Antoine Weil
Licenciements, menace d’un retour du chômage de masse, mobilisation des cheminots et agriculteurs : la crise sociale et le risque de mobilisations viennent bousculer le gouvernement, déjà fragile. Pour exploiter jusqu'au bout ses faiblesses, il faut imposer une lutte d'ensemble pour refuser de payer la crise !
« Le gouvernement rattrapé par l’effervescence sociale » titre Le Monde, « cette question sociale que Barnier n’avait pas vu venir » s’inquiètent Les Echos, « l’hiver de la colère » craint C dans l’air. Depuis une semaine, la menace de mobilisations sur fond de crise sociale angoisse la bourgeoisie et ses éditorialistes. D’autant que la crise politique, les débats chaotiques au Parlement sur le budget et la faiblesse du gouvernement alertent quant à la fragilité de l’exécutif.
La crise sociale rattrape un gouvernement faible
Lundi 18 novembre débutait en effet la mobilisation des agriculteurs contre le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Bien qu’il soit dirigé par la FNSEA et davantage contrôlé qu’en janvier dernier, le mouvement est une source d’inquiétude pour le gouvernement d’ici aux fêtes de fin d’année, avec le risque de blocages et d’une radicalisation progressive. Dans le même temps, à la SNCF une large intersyndicale appelle à la grève ce jeudi contre le démantèlement du Fret ferroviaire, avant de passer en reconductible à partir du 11 décembre.
Des menaces venant d’un secteur clé du mouvement ouvrier qui pourraient remettre au premier plan la colère des travailleurs, alors que les plans de licenciements se multiplient ces dernières semaines du côté de Michelin, à Cholet et Vannes, toujours en grève, Auchan, et plus largement dans de nombreux équipementiers automobiles, dans la chimie ou dans la construction, menaçant jusqu’à 300 000 emplois. De quoi faire craindre à Macron et Barnier une généralisation des colères, dans un contexte où le chômage pourrait connaître une aggravation, et où le gouvernement fait en parallèle l’étalage de sa faiblesse.
Depuis la mise en scène par Laurent Wauquiez de sa pseudo « victoire » sur les pensions de retraites, le « socle commun » est plus éclaté que jamais. Pour le chef des députés Horizons, Laurent Marcangeli, il n’y a carrément « pas de socle commun » relate La Tribune Dimanche. Les macronistes veulent eux aussi une « victoire » à revendiquer, et exigent l’abandon de la réduction des allègements de charge pour les entreprises, proposées par Barnier pour donner l’impression que l’austérité ne va pas viser exclusivement les classes populaires.
Un éclatement tel au sein de la coalition majoritaire qu’il donne à voir des situations absurdes, où le ministre macroniste du Budget, Laurent Saint-Martin, doit subir la pression de Gabriel Attal, chef de file d’Ensemble pour la République à l’Assemblée, qui refuse toute solution de compromis. Un contexte qui interroge le RN sur la position à tenir. À l’heure où macronistes et LR s’affrontent ouvertement, ne pas censurer Barnier risque de faire apparaitre le parti comme un des derniers appuis du gouvernement. Alors que Barnier a jusqu’ici peu respecté ses « lignes rouges », la question de la censure se pose à nouveau, le député Laurent Jacobelli, un des porte-parole du parti, expliquant qu’elle est devenue « probable », et l’eurodéputé RN Philippe Olivier qu’elle est « inévitable »…
Un patronat déterminé à en découdre
Si une censure du gouvernement reste encore loin d’être sûre, le gouvernement est fragile et le patronat entend en profiter pour taper du poing sur la table. Dans ce cadre, les plans de licenciements en réponse à la crise économique sont en même temps utilisés pour tenter d’infléchir la politique gouvernementale dans un sens encore plus pro-patronal. Un chantage assumé par le président du Medef Patrick Martin, ce samedi dans Le Parisien : « Entre hausses d’impôts et créations d’emplois, il faut choisir ». Et d’ajouter, à propos des 150 000 emplois menacés de suppressions, que « cela peut même être pire si les dispositions prévues dans [le budget] sont appliquées.»
Dans un tel contexte, et qu’importe l’évolution politique, c’est à de lourdes attaques contre le monde du travail qu’il faut se préparer, notamment sur le terrain de l’emploi. Sans plan coordonné contre les coupes budgétaires dans les services publics et les licenciements dans l’industrie, le gouvernement aura le champ libre pour aller encore plus loin dans son offensive actuelle, à l’heure où les sénateurs se préparent à durcir le projet de budget austéritaire.
Alors que le risque de mobilisations sociales inquiète particulièrement le gouvernement, les directions syndicales privilégient cependant le dialogue social ces dernières semaines. En dehors d’une date de mobilisation lointaine de la CGT le 12 décembre, le dialogue social se poursuit. En fin de semaine dernière, trois accords, sur l’assurance chômage, l’emploi des seniors et les parcours syndicaux ont même été signés avec les même patrons qui préparent des milliers de licenciements.
Face à la crise sociale, cette routine désarme totalement les travailleurs. À rebours de cette logique, les travailleurs qui veulent affronter sérieusement les licenciements et l’austérité doivent s’organiser et exiger la rupture du dialogue social et la construction d’un véritable plan de lutte, qui articule coordination des entreprises menacés de licenciements, et plan national pour dépasser le cadre des (trop rares) mobilisations sectorielles actuelles. Si le mouvement ouvrier commençait à donner le ton, autour d’un programme en faveur de l’augmentation générale des salaires, de l’expropriation sous contrôle ouvrier des entreprises qui licencient et contre l’austérité, il pourrait même attirer à lui certains agriculteurs, dont la colère ne peut trouver d’issue qu’en dehors du cadre imposé par la FNSEA, des illusions protectionnistes, et en s’attaquant aux grandes entreprises qui les exploitent.
Voilà une perspective qu’il y a urgence à faire entendre, notamment depuis les secteurs qui se mobilisent, à la SNCF ou à Michelin.
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