dimanche 27 juin 2021

Sus aux chômeurs !

Bernard Gensane

Victoire pour les travailleurs et les chômeurs : le Conseil d’État vient de suspendre la réforme de l’assurance chômage. 

Mais le gouvernement du banquier éborgneur ne s'avoue pas vaincu. Contrôlés, menacés de radiation, bloqués dans leur démarches de formation, les chômeurs font déjà l’objet d’une pression toujours plus grande. Témoignages.

Article de Rachel Knaebel pour Bastamag.

Le 10 juin, le Conseil d’État a examiné la légalité de la réforme de l’assurance chômage, suite à sa saisie par les syndicats CGT, Solidaires et FSU. Cette réforme très contestée a été repoussée à plusieurs reprises depuis le début de la pandémie. Sauf si le Conseil d’État la retoque, elle devrait entrer en vigueur 1er juillet, avec pour conséquence d’importantes baisses d’indemnités pour une grande partie des chômeurs, en particulier ceux qui ont enchaîné les contrats précaires. La nouvelle manière de calculer le salaire journalier de référence (l’indemnité que perçoivent les chômeurs sur la base de leurs anciens emplois) entraînera une baisse des allocations pour près de la moitié des futurs inscrits à Pôle emploi.

Les chômeurs font déjà l’expérience de contrôles accrus de Pôle emploi, avec menace de radiation à la clé. « Fin mai, je reçois un mail sur mon espace en ligne Pôle emploi me disant que je fais l’objet d’un contrôle renforcé et que j’ai une quinzaine de jours pour répondre à un questionnaire sinon je suis radié », témoigne Jean*. En tant que cadre approchant de la cinquantaine, son âge est déjà un frein dans ses démarches pour trouver un poste. Jean est aujourd’hui au RSA. Auparavant, il avait travaillé plus de dix ans en recherche et développement dans une multinationale, avant de se faire licencier. « À la suite de cela, j’ai été près de cinq ans au chômage entrecoupé par des périodes en tant que professeur en collège et de formation payée par Pôle emploi. » Puis il s’est retrouvé aux minima sociaux.

« J’avais encore, à cette période, un suivi plus ou moins régulier avec une conseillère de Pôle emploi. À la fin d’un contrat d’enseignant, j’ai réussi à intégrer un grand organisme de recherche fondamentale publique. J’y ai cumulé plusieurs CDD pendant plus de trois ans. Mon dernier contrat s’est terminé fin 2019, détaille Jean. Je me suis à nouveau inscrit comme demandeur d’emploi. Mais la pandémie est arrivée et le premier confinement avec. Le marché de l’emploi s’est alors effondré de manière spectaculaire. J’ai eu un contact par mail avec ma nouvelle conseillère en octobre 2020. Elle devait me recontacter en février 2021, ce qui n’a jamais eu lieu. Je continuais toujours à chercher du boulot. »

« Après plus d’un an de pandémie, de marché du travail en berne, on demande aux gens de justifier de leur recherche »

Jusqu’à ce qu’il reçoive cette annonce de contrôle fin mai. Sans que personne ne lui ait jamais expliqué, assure-t-il, ce qu’il est supposé apporter comme éléments pour un tel contrôle. « Lorsque vous avez rempli votre questionnaire de contrôle et que vous l’avez envoyé, vous n’avez plus qu’à attendre. Votre conseiller ne sait pas quand vous allez recevoir une réponse à cette enquête. Après plus d’un an de pandémie, de marché du travail en berne, on demande aux gens de justifier de leur recherche d’une aiguille dans une botte de foin », dénonce Jean.

Pour Yann*, les contrôles sont devenus récurrents. L’homme est au chômage depuis plusieurs années, « à la suite d’une perte d’emploi, et des soucis de santé ». Il vit dans un village isolé. « Je viens de subir mon troisième contrôle en moins de deux ans », nous écrit-il. Résultat de cette nouvelle vérification ? « Je suis radié de Pôle emploi et on m’a supprimé mes allocations RSA. » Les contrôles des allocataires de minima sociaux se sont également durcis depuis quelques années. Et ceuxde Pôle emploi peuvent aussi avoir des effets sur l’allocation du RSA (le montant pour une personne seule est de 565 euros). « On m’avait déjà supprimé mon RSA à la suite d’un contrôle il y a plusieurs années, je n’ai eu plus aucun revenu pendant dix mois. Depuis, je faisais mes recherches d’emploi, j’ai toujours effectué toutes les démarches que l’on me demandait de faire, je me suis plié aux multiples contrôles, de Pôle emploi et du conseil général pour le RSA. J’essaie en même temps d’économiser de l’argent pour passer le permis de conduire, mais avec les confinements et les couvre-feux, il a été difficile pour moi de me déplacer en bus. » Après sa radiation en avril, il s’est vu supprimer 80 % de son RSA en mai. « J’ai été obligé de retourné vivre chez mes parents, qui sont âgés. »

Pôle emploi est plus prompt à radier qu’à donner des rendez-vous de recherche d’emploi aux nouveaux inscrits, accuse aussi Jérémy, qui a travaillé pendant six ans comme enseignant vacataire pour l’Éducation nationale. Il est titulaire d’un master. Au chômage depuis avril, il a reçu son indemnité en temps et en heure, même si personne n’a pu lui expliquer comment elle avait été calculée. Il a cependant dû attendre deux mois pour avoir un premier rendez-vous avec une conseillère. Alors qu’il a engagé dès son inscription au chômage une formation pour devenir comptable, il s’est retrouvé bloqué. « Je ne sais pas si je peux poursuivre ma formation de comptable ou si cela va faire que Pôle emploi me radie, considérant que je ne suis plus en recherche d’emploi. »

« Une catastrophe pour tous les saisonniers »

Maxime, lui, est travailleur saisonnier dans le tourisme depuis des années. Comme il passe d’un CDD précaire à un autre, il reste inscrit à Pôle emploi. « Tant qu’on est pas en CDI, on est considéré comme sans emploi, donc on reste inscrit et on doit s’actualiser chaque mois. Quand j’arrive à la fin d’un contrat, mes droits au chômage sont recalculés. Ma situation roule bien depuis des années, j’ai des contrats réguliers, mêle si j’alterne les saisons et les périodes non travaillées. J’ai donc peu de contact avec Pôle emploi. » Son dernier contrat s’est achevé le 25 avril. « En général, quand je reçois une convocation après un contrat, c’est avec mon agence locale. Là, je reçois une convocation à un entretien intitulé "Rendez-vous d’accompagnement : toutes les clefs pour mon emploi durable". Mais la date du rendez-vous est avant la fin de mon contrat. » Maxime ne peut donc pas s’y rendre, puisqu’il travaille.

« Quand j’ai appelé le numéro indiqué, la personne ne connaissait pas du tout mon dossier. C’était en fait une entreprise privée, Solérys, qui m’a répondu. » L’entreprise est en effet prestataire de Pôle emploi. « La personne m’a dit que ne pas venir à la convocation allait donner lieu à un avertissement, et que je devais régler la situation directement auprès de mon conseiller Pôle emploi. Or, au bout de deux avertissements, vous risquez la radiation », rappelle Maxime. Il a finalement réussi à faire supprimer l’avertissement. Désormais, il pense à quitter le travail saisonnier. 

« Avec cette réforme de l’assurance chômage, cela va être très dur, une catastrophe pour tous les saisonniers. C’est très angoissant. Toute une population va s’appauvrir. Moi, je vais arrêter. »

Bernard Gensane

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