Antoine Chantin
58 jours après sa défaite aux législatives, le Président entend déterminer en détails la nature du futur gouvernement, qui devra s’inscrire dans la continuité du macronisme. Le coup de force bonapartiste se poursuit, non sans difficultés.
Cinquante-huit jours après les résultats du second tour des élections législatives, les noms des successeurs pressentis ou auto-proclamés à la succession de Gabriel Attal fleurissent à chaque nouvelle journée. Lundi, c’était autour de l’actuel président du CESE, Thierry Beaudet que L’Élysée semblait avoir tranché. Un proche conseiller d’Emmanuel Macron affirmait auprès de L’opinion « c’est lui ». Mais aussi vite qu’elle était apparue, l’option Beaudet s’est dégonflée, laissant Macron avec les deux principales options qui étaient jusque-là présentées : un gouvernement d’extrême-centre droit dirigé par le LR Xavier Bertrand, ou un gouvernement d’extrême-centre « gauche », conduit par l’ancien socialiste Bernard Cazeneuve.
Alors que les négociations s’éternisent, Macron rejette la faute du blocage institutionnel sur les oppositions. Une manière de tenter d’imposer à LR et au PS un soutien qui permette au futur gouvernement ne tombe pas dans la foulée de sa nomination. En réalité, la durée du processus est l’illustration d’une équation complexe pour Macron, qui doit tenir compte de la tripartition de l’Assemblée tout en respectant les conditions drastiques imposées par Macron.
De ce point de vue, le président de la République ne s’en est jamais caché : il compte bien dicter, en grande partie, la politique du futur locataire de Matignon. Dès le 10 juillet, dans une première tentative de coup de force, il profitait d’une lettre publiée dans la presse quotidienne régionale pour fixer les conditions du prochain gouvernement. Il appelait alors à un accord de « l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française » pour « bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle ».
Ce discours a permis à Macron de justifier de ne pas nommer Lucie Castets, procédant ainsi à un coup de force anti-démocratique. Mais le chef de l’État va désormais encore plus loin, et entend déterminer de façon étroite le profil non seulement du 1er ministre, mais du gouvernement. Auprès de Bernard Cazeneuve, Macron aurait ainsi expliqué vouloir choisir pas moins de quatre ministres, tous aux postes les plus sensibles du gouvernement : les Affaires étrangères, les Armées, l’Intérieur et l’Économie. Pour Thierry Beaudet, perçu comme une solution pendant quelques temps, le chef de l’État avait même choisi lui-même un éventuel directeur de cabinet.
Une figure du camp présidentiel ne s’en cache pas auprès du Parisien, « [Macron] veut un gouvernement à sa main, avec un budget à sa main. » Dans ce cadre, pas question par exemple de toucher aux principales attaques sociales mises en place par le chef de l’État depuis 2017, au premier rang desquelles la réforme des retraites. Une position qu’il a notamment clairement exposé à Bernard Cazeneuve, qui n’y semble pas très opposé.
En d’autres termes, à l’instar du héros de Visconti dans Le Guépard, pour Macron il faut que tout change pour que rien ne change. Un credo que l’entourage du président de la République a synthétisé dans un néologisme en vogue depuis quelques jours à l’Élysée : la « coalitation », soit une coalition aux faux airs de cohabitation. Une logique politique profondément cynique, qui marque un saut bonapartiste par lequel Macron s’accroche au pouvoir malgré sa défaite aux européennes et aux législatives, s’appuyant pour cela sur les larges prérogatives que lui confère la Vème République.
Alors que l’option préférée de Macron, celle du « technicien », a été jetée aux oubliettes faute d’appui dans son propre camp, le futur Premier ministre, quel que soit le bord politique, devra composer avec les exigences imposées par Macron. Un nouveau gouvernement qui n’aura d’autre choix que d’appliquer la même politique austéritaire que ses prédécesseurs afin de tenir les objectifs de déficit imposés tant par Bercy que par l’Union européenne, alors que Bruno Lemaire vient d’annoncer un accroissement du déficit.
Ainsi, face au coup de force bonapartiste permanent de Marcon qui cherche coûte que coûte à imposer sa politique au service des plus puissants, la seule solution viendra de l’unité des travailleurs et de leur mobilisation sur le terrain de la lutte de classes. Une mobilisation qui doit porter des mesures sociales d’urgence face à la crise, mais également s’affronter directement au régime. En ce sens, comme nous l’écrivions dans notre dernier éditorial, « c’est aux travailleurs de prendre les choses en main et d’imposer un tournant radical dans les revendications et les actions des organisations politiques et syndicales sensées les représenter. La conclusion des derniers mois est claire : tant qu’il existe un Président doté de pouvoirs illimités, qui peut imposer ses volontés à la majorité de la population, tant qu’il existe une chambre comme le Sénat, qui contrôle ce que fait l’Assemblée et durcit systématiquement ses lois les plus réactionnaires, il sera impossible d’arracher la plus minimale de nos revendications, que ce soit avec un gouvernement de gauche ou autre ».
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