Jacques Sapir
Monsieur le Président de la République,
Vous avez envoyé à tous les Français une lettre sur le « débat
national » que vous avez organisé.
À cette lettre, nous voulons
répondre. Certains répondrons en actes, bien sûr, qu’il s’agisse de
manifestations, et d’autres par écrit.
Monsieur le Président, vous avez, certes, écouté la révolte qui
gronde. Si tel n’avait pas été le cas d’ailleurs, jamais vous n’auriez
écrit votre lettre. Mais, clairement, vous ne l’avez pas entendue. Nous
en voulons preuve le choix des thèmes que vous proposez dans ce « débat
», choix qui écarte soigneusement les « sujets qui fâchent ». Vous
voulez que nous débattions des impôts, de nos dépenses et de l’action
publique, de l’organisation de l’État et des collectivités publiques, de
la transition écologique et enfin de la démocratie et de la
citoyenneté. Mais, vous avez soigneusement omis les thèmes du pouvoir
d’achat, de l’inégalité des richesses, tout comme vous avez omis la
construction européenne, que vous mentionnez par ailleurs. Vous affirmez
dans votre lettre « Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle
». Vous feignez d’ignorer, que ce soit à dessein ou non, que votre
élection ne s’est nullement faite sur un « projet ». Il est patent que
vous n’avez été élu que parce que l’autre candidate, Mme Marine le Pen,
était rejetée. Cette ambiguïté était manifeste dans votre élection.
Votre tort fut de ne pas la reconnaître. Jamais les Français ne vous ont
donné un mandat pour mener les réformes auxquelles vous vous êtes
livré. La révolte actuelle est le produit direct, et logique, de cette
situation.
Monsieur le Président, votre action, depuis maintenant près de deux
ans, a été une suite d’attaques contre les plus modestes, contre les
travailleurs. Attaques donc contre les services publics qui sont
d’autant plus indispensables que le revenu est faible mais aussi contre
le droit du travail. Attaques encore dont ont résulté une suite de
renforcements des inégalités, ce que l’INSEE reconnaît. Enfin, par vos
déclarations, vous avez fait subir une suite d’humiliation aux humbles
et aux plus pauvres, vous avez donné des démonstrations constantes de
votre mépris. Les formes, parfois violentes, de la révolte actuelle en
découlent. Quand une situation devient insupportable, on ne la supporte
plus. Craignez la colère du peuple, Monsieur le Président. Ce qu’elle
exprime dans le refus de votre personne, dans la demande de votre départ
qui monte dans les « cahiers de doléances », ce n’est pas simplement le
refus de votre politique, c’est le refus des humiliations.
Votre politique n’est d’ailleurs que la traduction, dans le contexte
particulier de la France, des recommandations de l’Union européenne.
Quand le mot souveraineté sort de votre bouche, ce n’est que pour parler
de l’Union européenne et jamais de la France. En voulant substituer un
pouvoir technocratique à la souveraineté du peuple, vous tournez le dos
aux fondements mêmes de notre République que vous prétendez par ailleurs
défendre. Comme vos prédécesseurs, vous pensez que le tour de
passe-passe du Traité de Lisbonne, annulant le référendum de 2005,
constitue un acquis. C’est une dangereuse présomption. Craignez de finir
comme ont fini tous ceux qui ont ignoré ou méprisé la souveraineté du
peuple de France.
Monsieur le Président, vous entendez poursuivre votre néfaste chemin.
Après vous être attaqué au droit du travail, à la SNCF, ce sont à des
attaques contre le régime des retraites et la sécurité sociale que vos
experts se préparent. Ces attaques, si elles étaient conduites à leur
terme, aggraveraient la situation des plus modestes, empireraient la
pauvreté qui monte dans notre pays alors même que jamais ce dernier n’a
été aussi riche. S’il vous restait une once de sens commun, un atome
d’honnêteté, ces questions auraient dû faire partie du « débat national
». Devant l’ampleur du mouvement que la France connaît, vous auriez dû
reconnaître qu’une telle remise en cause de vos convictions était
inévitable. Las, il n’en sera évidemment rien.
Nous constatons tous que le problème ne s’arrête pas à votre
politique ; c’est votre comportement et votre personne qui sont
aujourd’hui la cause des troubles violents que nous connaissons. Et,
cette violence, elle d’abord et avant tout, subie par le peuple, qui ne
compte plus aujourd’hui ses blessés, ses estropiés, et demain peut-être
ses morts. De cela, il vous faudra un jour répondre.
Monsieur le Président, oui, votre comportement pose problème. Nous
l’avons vu avec vos déclarations. Ce mélange d’arrogance et de
suffisance, de mépris teinté de condescendance, est pour beaucoup dans
les événements dramatiques que nous avons connus depuis le mois de
novembre. Nous le voyons encore avec le texte de votre lettre. Elle
mélange la démagogie avec une volonté évidente de confusion. Vous
multipliez les questions secondaires afin de mieux faire passer des
questions primordiales dont certaines ne sont même pas formulées. Quel
dédain coule de cette lettre où les mots de « pouvoir d’achat » ne
figurent pas alors qu’ils sont pourtant la cause première de la révolte
populaire. Les études que vous avez faites ne vous donneront jamais le
droit d’insulter les gens. Plus profondément, vous affectez de croire
que l’élection vous a donné en propriété un pouvoir dont, à dire le
vrai, vous n’êtes que le délégataire. Vous êtes aujourd’hui devant un
choix qui est clair : revenir à la raison ou entraîner le pays avec vous
dans le chaos.
Monsieur le Président, nous vous écrivons une lettre, que vous lirez
peut-être, si vous avez le temps. Ainsi commence une célèbre chanson de
Boris Vian, entrée dans la culture populaire. Mais, ce n’est pas nous
qui entendons déserter notre pays. Ce sont vos amis et vous qui avez
fait sécession avec le peuple de France. Cette sécession est
potentiellement grosse de malheurs pour tous. N’en doutez pas,
l’histoire est tragique. Elle l’est tout particulièrement pour les
dirigeants qui tournent le dos avec mépris et constance au peuple.
Assurément, vous avez, mais pour combien de temps encore, la force
des armes. Souvenez vous pourtant de cette phrase de Victor Hugo : LA
DERNIÈRE RAISON DES ROIS, LE BOULET. LA DERNIÈRE RAISON DES PEUPLES, LE
PAVÉ.
Signataires :
Bruno Belllegarde
Leila Charfadi
Denis Collin
Jacques Cotta
Michèle Dessenne
Danièle Goussot
Eric Julliot
Marie Annick Le Bars
Marc Lebas,
Bertrand Renouvin,
Claude Rochet
Jacques Sapir
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