Joshua Cohn et Pierre Michel
Inédite, la procédure de destitution de Macron initiée par LFI est loin d'offrir une perspective sérieuse pour dégager le Président. Contre les illusions parlementaristes qui participent à légitimer la Vème République, il y a urgence à bâtir une autre stratégie.
Alors que le président de la République tente, depuis les résultats des législatives, de garder la main sur la vie politique française et fait comme si les urnes ne lui avaient pas imposé deux défaites consécutives aux européennes et aux législatives, les députés de la France insoumise ont initié une procédure de destitution du président de la République sur la base de l’article 68 de la Constitution. Examinée ce mardi matin, par le Bureau de l’Assemblée nationale, la procédure a été approuvée. Il s’agit d’une première dans l’histoire de la Vème République.
Si cette décision inédite témoigne de l’affaiblissement de la figure présidentielle et de la crise du régime, face à une Assemblée plus morcelée que jamais et sans majorité, elle devrait se heurter rapidement à l’ensemble des mécanismes que prévoit la Constitution pour empêcher la procédure de parvenir à son terme. De la Commission des lois, bastion des macronistes, au Parlement, où le RN pourrait se refuser à la voter, en passant par le Sénat dominé par la droite, les nombreux obstacles constitutionnels qui se dressent sur le chemin du texte témoignent de l’impuissance de la stratégie défendue par les insoumis et de la nécessité d’une riposte par « en bas » pour réellement dégager Macron.
Une décision inédite dans l’histoire de la Vème République
L’article 68, qui règle la procédure de destitution du président en exercice, constitue le seul moyen formalisé par la Constitution par lequel le président peut être démis de cette fonction. Symptôme du caractère présidentialiste et de autoritaire la Vème République, le président est considéré comme politiquement irresponsable et la procédure ne sanctionne, selon la formulation de l’article 68, que les cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Une définition volontairement ambiguë.
Dans le projet de résolution, les députés de LFI jugent que le refus présidentiel de nommer Lucie Castets Première ministre constitue un « abus de pouvoir » flagrant et une utilisation anti-démocratique de l’article 8. Cet article accorde en effet au président le pouvoir discrétionnaire de nommer le Premier ministre qui, selon les usages parlementaires, doit être issu du groupe arrivé en tête lors des élections.
Après quelques jours de flou, le PS a choisi de soutenir la poursuite de la procédure au Bureau de l’Assemblée, tout en annonçant dans un communiqué s’opposer « unanimement à cette proposition de destitution lors de son examen en commission des lois puis en séance publique ». Approuvée ce mardi matin par douze voix contre dix, le franchissement de cette première étape découle de la configuration inédite de la nouvelle Assemblée, qui a permis au NFP d’obtenir une majorité au Bureau, en même temps qu’il exprime la profondeur de la crise politique.
Jamais, en effet, une procédure de destitution n’avait été approuvée par le Bureau de l’Assemblée. En 2016, les Républicains avaient enclenché l’article 68 contre François Hollande suite à la parution de l’ouvrage de Gérard Davet et Fabrice Lhomme Un président ne devrait pas dire ça..., considérant que le président avait fourni aux deux journalistes des informations classées « secret défense ». La proposition avait été facilement rejetée. Le macronisme s’est d’ailleurs dit scandalisé par ce vote sans précédent, Gabriel Attal évoquant mardi « une déclaration de guerre à nos institutions » exprimant « la volonté de déstabiliser non pas un homme mais la République ».
En ciblant le pilier de la Vème République qu’est le président, la procédure de destitution a de fait le mérite de dénoncer le coup bonapartiste de Macron après les législatives et de mettre en exergue certains des aspects les plus autoritaires du régime. Cependant, malgré la fragilité nouvelle de l’exécutif, les limites profondes du mécanisme privilégié par LFI pour dégager Macron sont évidentes. Si Mélenchon s’appuie bien sur les brèches ouvertes par la nouvelle configuration de l’Assemblée issue des législatives, il exagère leur importance. De la sorte, LFI participe non seulement à donner l’illusion qu’il serait possible de battre Macron à l’aide des dispositions de la Constitution elle-même, malgré le vaste arsenal anti-démocratique qu’elle met à disposition du pouvoir, mais sème en outre des illusions sur le régime de la Vème République.
Quel avenir pour la procédure de destitution de Macron ?
La validation de la proposition de destitution par le Bureau de l’Assemblée nationale n’est que la première étape d’une longue procédure qu’il est quasiment impossible de mener à son terme. Avant d’être soumise au vote, la résolution doit préalablement être approuvée par une autre commission, la Commission des lois [1]. Cette étape pourrait bien sonner prématurément le glas de la procédure de destitution puisque le NFP y est minoritaire et que le président macroniste de la Commission, Florent Boudié, pourrait purement et simplement ne pas inscrire la proposition à l’ordre du jour de la Commission comme l’y autorise explicitement le Conseil constitutionnel [2].
Si le texte passait, d’une façon ou d’une autre, la première herse de la Commission des lois, la proposition devrait encore être adoptée à la majorité simple par les députés, les sénateurs puis par l’ensemble des parlementaires réunis en Haute Cour à la majorité des deux tiers. Ces exigences enterreront sans l’ombre d’un doute la procédure de destitution, y compris dans les scénarios les plus favorables. Du côté de l’Assemblée, il est probable qu’il n’existe pas de majorité simple pour la faire passer. Ainsi, Marine Le Pen l’a qualifiée sur X d’« enfumage » et de « sinistre comédie », laissant clairement entendre que les députés RN n’appuieraient pas le projet. Surtout, si l’on ne peut rien exclure a priori dans une Assemblée morcelée et volatile, le Sénat, contrôlé par la droite LR, constitue pour le coup un obstacle indépassable.
Malgré ces limites, LFI multiplie les sorties triomphalistes, laissant entendre que la procédure pourrait permettre de dégager Macron. Une politique qui vise en même temps à se positionner comme la seule opposition conséquente à Macron et à démasquer le reste des oppositions, du NFP au RN, en les mettant face à leurs « responsabilités ». Comme le soulignait Jean-Luc Mélenchon mardi dans une courte vidéo : « Le président de la République a posé un acte absolument contre-républicain : avoir refusé le résultat de l’élection. Alors ici et là des gens en conviennent mais ensuite ils ne font plus rien qui soit à la hauteur de l’événement dont ils ont pourtant pris conscience ».
Cependant, LFI ne se contente pas d’agiter cette mesure, elle la présente comme le seul moyen d’affronter Macron, tout en appelant à soutenir la procédure par des manifestations « citoyennes » le samedi. Non seulement cette logique est clairement impuissante pour toutes les raisons évoquées plus haut, mais elle va de pair avec une série de démonstration de « fidélité » aux institutions, avec l’objectif explicite de se réinscrire pleinement dans l’axe républicain.
Lors de la manifestation du 7 septembre dernier, le leader de la France insoumise expliquait ainsi : « Si vous nous dites que ça ne sert à rien d’utiliser les institutions, ce que la loi permet pour atteindre un objectif, si vous nous dites que ça ne sert à rien qu’il y ait un article 68 de la Constitution, dites-nous quel autre article nous pouvons utiliser pour dire au monarque de s’en aller (…). Nous respectons les formes nous, parce que la forme c’est du fond qui remonte à la surface. Il faut respecter la forme qui est donnée à la démocratie (…). Sans cette forme nous serions une force brute, aveugle, incapable de se diriger. C’est parce que nous mettons en avant l’article 68 de la Constitution que nous sommes légitimes de lui dire “va-t-en”, et nous attendons de voir qui va lui dire de rester ».
Un discours qui démontre combien la France insoumise inscrit sa stratégie politique dans le cadre étroit des institutions, sans jamais chercher à les remettre en cause. Dans le même sens, ces dernières semaines, LFI dénonce le coup de force de Macron en défendant la nécessité d’y répondre sur le seul terrain des urnes. Dans une note de blog du 18 août, Jean-Luc Mélenchon l’admet : « Face à une agression contre-républicaine, que faut-il faire ? Pour nous qui prônons la “révolution par les urnes” comme stratégie politique, la réponse reste simple. C’est par les élections et les moyens que donne la loi que nous agissons politiquement ».
Accepter les règles du jeu ou renverser la table ?
À l’heure où le NFP n’a quasiment plus aucune chance de former un gouvernement, où une certaine désillusion prime au sein du peuple de gauche après la campagne électorale, LFI veille à ce que la forte politisation qui est née de la crise politique ne s’exprime que dans le cadre des institutions actuelles. Dans le même temps, au moment où la Vème République mobilise de nouvelles ressources bonapartistes pour pallier l’instabilité politique, la France insoumise exonère de toute critique le régime et fait croire qu’il offrirait des outils pour combattre la « dérive autoritaire » de Macron.
Pourtant, c’est grâce à ces outils anti-démocratiques que Macron a pu ignorer le résultat des élections, nommer un Premier ministre dont la formation politique est ultra-minoritaire à l’Assemblée et qu’il sera facile d’enterrer la procédure de destitution. Alors que le gouvernement extrêmement fragile de Barnier prépare un budget ultra-austéritaire, il faut tirer les bilans du NFP, comme un certain nombre de manifestants commençaient à le faire le 7 septembre dernier. Cela implique de partir du constat que c’est par les méthodes de la lutte de classes, par le rapport de forces, qu’il sera possible de faire reculer Macron, et de reconnaître l’impasse des procédures qui tentent de s’arranger avec le régime.
Si la bataille des retraites n’a pas permis de faire reculer Macron du fait de l’absence de volonté des directions syndicales d’organiser une véritable grève générale, elle a montré que la force pour un tel mouvement existait partout dans le pays. C’est cela qu’il faut construire !
Une autre leçon est cependant centrale : du 49.3 des retraites à la nomination de Barnier, ce sont les mêmes institutions de la Vème République qui ont permis de défendre la politique des classes dominantes. S’il faut dégager Macron, il faut aussi remettre en cause le régime dans son ensemble, sans quoi il servira tout aussi bien à un autre « autocrate ». Sur ce plan aussi, LFI montre les limites de sa stratégie. Au moment où il serait possible d’aller au-delà de la colère contre Macron, LFI se garde même d’agiter la perspective, déjà limitée, de la VIème République.
Comme Mélenchon l’expliquait lui-même lors des AMFIS, « moi je suis contre la constitution de la Ve République mais comme je suis républicain, j’évolue et je fais de la politique dans le cadre qui nous est donné. On dit : alors vous vous êtes contre la Ve République et vous prenez un article de la Ve République pour combattre le président de la République. Oui, je suis contre le capitalisme et je vais à Monoprix, voilà et je suis écolo, je monte dans des bagnoles qui fonctionnent à l’essence voilà. […] Ça n’a pas de sens, nous utilisons le cadre dans lequel nous sommes, c’est nous qui faisons vivre la démocratie ». Un argument totalement fallacieux, qui compare les contraintes quotidiennes imposées par le capitalisme et le choix politique de se tenir dans le cadre du régime et de ne pas lutter pour le renverser.
Loin d’être nouvelle [3] cette perspective exclusivement institutionnelle légitime le régime et enferme la colère qui peut exister à gauche dans les limites étroites de la Constitution autoritaire voulue par de Gaulle. Elle nourrit par ailleurs une stratégie parlementaire et « citoyenne » en décalage complet avec la nécessité de construire un véritable rapport de forces avec le pouvoir, qu’il faut assumer d’affronter, sans aucune illusion sur la possibilité de raisonner les classes dominantes.
Alors que la nomination de Barnier est loin de refermer la crise politique, que le vote du budget ne manquera pas d’aggraver, l’appel à manifester porté par différentes organisations et soutenu par LFI le 21 septembre devrait servir à autre chose qu’à chercher à appuyer le projet de destitution et faire pression sur la Commission des lois. Il devrait permettre d’échanger sur la séquence, et de commencer à s’organiser pour préparer un mouvement avec des méthodes qui permettent vraiment d’inquiéter le pouvoir, à commencer par celle de la grève.
Après la manifestation en demi-teinte du 7 septembre, marquée à la fois par l’envie d’en découdre avec Macron et par une certaine démoralisation, il faut adopter des perspectives qui vont bien au-delà du seul calendrier parlementaire et qui saisissent l’opportunité offerte par la crise politique. Le président est affaibli par un Parlement divisé et instable, le gouvernement est fragile et subit la pression colossale des institutions européennes et des marchés financiers pour passer un budget austéritaire et des mesures très impopulaires.
Nous pouvons obtenir bien plus que la démission du président, mais pas sans prendre au sérieux la préparation d’une lutte prolongée, d’une grève générale politique qui entraîne les travailleurs, les classes populaires et la jeunesse.
[1] Selon l’article 2 de la loi organique du 24 novembre 2014 qui porte sur les modalités de la procédure : « Si le Bureau constate que ces conditions sont réunies, la proposition de résolution est envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles, qui conclut à son adoption ou à son rejet. (…) [L]a proposition de résolution est inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission ».
[2] Celui-ci a été saisi en 2016 au sujet de la loi organique de 2014. Selon la décision du Conseil, « les dispositions de l’article 2 n’ont pour objet ni d’imposer à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles de l’assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée de conclure à l’adoption ou au rejet de cette proposition, ni même d’imposer à ladite commission d’examiner cette proposition ».
[3] Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon confère depuis toujours à l’élection présidentielle une place centrale dans sa stratégie. Dans le livret thématique du programme « L’Avenir en commun », le mouvement prévoit d’ailleurs de « passer à la 6ème République » grâce à la convocation d’un référendum par le président de la République sur le fondement de l’article 11.
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