Bernard Gensane
Le titre est de moi. Ce qui suit est de Philippe Arnaud, bien sûr, champion de France des téléspectateurs du service public.
Les
journaux télévisés de France 3 de 19 h 30 et de France 2 de 20 h 25
mars 2020 annonçaient que le gouvernement allait adopter des ordonnances
qui "assouplissent" le droit du travail. Les salariés pourront travailler 60 heures sur
une semaine au lieu de 48 heures aujourd'hui. Et, sur une période
consécutive de 12 semaines, ils pourront travailler 48 heures au lieu de
44 heures. Le travail du dimanche pourra être assoupli pour travailler 7 jours sur 7. Des règles qui pourraient s'appliquer jusqu'en décembre prochain. [Et un bandeau portant "la semaine des 60 heures" défilait sur l'écran].
Remarque 1.
Le verbe assouplir est révélateur par ses connotations positives,
c'est-à-dire par ce à quoi il s'oppose, par ce à quoi il est contraire.
Il est révélateur par ses antonymes, ses opposés. "Assouplir", c'est
rendre plus souple. Or, quels sont les contraires de souple ? Ce sont
les adjectifs buté, cassant, dur, empesé, gourd, inflexible,
intraitable, intransigeant, lourd, rigide, sévère, strict...
C'est-à-dire
des termes à connotation négative, qu'ils soient pris au sens propre
(physique) ou au sens figuré (moral). On peut donc en déduire que si on
"assouplit" le droit du travail ce droit est quelque chose de buté,
cassant, dur, empesé, gourd, inflexible, intraitable, intransigeant,
lourd, rigide, sévère, strict... donc, de souverainement antipathique, désagréable, gênant, anti-naturel, etc.
Remarque 2.
Il est à cet égard révélateur - et, au passage scandaleux - que le
droit (et, spécialement le droit du travail) soit présenté d'une façon
aussi négative alors que, selon la belle formule de Lacordaire "entre le
fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le
serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". En
effet, depuis le XIXe siècle, tout le droit du travail a été élaboré
pour encadrer et limiter les pouvoirs discrétionnaires du patron en
matière de salaire ou de condition de travail. Si, au journal télévisé,
on présente ainsi le droit c'est donc qu'implicitement, au journal télévisé, on se place du point de vue patronal...
Remarque 3.
Le journal ajoute que les syndicats sont inquiets et l'on donne la
parole à une porte-parole de la CFDT, qui dit qu'il y a des risques
d'épuisement et d'accident de travail... mais le tout en quelques
secondes, après un panoramique sur l'immeuble de la CGT et un autre sur
celui de F.O. Ce que l'on peut noter, au passage, c'est que la
communication de la télévision est pour ainsi dire uniquement
gouvernementale. On entend très peu les syndicats, les partis de gauche,
les journaux de gauche, les intellectuels de gauche, les associations
de gauche.
Remarque 4.
Il est dit, dans le reportage, que les mesures (des 60 heures, du
travail le dimanche...) pourraient s'appliquer jusqu'en décembre
prochain. Or, décembre, c'est bien au-delà des dates de fin probable de
l'épidémie et du confinement, prévus en mai ou en juin. [Déjà, le
journal signale que la situation sanitaire a arrêté de se dégrader en
Italie, pays le plus touché au monde].
Il
est néanmoins possible que le gouvernement affirme qu'en décembre le
pays n'aura toujours pas remonté la pente et qu'il faudra rattraper les
retards de production. Mais pourquoi, sur sa lancée, ne prolongerait-il
pas la période de rattrapage jusqu'à la mi-2021 ? Jusqu'à décembre 2021 ?
Jusqu'à l'été 2022 ? Et pourquoi, tant qu'il y serait, n'en
reviendrait-il pas en catimini aux 39 heures, voire aux 40 heures ?
Après tout, il pourrait prétendre que 40 heures, c'est moins que 60
heures et pourrait même présenter cette régression subreptice comme un
cadeau ! Même chose pour le travail du dimanche : une fois qu'on aura
travaillé tous les dimanches jusqu'à la Saint-Sylvestre 2020, pourquoi
ne pas étendre le travail du dimanche à tous les corps de métier ?
Notamment à ceux auxquels les syndicats s'opposaient le plus fermement ?
Remarque 5.
Ces questions posent le problème des faits accomplis et des habitudes
acquises. Une fois que l'on a fait passer dans la réalité un certain
nombre de choses, il est très difficile de revenir à la situation
antérieure. Cela se vérifie dans les deux sens : il y a 76 ans (depuis
la Libération) que la droite, les riches et le patronat ne cessent de
miner, saboter, détruire, annihiler les conquêtes sociales du C.N.R. Et
ils se disent peut-être que l'actuelle pandémie constitue une occasion
rêvée (une "divine surprise") pour en finir avec les régimes honnis
existant depuis 1944. Bernard Gensane
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