 1er de St Cyr, (...) donc première erreur « intelligence égale étude »... deuxième erreur, c’est de penser que parce que vous avez fait des longues études, vous êtes le plus à même de prendre des décisions, or il n’y a aucun rapport entre les deux... à partir de ces deux erreurs, on a construit un système d’éducation qui fait monter les gars qui ont une mémoire de cheval, et qui n’ont aucun caractère. Ce sont les deux caractéristiques des écoles françaises qui forment des « élites »... lien. Au-delà de cette première approche qui ne manque pas de pertinence, on peut dès lors s’interroger sur les capacités de ceux qui nous gouvernent, ou du moins qui tentent de nous gouverner, en se penchant sur les récentes déclarations d’un grand militaire.
Il s’agit d’un général, le général Soubelet en l’occurrence, qui a déclaré : « notre pays n’est pas gouverné, il est administré par des technocrates  ». lien
... Ces mêmes technocrates sortant des grandes écoles.
Et le gradé de continuer : « l’Etat se fracture de l’intérieur en laissant s’affronter l’administration et la justice. Et tous les français sont à la fois témoins et victimes de ces incohérences et de ces luttes qui occupent à grand frais des magistrats et des fonctionnaires absolument convaincus de leur bon droit. (...) ce ne sont pas les français qui sont au cœur de leurs préoccupations, car tout en ignorant le bon sens, ils poursuivent une logique comptable, sans âme, froide, qui ignore l’essentiel, l’Homme ».
Fermez le ban !
C’est bien de cela qu’il s’agit, avec ce gouvernement, tout comme avec ceux qui l'ont précédé...
Et un ancien premier ministre, Dominique de Villepin en l’occurrence, a enfoncé récemment le clou, attaquant frontalement la politique menée par le chef de l’état : « Emmanuel Macron veut montrer sa verticalité dans un monde connecté, fait de réseaux : son risque c’est apparaitre déconnecté des réseaux, des réalités des français. Or, ce qui fait la capacité d’un grand homme politique, c’est sa capacité à s’adapter. Sa relation aux Français doit changer. Il faut certes de la verticalité, mais plus par la gravité que par l’autorité ».
Puis il tance le chef de l’état sur sa réaction face à la crise de l’Aquarius : « c’était une occasion unique de respecter à la fois nos valeurs et le droit maritime, le droit humanitaire, la Convention de Genève...  » expliquant par la suite que lui aurait accueilli l’Aquarius et aurait pris la parole devant les français pour expliquer ce qui est en jeu derrière l’Aquarius...alors que Macron a fait tout le contraire, allant jusqu’à s’en prendre aux sauveteurs, comme s’il s’agissait de délinquants. lien
En effet, récemment, il a accusé l’ONG Lifeline l’accusant de faire le jeu des passeurs, d’être cyniques. lien
Mais qui est vraiment cynique ?
N’est-ce pas plutôt un chef d’Etat qui dit une chose et fait son contraire ?
Face à une Italie qui a déjà accueilli plus de 700 000 migrants, notre pays n’en a accueilli en un an que 1330 sur les 30 000 promis. lien
La pensée des énarques est souvent pour le moins confuse, si l’on se réfère à ce commentaire de Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, qui a récemment déclaré : « il ne s’agira pas de centres fermés, mais de centres d’où les migrants ne pourront pas sortir  ». lien
Elle a un certain sens de la nuance.
Ensuite, l’énarque manie avec aisance l’enfumage de 1ère catégorie, tel le premier ministre qui a affirmé : « les amendes lors de dépassement des 80 km bénéficieront aux hôpitaux  ». lien
Ces incohérences n’ont pas échappé à quelques universitaires qui ont tenté d’y remédier.
C’est ce qu’a fait Patric Gérard, le directeur de l’institution. Il a tenté d’envoyer ses élèves « en immersion », les lâchant dans la région Alsace Lorraine, afin de tenter de relever les défis proposés par les services administratifs de cette institution.
Il s’agit de « permettre aux élèves d’entrer totalement dans la société numérique...mais aussi de leur faire douter d’un certain nombre de choses  ». lien
Pas de doutes, la pensée des énarques est complexe, et il ne faut plus s’étonner des résultats qu’ils produisent sur nos concitoyens.
Pas étonnant, dès lors, qu’une ancienne énarque, devenue journaliste, Adeline Baldacchino, qui reprend à son compte l’histoire des 3 petits singes, celui qui se couvre les yeux, se bouche les oreilles, et s’empêche de parler, pour illustrer les méthodes de l’institution.
Elle décrit les maximes qui font la réalité des énarques : « pas de vagues, mon vieux, pas de vagues » (PDVMVPDV).
Elle explique dans son essai incisif que « l’énarque, traversé par le terreur de déplaire, a intériorisé l’autocensure devant l’autorité, cherchant au maximum à maquiller une réalité déplaisante dans de beaux rapports bien rédigés, bien ficelés, à défaut d’être réellement efficace ».
Elle rappelle que c’est « le grand Charles » qui a fondé, il y a 70 ans, cette institution dont les dysfonctionnements n’ont cessé, malgré les tentatives infructueuses du fondateur.
Elle en vient logiquement à se poser la question de l’utilité de cette école où « l’on apprend rien », « la culture se réduisant à des fiches, des résumés, des condensés, des « petits pots de la pensée », plus digestes et surtout plus utiles, car à l’ENA, on ne lit pas, ou à la rigueur la presse  » affirme-t-elle. lien
On peut lire la totalité de ses écrits dans son livre « La ferme des énarques », aux éditions Michalon/2015. lien
N’est-ce pas en partie à cause de cette « grande » école que la France se trouve dans la situation actuelle ?
La question mérite d’être posée.
Quand, dans la loi, un énarque décide de remplacer le mot sécurité sociale par protection sociale en dit beaucoup.
Le but de la manœuvre semble d’être de contester la règle qui était de « cotiser selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins ». lien
On peut donc s’attendre clairement à ce que dans le futur, il y ait un système de santé à 2 vitesses, l’un pour les nantis, et l’autre pour les « sans dents » chers à l’ancien chef d’état.
Mais les effets de cette politique d’énarques, qui plombe le pays depuis longtemps, sont de plus en plus visibles.
Dans tous les secteurs, le burnout s’amène en douce : des gendarmes qui sont au bout du rouleau, et qui de fait accumulent les bavures (lien), aux médecins qui se suicident à tour de bras (lien), en passant par la grande majorité des citoyens, la France ne va pas bien, et l’on comprend pourquoi certains n’hésitent pas à prôner la disparition de cette école dont le prestige est plus que galvaudé.

Comme dit mon vieil ami africain : « la bouche de l’homme brûle d’avantage que le feu ».


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