mercredi 9 octobre 2024

Un an après le 7 octobre

Section internationale

L’histoire de la guerre coloniale qui a cours au Moyen-Orient n'a pas commencé le 7 octobre, même si les commémorations annoncent une vaste opération de légitimation du massacre en cours, au nom du « droit d’Israël à se défendre. »

« Un an après les attentats du 7-Octobre, je veux redire la solidarité qui reste la nôtre avec l’État d’Israël. Sa sécurité n’est pas négociable et Israël est en état de légitime défense. » Ce dimanche, dans La Tribune, Michel Barnier a donné le ton de ce que seront malheureusement les commémorations du 7 octobre un peu partout dans le monde occidental lundi : l’occasion d’une nouvelle opération au service de la légitimation du massacre des Gazaouis, des Palestiniens de Cisjordanie et, de plus en plus, de la guerre que l’État d’Israël mène au Moyen-Orient. S’efforcer de faire accepter l’inacceptable, à savoir « le premier génocide de l’histoire durant lequel les victimes diffusent leur propre destruction en temps réel dans l’espoir désespéré -et pour l’instant vain- que le monde puisse faire quelque chose », pour reprendre les mots de l’avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh en janvier 2024 devant la CIJ.

Il y a un an, l’opération militaire menée par le Hamas aux côtés d’autres forces de la résistance palestinienne a donné lieu à des crimes terribles contre des centaines de civils israéliens. L’émotion suscitée par ces morts est légitime. Mais ces méthodes que nous avons condamnées ne sauraient remettre en cause le droit du peuple palestinien à lutter pour son autodétermination, ni occulter la réalité de l’oppression coloniale brutale en Palestine [1]. Comme nous le soulignions à l’époque, l’histoire n’a pas commencé le 7 octobre. Elle ne s’y est pas non plus arrêtée, comme cherchent à le faire croire ceux qui n’ont de cesse de convoquer cet événement pour légitimer chaque crime de l’État d’Israël.

Ce que les commémorations vont occulter

Depuis un an, le 7 octobre tend à être le seul schème explicatif valable du côté d’Israël et des puissances impérialistes pour comprendre (et justifier) la guerre brutale en cours au Moyen-Orient. Oubliées la Nakba de 1948 et la Naksa de 1967 ; effacés l’expansion des colonies israéliennes et les assassinats ciblés dans toute la région ; ignorés les milliers de prisonniers qui croupissent dans les geôles israéliennes ; les occupations puis le blocus de Gaza ; le système d’apartheid et 77 ans de nettoyage ethnique ; les « opérations » de 1982, l’occupation jusqu’en 2000 et la nouvelle guerre de 2006 au Liban ; etc. Tout aurait commencé le 7 octobre et s’y serait suspendu.

Cette rhétorique permet de faire passer la gigantesque accumulation de massacres commis par Israël pour des opérations de « légitime défense », alors que le bilan de l’invasion de Gaza devrait approcher les 180 000 morts selon le Lancet. Un an après, alors que Netanyahou fait ouvertement passer ses buts de guerre avant la libération des prisonniers détenus par le Hamas et que les appels à libérer les otages apparaissent comme un prétexte pour poursuivre la guerre à Gaza et la recolonisation de l’enclave, le mensonge a perdu de sa force. Ce d’autant plus que l’État israélien apporte désormais la guerre au Liban et dans tout le Moyen-Orient avec l’objectif de modifier radicalement l’équilibre des forces dans la région, menaçant d’un bain de sang toutes les populations qui y vivent.

Mais les puissances impérialistes ne se sont pas contentées de relayer, jusqu’à aujourd’hui, ces éléments de langage. Elles ont soutenu moralement, politiquement, militairement et financièrement chaque étape de l’escalade israélienne – de la guerre de Gaza, que même les diplomates dans les couloirs feutrés de l’ONU n’ont pas hésité à décrire comme génocidaire, à l’annexion désormais presque totale de la Cisjordanie en passant par le bombardement des pays voisins, l’assassinat de leurs dirigeants politiques et militaires et l’invasion du Sud Liban ces derniers jours. Une escalade qui a déjà changé le monde. Un an après le début de l’offensive génocidaire à Gaza, l’intervention israélienne au Liban qui a déclenché une crise humanitaire et sanitaire et chassé plus d’un million de Libanais de leurs foyers rappelle en effet que la guerre au Moyen-Orient est une nouvelle expression du retour en force des conflits sanglants, qui outrepasseront toujours plus systématiquement les « règles » de la guerre, déjà à géométrie variable, édictées par les pays impérialistes eux-mêmes.

Depuis un an, la guerre coloniale d’Israël a en effet eu des répercussions au sein des puissances impérialistes qui le soutiennent. Plus que jamais, politique intérieure et extérieure fonctionnent comme les deux faces d’une même pièce. La criminalisation des soutiens de la Palestine, et de celles et ceux qui dénoncent les crimes de Tsahal, des bancs de Columbia à ceux de Science Po, est désormais systématique. Cette criminalisation s’est accompagnée d’un renforcement autoritaire inédit dans les puissances occidentales, des États-Unis à la France en passant par l’Allemagne, entre « nouveau maccarthysme » et explosion des procédures pour « apologie du terrorisme » dans l’Hexagone, frappant de nombreux soutiens de la Palestine et personnalités syndicales et politiques comme Jean-Paul Delescaut, Mathilde Panot, Anasse Kazib ou Rima Hassan. Dans le même temps, le massacre en toute impunité des populations « arabes » de l’autre côté de la Méditerranée (en Palestine et désormais au Liban) ne peut qu’alimenter l’islamophobie structurelle qui participe à renforcer l’extrême droite au cœur des puissances occidentales.

Tendances internationales à la guerre et impasse stratégique pour Israël

Ce qui se joue à Gaza dépasse Gaza. Au cours de l’année écoulée, la tendance aux guerres et au militarisme s’est accentuée, renforçant le sentiment de désordre mondial. À la guerre de la Russie contre l’Ukraine, soutenue par l’OTAN, s’est superposée celle qu’Israël mène à Gaza et son extension continue à l’ensemble de la région, menaçant d’impliquer les États-Unis dans un nouveau conflit au Moyen-Orient. Si à première vue, la riposte iranienne mardi 1er octobre a semblé s’inscrire (encore) dans les coordonnées d’une réponse « graduée », bien qu’il s’agisse de l’opération balistique la plus importante de l’histoire concernant Israël, tous les scénarios restent envisageables.

Alors qu’en arrière-plan se dessine une dynamique plus large de fragmentation de l’ordre international, renforçant les possibilités d’escalade guerrière, les vagues de soutien occidental à la guerre menée par Israël qui s’exprimeront ce lundi ne suffiront pas à masquer la situation sans issue au Moyen-Orient, y compris pour l’État colonial lui-même. Le développement de ces dernières semaines doit en effet être lu à la lumière de la crise historique du projet sioniste [2], avec le renforcement depuis un an au sein de l’État hébreu des fractions les plus radicales et messianiques qui composent pour partie le judaïsme israélien défini comme nationalité. Ces fractions, qui ont remis à l’ordre du jour le projet du « Grand Israël », un État juif qui irait du Nil à l’Euphrate, attisent les conflits entre Israël et ses voisins arabes et menace de plonger le pays dans une situation de guerre permanente avec l’ensemble des acteurs de la région. Derrière les succès militaires tactiques, l’État hébreu s’enfonce dans une impasse stratégique et politique totale, avec pour principale perspective d’affaiblir son ennemi iranien et de se consolider comme une puissance régionale de premier plan, mais sans trouver d’issue politique qui permettrait d’assurer durablement un tel changement et un rétablissement définitif de sa force de dissuasion. D’autant que si l’État d’Israël bénéficie d’un soutien pour l’instant sans faille des puissances impérialistes, le début d’une campagne sanglante au Liban et les agressions israéliennes de plus en plus nombreuses contre la Syrie et l’Iran ont ouvert de nouvelles contradictions pour le bloc impérialiste, mené par les États-Unis.

Alors que la supériorité militaire incontestable de Tsahal menace de plonger la région dans le chaos, l’espoir ne pourra venir que de la résistance des masses populaires arabes et des peuples de la région, appuyées par la solidarité des travailleurs, à la jeunesse et aux classes populaires du monde entier. Sur ce plan, l’année dernière a déjà vu émerger un mouvement international, tout particulièrement aux États-Unis, contre la guerre d’Israël et en solidarité avec le peuple palestinien. Ces mobilisations se sont caractérisées par une dimension anti-impérialiste rarement vue depuis le mouvement contre la guerre du Vietnam. Dans le monde arabe, l’affaiblissement militaire de l’« Axe de la Résistance » pourrait ouvrir la voie à des soulèvements et à de nouveaux phénomènes politiques, alimentés par la situation de crise dans des pays comme le Liban. Alors que la cause palestinienne n’est pas prête d’être enterrée, les recompositions à venir, comme celles qui ont suivi de grands événements comme la guerre des Six Jours de 1967, devront être suivies de près.

Plus que jamais, c’est par la mobilisation du prolétariat arabe aux côtés de la résistance des masses palestiniennes, soutenu par un mouvement anti-impérialiste international et en lien avec les secteurs qui, au sein des classes populaires d’Israël, rompront avec le sionisme, que pourra se dénouer la situation et mettre fin à la situation coloniale en Palestine. 

Comme il y a un an, nous sommes convaincus que seule la construction d’une Palestine laïque et socialiste, dans laquelle les Arabes et les Juifs pourront vivre en paix aux côtés des autres peuples de la région permettrait de véritablement consolider une défaite définitive de l’impérialisme dans la région et stopper la guerre.

[1Comme nous l’avons expliqué à l’époque, par exemple le 10 octobre dans une déclaration de la FT-QI, et à nouveau, le lendemain, dans un article de polémique contre un amalgame qui n’a pas cessé depuis et qui visait à présenter la défense du droit à la résistance palestinienne comme un soutien politique au Hamas, pour mieux la criminaliser.

[2Comme le note l’historien israélien Ilan Pappé, « The Collapse of Zionism, New Left Review, 12/06/2024

Révolution Permanente 

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