lundi 21 octobre 2024

« Abrogation de la réforme des retraites : le problème ne se résoudra pas au Parlement »

Anasse Kazib

Anasse Kazib revient sur le débat suscité par une tribune publiée dans le Média appelant la gauche institutionnelle à voter le texte d’abrogation de la réforme des retraites déposé par le RN. La discussion passe outre un constat central : le Parlement ne permettra pas de faire tomber la contre-réforme.

Depuis 24h, le débat sur le fait de voter ou non la loi d’abrogation de la réforme des retraites proposée par le RN, qui sera examinée à l’Assemblée le 31 octobre, est lancé. Celui-ci a été alimenté par une tribune publiée cette semaine dans le Média, dans laquelle différents intellectuels et militants appellent à « voter l’abrogation de la réforme des retraites avec le RN » pour « vaincre le RN et la Macronie. »

Abrogation de la réforme des retraits : un vote tactique

Comme beaucoup, et comme les auteurs du texte, je trouve qu’il y a un problème avec la position morale qui explique qu’il ne faudrait pas voter ce texte car il a été présenté par le RN. La réalité c’est que la loi d’abrogation en tant que telle ne pose pas de problème. Il n’y a rien de raciste ou d’inacceptable dedans. Surtout, ce n’est pas la première fois que le RN et la gauche institutionnelle votent ensemble.

Depuis 2022, pour ne pas remonter plus loin, la gauche a eu besoin du RN plusieurs fois sur des textes ou amendements. Penser que si le texte avait été proposé par la gauche et voté grâce à l’appui du RN la situation ne poserait aucun problème, mais que l’inverse est inacceptable montre une forme de posture. Avec une telle logique, il faudrait boycotter n’importe quel texte au Parlement, puisqu’aucun ne peut être adopté uniquement avec les voix de la gauche.

Or, si on va sur le terrain de la morale, on peut se poser la question de savoir si voter avec ceux qui ont imposé la loi séparatisme, la loi immigration ou encore défendu la déchéance de nationalité est beaucoup plus moral. En tant que militant d’une gauche révolutionnaire qui n’est pas représentée aujourd’hui à l’Assemblée, mais qui considère qu’il faut utiliser le Parlement pour faire de la politique, je crois qu’il n’y a pas de problème à utiliser des ruses parlementaires pour appuyer sur des contradictions du régime ou de ses partis.

De façon tactique, les travailleurs et les classes populaires ne comprendraient pas une seconde que la gauche ou d’hypothétiques députés révolutionnaires ne votent pas la fin de la réforme des retraites à 64 ans pour des questions morales. Peut-être qu’une petite poignée serait d’accord, mais pas la vaste majorité. Cela profiterait inévitablement au RN. Cependant, une fois qu’on a dit ça, le problème n’est pas entièrement résolu. Car la véritable question de fond, et le point aveugle de la tribune publiée dans Le Média comme des débats qu’elle a suscités, c’est que c’est une erreur de penser que le vote à l’Assemblée pourrait permettre de retirer la réforme.

Un dilemme loin de résoudre le problème stratégique de la lutte contre la réforme des retraites

En effet, soyons clairs, le texte en question n’a aucune chance d’être validé au Sénat et le gouvernement aura donc la possibilité de le noyer dans les navettes parlementaires. Dans le pire des cas, la convocation d’une Commission mixte paritaire, où les macronistes, leurs alliés et LR sont majoritaires, permettrait de liquider la proposition. 14 jours de grève interprofessionnelles massives en 2023, des millions de personnes dans la rue, des raffineries à l’arrêt n’ont pas permis de faire retirer un texte central pour la bourgeoisie. Penser qu’un vote suffirait, qu’il serait possible de prendre les classes dominantes par surprise au Parlement, c’est se mettre le doigt dans l’œil.

Je suis d’accord avec les auteurs de la tribune du Média sur le fait que l’abrogation pose des contradictions importantes pour le RN. Mais pour les approfondir, voter leur texte, sur le terrain des institutions qui est leur terrain de parti bourgeois, est loin de suffire. Pire, cela tend à se maintenir sur un terrain qui leur est aujourd’hui favorable. Ce qu’il faudrait, c’est être conséquent, et faire de la discussion sur l’abrogation un pont vers la nécessité d’un plan de bataille réel par la grève et la rue.

Non seulement c’est comme ça qu’on peut réellement faire retirer le texte, mais ce sont également ces méthodes qui permettent le mieux de se délimiter de l’extrême-droite, allergique aux grèves et à la lutte des classes. Pour arracher les ouvriers des griffes de l’extrême-droite, il faut l’unité de notre camp social dans la lutte : pas autour de journées isolées comme en 2023, mais d’une véritable grève reconductible généralisée.

En ce sens, la discussion parlementaire peut se retourner contre Macron et le RN, car elle peut redonner l’espoir dans le fait d’imposer le retrait. Mais pour que ce soit le cas, il faut discuter de la construction d’une grève massive. Le macronisme est en crise, le gouvernement est le plus fragile de l’histoire de la Vème République. Un mouvement de masse, avec un plan de grève pourrait faire retirer la réforme, mais également aller au-delà, parler des salaires, des plans sociaux et même plus, c’est à dire poser même la démission de Macron et du gouvernement.

Tactiquement ce serait donc une erreur de ne pas voter cette loi, cela pousserait encore plus les classes populaires vers le RN. Néanmoins, la réforme ne peut tomber que par la grève et jamais le RN sur ce terrain ne suivra, c’est une certitude. 

Or c’est par-là que se trouve le chemin du retrait et de la lutte contre le RN.

Révolution Permanente

Aucun commentaire: