samedi 28 mars 2009

L'église catholique en Argentine pendant la dictature de 1976-1983

Par Cristina Castello*





1) Christian Von Wernich : L'Église catholique en Argentine
ou la peur de la beauté
2) Génocide : Masques - Monseigneur Antonio José Plaza : Amen

* * *
1) Christian Von Wernich : L'Église catholique en Argentine ou la peur de la beauté

«... Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre
Tu rêvais d'être libre et je te continue.... »

Paul Éluard



« Prison à vie pour un ancien aumônier de la dictature argentine »

Il faut garder en mémoire l'horreur vécue en Argentine durant le génocide de 1976-1983 dont le bilan, 30.000 personnes disparues. Un génocide dont le visage visible a été les militaires dictateurs et dont le visage occulte et organisé par les Etats-Unis était ce qu'on appelait à l'époque la « Doctrine de Sécurité Nationale » pour chaque pays de l'Amérique Brune ; pour l'Amérique Latine tout entière, on parlait de la « Doctrine de Sécurité Continentale ».


L'ancien aumônier catholique de la police argentine Christian Von Wernich a été condamné en octobre à la prison à vie pour des crimes de lèse- humanité.
Ce « monseigneur », âgé de 69 ans, a été condamné pour son implication dans des cas de torture, enlèvement et meurtre. Mais il n'est que l'un parmi tous les génocides et les bourreaux de l'Argentine.


La complicité de l'Église Catholique lors du génocide vécu en Argentine pendant la période 1976-1983, est de toute évidence.
Les preuves de tout cela sont entre les mains de la Justice et à la vue de tous depuis le « Jugement aux Juntes [militaires]» de cette dictature, connu comme le « Jugement du siècle ». Cette dictature, « parfaite » dans la conception et l'exécution des crimes, vivra toujours dans les viscères de l'horreur. Dans la mémoire incontournable.

Lieutenant Général Jorge Rafael Videla : « En tant que Commandant en Chef de l'Armée il a fait partie de la Junte Militaire [triumvirat constitué par les commandants en chef des trois armes] entre 1976 et 1982. Imputé de privation de la liberté et homicide en trois occasions, de privation illégale de la liberté réitérée en seize occasions, de privation illégale de la liberté et tortures réitérées suivies d`homicides en neuf occasions et tout cela en concours réel ».
Mais Videla n'a pas été le pire. Tous l'ont été et surtout l'indifférence de la majorité de la société argentine, d'habitude lente lorsqu'il s'agit de réagir en faveur de la vie. La documentation concernant cette galerie de l'effroi abonde.

Alors ?
Alors, il n'y a qu'une mémoire des utérus clôturés : ceux des mères qui ont leurs fils assassinés ; et ceux des mères qui ont enfanté la vie en prison, et dont leurs bébés furent volés par les criminels.

Alors, il n'y a que des cœurs battants qui sont ainsi qu'une conscience critique du pays le plus « blond » et le plus « européen » de l'Amérique Noire. Les cœurs qui n'oublient pas, sont un hymne dont le chœur est composé des hurlements des mères, pères, enfants, époux et amants des gens disparus. Des sépultures sans nom. Les cœurs aux yeux ouverts à chercher la vie au-delà de la mort.

Il est certain que la beauté, comme synthèse renfermant l'éthique et l'esthétique, représente la lumière pour les innocents. Il est vrai aussi que la beauté, comme synonyme de liberté et de révélation, fait peur aux exilés d'aurores ; donc elle fait peur à la hiérarchie ecclésiastique, celle qui nous menace avec des enfers et des démons en même temps qu'elle met en œuvre ses propres enfers et démons.

Mais il faut savoir que les personnes continuent de disparaître, avec, aussi, ladite nommée « démocratie ».
Julio López, l'un des témoins des atrocités commises par Von Wernich a disparu le 18 septembre 2006. Sans euphémismes : il est mort.
Beaucoup de gens disparaissent.... « Grâce » à la Police, à la faim, au manque de rêves.
Il y a plus de 28 % des personnes (chiffre « dessiné » par le Gouvernement), qui « vivent » au-dessous de la ligne de pauvreté absolue... la misère.
La Sécu n'existe pas, la loi n'est qu'un mot, les médicaments sont mille fois plus chers qu'en France ; le prix des aliments monte sans limite !
La mort est Présence obligée dans les rues... tandis que la belle Buenos Aires vit sous l'apparence.
Eh oui… les « porteños» (habitants de Buenos Aires), sont « blonds », « beaux », « bien habillés », mais.... qu'y a-t-il en dessous ?
Rien d'autre que le désespoir.
Il faudrait en écrire beaucoup.
La vie devrait être plus forte que la vie.
Les européens devraient savoir que l'Argentine et l'Amérique Latine ne sont pas une question folklorique, mais une tragédie.
Me concernant, il me faut le dire, je n'ai d'autre patrie que l'amour et l'art.

* Cristina Castello est poète et journaliste argentine. Paris /Buenos Aires.

* Cet article est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur

C.C. -2008

* * *


2) Génocide : Masques - Monseigneur Antonio José Plaza : Amen

Par Cristina Castello*

(article en version française et originale en espagnole)


Que voulez-vous la porte était gardée
Que voulez-vous nous étions enfermés
Que voulez-vous la rue était barrée
Que voulez-vous la ville était matée
Que voulez-vous elle était affamée
Que voulez-vous nous étions désarmés
Que voulez-vous la nuit était tombée
Que voulez-vous nous nous sommes aimés.
« Couvre-feu » Paul ÉLUARD



(Faire attention : cette entrevue est datée du 5 avril de 1984, ce qui est essentiel pour la lire correctement).
Pour ceux dont la vie de leur prochain, n'est pas vraiment considérée comme telle, est jouée dans une partie des cartes ou sur une table de tortures, Monseigneur Antonio José Plaza est un personnage polémique.


(Monseigneur Plaza - Photo accompagnant l'article de Cristina Castello publié dans la Semana le 5 avril 1984)


Pour ceux dont la vie est Beauté, Mains, Amour, Nid, Anges, Dieu, Art, Joie, Bien Commun, l'Univers entier en communion, il est un masque de l'horreur.
Lié au militaire génocide Ramón Camps, on a toujours dit que, d'une certaine façon, il « a gouverné » la province de Buenos Aires.
« Façon » : manière, mode, style.
Je pense à façon-manière-mode-style. De croire. De créer. De construire. De rêver. De caresser. D'aider. De protéger.
Pour jeter des mouettes en l'air, des mouettes qui entrelacent des étoiles.
Pour dessiner à deux, la tendresse, le matin
Quand l'amour se réjouit aux tartines croustillantes, les yeux pleins d'amour.
Comme l'instant sublime qui précède le renoncement et le dévouement.
Du dévouement à la liberté.

Monseigneur-monseigneur ?— Monseigneur rit. Il rit ! Il rit puisque beaucoup de ceux qui sont personnes disparus « se sont supprimés les uns les autres », selon sa diabolique souris.
Il rit et l'énorme Victor Hugo de « L'Homme qui rit » lui aurait paru « subversif ».
Il rit puisque les forces génocides « n'ont pas tué le Père Hapon : ce dernier a quitté la ville pour aller au Sud du pays », ment-il. Il nie avoir dit à Amnesty International qu'il n'y avait pas de prisonniers politiques en Argentine.
Puis, se rendant à l'évidence, il rit, rit. Il rit, sous son masque effrayant.
Dieu aidant, il se peut que, dans quelques années, cette entrevue touche un cœur quelconque qui veuille crier, murmurer, clamer.

Pour que Nunca Más !
Plus Jamais.
Plus Jamais.


Plus Jamais

Rayons X

C'est l'archevêque de La Plata depuis 1956. Dès lors, il exerça de l'influence dans le domaine éducatif de quelques provinces argentines. On le lia à la Banque Populaire de la Plata, liquidée par la Banque Centrale en 1964. Depuis le 11 novembre 1976 jusqu'au 30 décembre 1983 il fut l'aumônier de la Force Policière de la Province de Buenos Aires. La Police la plus génocide du génocide. La Police de la province de Tucumán et celle de la province de Cordoba avaient les mêmes caractéristiques. Il atteignit la hiérarchie de Commissaire Général. Il reçut ce grade du Chef de la Police, à l'époque Ramón Camps. Le nom qui guette l'âme. L'archevêque et l'homme qui guette l'âme se lièrent d'amitié. Et Plaza en est fier. Il est fier de son amitié avec l'assassin (C.C.)

Quelqu'un m'accompagne où il est. Cette personne semble être un membre des groupes de la répression. On traverse des corridors et des caves. Inquiétant. Effrayant.
Monseigneur m'attend dans son bureau et quand j'y arrive, il me sourit. Comme le ferait un bon prêtre. Comme un bon curé de campagne. Comme si Dieu comblait son âme. Comme s'il était vraiment un ministre de Dieu.
Il évite de parler de certains sujets, mais il fait référence à d'autres sans que je lui pose des questions.
Par exemple, il commente, tout en faisant l'innocent : « Ce cendrier, c'est Graiver qui m'en a fait cadeau (!)... c'est un ami ».
L'archevêque de La Plata supporte ma présence comme s'il était heureux d'être le personnage central de mon entrevue, chargée d'informations et de questions.
Mon amour de la vie et mon sens du devoir me guident dans le questionnaire.
Je sens la mort et les horreurs vécues par ces êtres humains qui sont mes frères et mes sœurs et que pourtant je n'ai jamais connus. Mais ils étaient des êtres humains, donc…
L'homme qui rit ne s'altère pas. Il se montre cordial et il veut me séduire par sa conversation. Il ne se rend pas compte que pour moi, ce sont les valeurs qui l'emportent.
Il ignore que le concept d'existence comme fait transcendant est inhérent aux valeurs et qu'elles sont immuables.
Il ne peut pas comprendre que mon étoile est la proue visionnaire de José Ingenieros.
Il me voit si jeune... et il me le dit. C'est pour cela qu'il me croit vulnérable à son rire de masque. Il rit puisqu'il croit en Dieu.
Nos dieux sont bien différents. Je ne comprends pas les dieux aux pulsions meurtrières.
Il rit. Il paraît que c'est moi qui lance des grenades-les questions- et lui, des pétales de roses. (C.C.)
(Œuvre de l'artiste León Ferrari.)

L'HOMME QUI RIT

Monseigneur...Que pouvez-vous me dire de la démocratie ?
— Bon... moi, je vis tranquille, mais il paraît que le peuple non. Il n'en a pas l'habitude.
Que pensez-vous de la « révolte » actuelle des mœurs (le « destape » espagnol) ?
— Que c'est une ordure ! Même si je m'en fous, comme pasteur de cette communauté je ne peux pas l'accepter.
Pourquoi ?
— Vous avez étudié l'histoire de Rome et de Carthage ? Bon, les carthaginois ont traversé les Alpes, sont arrivés aux portes de Rome et se sont adonnés passionnément « à la dolce vita ».
Et alors ?
— Donc, les romains les ont chassés, car avec eux, c'était la débauche qui était arrivée.

Ceux-ci et ceux-là, ou les uns et les autres

À l'heure actuelle, le pays sait comment les droits de l'homme ont été violés pendant les dernières années. Qu'en pensez-vous ?
— Je crois que la grande diffusion de ces faits peut avoir des répercussions négatives. Si ce que nous voulons faire, c'est soulager les esprits, il vaudrait mieux parler de ce qui est bon.
Que peut-on trouver de bon dans le « Processus militaire de réorganisation nationale » ?
— L'idée a été bonne, très bonne, cependant la mise en œuvre a été inadéquate. Mais... je ne veux pas en parler. Mon travail concerne l'ordre spirituel : plusieurs travailleurs viennent me consulter comme à l'époque, faisaient pas mal de messieurs y inclut (le Général) Viola et son groupe de camarades.
Vous n'avez pas précisé à quoi correspondait la bonne idée...
— Eh bien... ils voulaient rétablir la Constitution et la liberté. Le pays était en désordre et ils voulaient bien faire les choses. Ceux-ci aussi (il fait mention au gouvernement du Dr Alfonsin) ont de bonnes idées, mais les militaires ont pris un chemin et ceux-ci en ont pris un autre... et c'est bon !
Le chemin des premiers a été le terrorisme d'État et pour ces derniers c'est la Constitution...
—... (Monseigneur rit aux éclats).
De quoi riez-vous ?
— Parce que les deux groupes se ressemblent... (En se moquant de moi) : Croyez-vous qu'aujourd'hui il y a la liberté ?
On ne cohabite pas avec la mort, ni avec la disparition forcée des personnes, ni avec la torture, ni...
—Mais non!...Autrefois, selon certains aspects, il y avait plus de liberté qu'aujourd'hui.
Dans quels aspects ?
— Ne m'incitez pas à en parler, ne le faites pas...
Pourquoi pas ? Vous êtes en train de défendre la dictature...
— De quelle dictature parlez-vous ? Ne me faites pas parler par votre bouche, j'ai dit « l'idée » du processus militaire. J'ai déjà discuté ces aspects avec le Général Viola car il voulait en parler avec moi. Cela s'est passé lorsqu'il était Commandant en Chef et aussi quand il est devenu président.
Et avec Jorge Rafael Videla ?
— Je l'ai vu deux fois, pas plus que ça... que voulez-vous que je vous dise ? N'est-ce pas très peu pour en tirer une conclusion ?
On parle du responsable de la disparition d'enfants et d'adultes, du responsable des tortures et des actes impensables même chez les animaux les plus sauvages...
— Ce qui se passe c'est que tous ceux qui ont tout transgressé depuis le principe, se sont organisés : ils ont organisé des actions et ils ont tué des gens et maintenant sont considérés des héros. Bien, mais... Que serait-elle devenue notre vie si les groupes subversifs avaient eu le pouvoir ? Pensez-y un instant!... Que serions-nous devenus ?
Défendez-vous le terrorisme d'État ?
— Non.
Et la torture ?
— Non.
Nous avons trente mille personnes « disparues », Monseigneur : je vous parle de vies humaines.
— Mais, c'est que, je ne sais pas s'il y en a tant ! De plus, il y en a beaucoup qui se sont supprimés les uns aux autres. On ne peut pas dire maintenant que les terroristes sont tous des saints innocents. Vous connaissez Patricio Kelly ? Je le connais très bien : quand il est tombé prisonnier de l'Armée en 1955 ou 56 il avait deux fils adolescents et moi, je l'ai protégé. Il a pu échapper des mains de ses gardiens et il s'est exilé au Chili ; puis on l'a rattrapé et on l'a rapatrié et je suis allé le voir parce qu'il me l'avait demandé. Je vous assure qu'il ne peut rien dire de personne ou, ce qui serait plus intolérable encore, c'est qu'à la suite de « ses accusations » quelqu'un soit mis en prison... allez...
Je ne parle pas de Kelly. Je parle des témoignages du génocide : les fosses N.N. (des personnes non identifiées), des tortures et... de corps qui n'apparaîtront jamais ??
— C'est terrible... mais que voulez-vous... moi, je viens de l'apprendre.
Nous, ceux qui avons voulu l'apprendre par respect des droits de l'homme, nous l'avons appris...
— Ah, bon... Vous êtes des gens très intelligents.
Si on trouvait les responsables... Que devrait-on faire avec eux ?
— Voilà... moi, je ne peux pas les juger.
Vous rappelez-vous la loi d'oubli que Monseigneur Quarracino a proposée ?
— Oui. Lui, il est un grand évêque et je ne le contredirai jamais... ni lui ni aucun de mes frères, non plus.
Vous ne m'avez pas dit ce que vous pensez de cette loi...
— Je l'ai déjà fait et je ne suis pas une montre à répétition.
Vous avez dit qu'il faut oublier ce qui est mauvais. Mais les criminels sont un danger pour la République. Vous, un ministre de Dieu, vous ne donnez pas d'importance à ce fait ?
— Voyons... parmi ceux qui disent cela, beaucoup devraient faire un examen de conscience. D'ailleurs, je ne suis pas un juge de la République donc je ne peux pas émettre d'avis... Que voulez-vous de moi ?...Tenez, je vous fais cadeau du catéchisme que nous donnions à la Police. Lisez-le!...Voyons s'il vous fait du bien !



Les prêtres et les policiers tortionnaires


Quelle attitude avez-vous assumé vis-à-vis des prêtres détenus ?
— Ici à La Plata, il n'y avait aucun détenu.
Un prêtre espagnol qui a sauvé sa vie, car il était étranger m'a raconté qu'il avait été dans la prison de La Plata et que...
— Ah, je ne sais pas, je ne suis jamais allé à la prison.
Il a dit que le père Callejas, l'aumônier de la prison, sensible aux souffrances des prisonniers politiques, leur donnait de l'argent officieusement, mais...
— Voilà, je n'en sais rien, ça, c'est quelque chose à lui... Pourquoi ne lisez-vous pas le catéchisme dont je vous ai fait cadeau ?
Monseigneur : le curé espagnol m'a aussi dit que quand les militaires vous ont raconté cela, vous avez destitué Callejas.
— Des mensonges, des mensonges!... Callejas est mort en décembre et il était chanoine de la Cathédrale de la Plata.
Que pouvez-vous me dire du père Hapon ?
— Bon alors, le père Hapon est parti vers le Sud du pays. Mais... tu as de beaux yeux, Petite Cristina !
Pourquoi est-il parti ?
— Parce qu'il est tombé amoureux d'une femme -les femmes sont toujours les coupables- et il s'est marié avec elle. Mais je t'ai donné le catéchisme, tu ne le lis pas et tu es là et tu fais comme une montre à répétition : tu poses des questions, et tu recommences. Je te lance des compliments et tu continues avec ta litanie... Tiens, prends un bonbon !
Monseigneur : le Père Hapon a permis à un couple poursuivi par les forces de la répression de s'abriter dans l'Église et...
— Je n'en sais rien...
...Et quand les militaires ont exigé la tête du Père Hapon vous l'avez laissé livré à leurs forces. Vous avez refusé de le protéger : c'était le condamner à mort...
— Non, non, pas du tout. Il était parti vers le Sud, là-bas il avait fondé une école et il s'est marié... je ne l'ai pas tué, moi non plus.
Je ne vous vois pas tuer une personne de vos propres mains.
— Non, je ne tue personne : ni de mes propres mains ni indirectement.
Mais vous avez dit une fois que « non seulement celui qui vole un escalier est coupable, mais que celui qui l'aide est aussi coupable ».
— Oui, c'est vrai... comment se fait-il que vous possédiez tant d'informations sur moi... vous faites partie des « groupes de travail » (les forces de la répression) ? (Monseigneur rit, il rit). Oui, si vous allez voler un escalier et que moi, je soutiens cet escalier de mes deux mains, je suis aussi coupable que vous.
Acceptez-vous votre culpabilité ?
— Ah, non, ma petite Christine... je n'ai soutenu aucun escalier à personne. (Il cherche quelque chose dans la partie inférieure du bureau)... Veux-tu un whisky ?
Non, merci. Les évêques, eux aussi, ils mentent ?
— Nous les évêques, nous pouvons nous tromper parce que nous sommes des êtres humains.
Se tromper n'est pas la même chose que mentir. Comment se fait-il que vous ne sachiez pas qu'il y avait des camps de concentration ?
— Je ne le savais pas.
Il y avait...
— Ah... je ne le savais pas... Tiens, voilà... pauvres gens, n'est-ce pas ?
Et en plus, il y avait des détenus attendant le procès...
— Hélas!... (Il fait mine d'innocent)... Pauvres...Ils te font de la peine ?
Le 9 juillet de 1978 vous avez reçu une requête d'Amnesty International signée par son président Scott Hoffman où l'on vous demandait des informations sur ce qui se passait dans le pays à ce moment-là. Vous avez répondu : « Je vous assure qu'en Argentine il n'y a aucun détenu politique... » Vous en êtes-vous repenti maintenant ?
— Je n'ai pas dit ça...
Alors que dites-vous de cela (je lui montre la photocopie de la requête et sa déclaration) ?
— Eh bien, oui... Mais quelle fille questionneuse ! Oui, je savais qu'il y avait des détenus mis à la disposition du Pouvoir Exécutif. Évidemment... mais je n'allais pas les voir, car c'était l'aumônier qui y allait.
Et quelle était l'attitude des aumôniers face aux crimes et aux tortures ?
— Eux, ils faisaient ce qu'ils devaient faire : ils les réconfortaient moralement.
Voilà ! Vous avouez donc qu'il y avait des tortures et des morts...
— Je n'avoue rien.
Les aumôniers alors, pourquoi n'ont-ils jamais élevé la voix en défense du droit à la vie ?
— Eh bien... ils ne faisaient qu'accomplir leur devoir et le devoir sacré du prêtre est de ne pas communiquer les choses qui se passent. Ce sont les secrets du métier...
Ce que vous dites défie le sens commun et le respect de la vie. Comment ne peuvent-ils pas agir s'ils voient des êtres humains torturés et tués ?
— Vous parlez d'un cas hypothétique.
Je suis en train de parler des prisons et vous avez avoué que les aumôniers y allaient...
— Je n'ai pas la certitude qu'ils y allaient. Ce qu'ils faisaient c'était se déplacer à l'Unité 9 de La Plata (province de Buenos Aires). Là, il y avait des détenus politiques mis à la disposition du Pouvoir Exécutif.
On parle de la même chose et il y a un instant vous avez, de vos propres mots, reconnu, qu'ils réconfortaient moralement...
— Et alors ? Êtes-vous sûre qu'on torturait ces détenus politiques-là ?
Voyons, on sait que pendant qu'on torturait quelqu'un, il y avait toujours un prêtre devant...(Le Père Andrés, le secrétaire de Monseigneur Plaza, qui était là par hasard, s'est exclamé d'horreur).
— Non, ça, c'est un mensonge, une infamie.
On dit aussi qu'en 1976 dix aumôniers se sont réunis pour décider s'il était correct d'absoudre les tortionnaires. Neuf — neuf ministres de Dieu — sur dix ont voté par l'affirmative. Ils excommunient ceux qui divorcent et ils bénissent les tortionnaires...
— Je n'en sais rien ; c'est la première fois que j'en entends parler. Mais je vous dis que s'il y a quelqu'un qui se repentit et qui promet de ne plus le faire, il faut l'absoudre.
Comme s'il avait commis un péché quelconque, comme s'il avait dit un mot obscène ?
— Il n'y a pas de mots obscènes, mais... (Il rit)... il y a des noms de famille qui semblent être des mots obscènes.
Par exemple ?
— (Le Premier Ministre Dante) Caputo (il rit beaucoup). (« puto » : en Argentine en langue populaire, gros mot au masculin qui signifie « Homosexuel»).

(Œuvre de l'artiste León Ferrari.)

Les mains ensanglantées

Parlez-moi de votre amitié avec Camps...
— Il était le Chef de la Police et moi, le Premier Aumônier ; je le connaissais depuis qu'il était Major. Mais... des amis... je peux dire que je connais quelqu'un. Mais que je le considère mon ami, ça non.
Je vous rappelle vos propos : « Je suis l'ami de Camps -l'avez-vous dit —, mais ce n'est pas un crime ». Quelles affinités aviez-vous avec lui ?
— Ces paroles qu'on me fait dire, ne sont que des bêtises. Vous avez le droit de penser autrement, mais je dis la vérité.
Vous avez dit que, lors une certaine occasion, vous aviez vu que Camps avait les mains ensanglantées. Qui avait été sa victime ?
— Il venait de commander une opération militaire, un affrontement contre des guérilléros, puis, il est venu me voir. Oui, il avait les mains ensanglantées, c'est vrai.
Et vous ne lui avez demandé aucune explication ? Vous ne lui avez rien reproché ? Vous ne l'avez pas dénoncé ?
— Pourquoi allais-je le dénoncer ?
Appelez-vous des affrontements le fait de séquestrer des personnes la nuit, y inclus des enfants ?
— Oui, oui, oui et le policier qui était à côté de Camps est tombé blessé.
Monseigneur...Défendre la répression c'est la soutenir...
— Ce n'est pas vrai. L'évêque de la province de San Juan l'a déjà dit : il y a un complot pour me discréditer.
Pourquoi ne contestez-vous pas ces injures ?
— Parce que je l'ai déjà fait une fois et que je ne suis pas une montre à répétition.
Comme homme de l'Église, qu'avez-vous fait en faveur de ces gens persécutés ?
— Tout ce que je devais faire, mais je ne peux pas en parler.
Quel est votre avis par rapport aux organisations pour la défense des droits de l'homme ?
— Elles n'agissent pas en toute sincérité. Ernesto Sábato, vous le croyez absolument sincère ? (Monseigneur rit aux éclats). Mais Sábato, lui, il déjeunait avec Videla, n'est-ce pas ? (Il rit comme si on lui chatouillait les côtes) Voyons, c'est très bien, vous êtes très jolie et très sympathique, mais ça, c'est fini.
Ne croyez-vous pas à la CONADEP (Commission pour enquêter sur la disparition forcée des personnes) ?
— Non..., c'est une commission inutile... elle a été constituée arbitrairement.
- S'il vous plaît, pourriez-vous me dire ce que vous pensez des Mères et des Grands-mères de Plaza de Mayo...
— Je ne veux pas parler d'elles. C'est fini...Voulez-vous un café, ma belle fille ?
Ne trouvez-vous pas significatif qu'elles ne se soient jamais adressées à vous en quête de consolation ?
— Non, car elles l'avaient obtenue ailleurs...


La polémique relation d'amitié entre Herminio Iglesias et Monseigneur

L'Église a négligé l'aspect spirituel et s'est concentrée sur le pouvoir politique ?
— Non, nous avons une Église spirituelle qui s'occupe aussi des affaires temporelles et politiques.
C'est fou, ce monde ! Au nom de Dieu et de l'amour une mère accouche de son enfant et en invoquant Dieu et l'amour on commet les pires crimes...
— C'est qu'il y a des personnes qui invoquent Dieu et pourtant ils agissent autrement.
Ansi que vous ?
—Mais non...Comment est-ce que tu peux penser cela ?
Que pensez-vous de la position prise par l'Église par rapport aux droits de l'homme ?
— (Il regarde par la fenêtre)...Regarde comme il pleut.
Il pleut, Monseigneur. Selon la théologie thomiste, la véritable Église se reconnaît par les persécutions dont elle est l'objet. La persécution, existe-t-elle aujourd'hui ?
— Les journalistes me talonnent tout le temps, donc je dois être bon. (Il appelle son secrétaire et lui demande une Bible. Il me la donne). Tiens... lis-la...Je t'en fais cadeau...Voyons si tu apprends quelque chose, voyons si tu iras au ciel...Tu as besoin de la lire.
Qu'est-elle devenue votre amitié avec Herminio Iglesias ?
— Il est venu me voir quand il allait se présenter comme candidat à la vice-présidence de la Nation. Amerise et son groupe l'accompagnait. Il a demandé mon avis concernant un monsieur qu'il voulait proposer comme Ministre de l'Éducation. Je lui ai répondu qu'il me paraissait bien. Puis la Presse a publié que j'appuyais sa candidature, c'est du blablabla. Il n'avait pas été le seul à venir ici, Balbín et Anselmo Marini -auquel je suis encore lié d'amitié- sont aussi venus me consulter et...
Vous êtes toujours tout près du pouvoir...
— Ce n'est pas vrai. Quand j'ai eu quelque chose à dire à quelqu'un, moi, je l'ai fait.
Êtes-vous péroniste ?
— Je ne suis ni péroniste ni anti-péroniste. (Il se met debout, il me sourit) Regarde, quand tu es arrivée, je t'ai offert des cigarettes, après quoi, je t'ai fais cadeau d'un catéchisme et d'une Bible ; et quand tu quitteras mon bureau, je te donnerai une bise. J'aime tous les êtres humains et toi, tu es une très belle fillete, tu es très sympathique...C'est pour cela que je te donne des cadeaux…
Je suis une Pro… Sympathique ?
— Oui, parce que tu dis tout ce qu'il te vient à l'esprit. Prépare-toi bien pour aller au ciel puisqu'on va y aller ensemble...
Je le trouve bien difficile. Si vous pensez -comme votre ami Camps- que nous les journalistes, nous sommes tous des subversifs...
— Il a peut-être raison. Pas tous, mais quelques-uns... donc (menaçant)… pense un peu à toi, ma belle fille.


http://www.cristinacastello.com/

Entrevue publiée dans la Revue La Semana, le 5 avril 1984
Buenos Aires, Argentine
Le texte postérieur, en guise d’introduction, date du 10 février, 2002


« Genocidio: Los vuelos de la muerte » (« Génocide: Les vols de la mort »)
«Galería de torturadores y asesinos argentinos » (« Galerie de tortionnaires et assassins argentins »)
« La Iglesia cómplice y la Iglesia del Pueblo », (« L’Église complice et l’Église du Peuple »), et cetera

* Cristina Castello est poète et journaliste argentine. Paris /Buenos Aires.

http://www.cristinacastello.com/
http://les-risques-du-journalisme.over-blog.com/

* Cet article est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur


* * *

(Version orignale espagnole)


Genocidio: Máscaras
Monseñor Antonio José Plaza
Amén

Por Cristina Castello


Qué queréis la puerta custodiaban
Qué queréis estábamos recluidos
Qué queréis la calle interceptaron
Qué queréis la ciudad estaba herida
Qué queréis la ciudad estaba hambrienta
Qué queréis estábamos sin armas
Qué queréis la noche había caído
Qué queréis así nos amamos.
«Cubrefuego»
Paul ÉLUARD


(Nótese que esta entrevista tiene fecha 05 de abril de 1984. Si no, no podrá leerse correctamente)

Para quienes la vida del prójimo, que para ellos no es prójimo, se juega en una mesa de dinero o de tortura, él es un personaje polémico.
Para quienes la vida es Belleza, Manos, Amor, Nido, Ángeles, Dios, Arte, Alegría, Bien Común. Para quienes la vida es Universo todo en comunión, Monseñor es una máscara de horror.
Ligado al genocida militar Ramón Camps, siempre se dijo que, a su manera, «gobernó» la
provincia de Buenos Aires.
«Gobernó»: modo, forma, estilo. Forma.
Pienso en manera-modo-forma-estilo. Para creer. Crear. Construir. Soñar. Acariciar. Ayudar. Amparar.
Para disparar gaviotas que hilvanen estrellas.
Para dibujar ternura en la mañana de a dos.
Cuando el amor se recrea en tostadas crujidas con ojos de tanto amor.
Como antes del instante vértice del despojamiento y la entrega.
De la entrega para la libertad.

Monseñor —¿monseñor?— Monseñor ríe ¡ríe¡ Ríe que muchos desaparecidos se «desaparecieron entre ellos».
Ríe y el enorme Víctor Hugo de «El Hombre que ríe» le hubiera parecido «subversivo».
Ríe que al Padre Hapon «no lo mataron los genocidas, sino que se fue al Sur». Niega haber dicho a Amnesty Internacional que en Argentina no había detenidos políticos.
Después, ante la evidencia, ríe, ríe. Ríe, bajo su máscara de horror.
Quiera Dios que esta entrevista consiga con los años, que algún un corazón grite, susurre, clame.
Para que
Nunca Más.
Nunca Más.
Nunca Más.


Rayos X

Es arzobispo de La Plata desde 1956. A partir de entonces tuvo influencia en el ámbito educativo de algunos gobiernos provinciales. Se lo vinculó con el Banco Popular de La Plata, liquidado por el Banco Central en 1964.
Desde el 11 de noviembre del ‘76 hasta el 30 de diciembre de 1983, fue capellán general de la Policía de la Provincia.
De la más genocida policía del genocidio, junto a la de Tucumán y Córdoba.
Tuvo jerarquía de Comisario General.
Le dio el cargo el entonces Jefe de Policía.
Ramón Camps. Nombre que acecha el alma.
El arzobispo y el hombre que acecha el alma se hicieron amigos.
Y Plaza se ufana de ello.
De su amistad con el asesino (C.C.)



Para llegar a él me acompaña alguien. Parece un parapolicial.
Me lleva por pasadizos y sótanos. Inquietantes. Intimidatorios.
Cuando llego a su despacho, sonríe. Como un cura bueno. Como un padrecito de pueblo que tuviera a Dios en él.
Como si de verdad fuera un ministro de Dios.
Elude temas pero se refiere a otros, sin que medien mis preguntas.
Por ejemplo y con cara de inocente: «A ese cenicero me lo regaló Graiver (¡!)...es un amigo».
El arzobispo de La Plata me soporta, como si estuviera contento con mi entrevista. Cargada de información y de preguntas.
Desde el fondo de mi amor a la vida y del sentido del deber, pregunto.
Siento en mí la muerte y/o los horrores de todos mis hermanos humanos, a quienes nunca conocí. Pero eso: eran seres humanos.
El hombre que ríe no se altera. Se muestra cordial y quiere seducirme con la charla.
No entiende que lo mío son valores, nota mediante o no.
No sabe que los valores contienen el concepto de la existencia como hecho trascendente. Y que son inmodificables.
No entendería que mi estrella es la proa visionaria de José Ingenieros.
Me ve tan joven y lo dice. Y por eso me cree vulnerable a su risa de máscara.
Ríe que cree en Dios.
Diferentes dioses los nuestros. No entiendo de dioses con pulsión de muerte.
Pero él ríe. Y parece que yo tiro con granadas: las preguntas.
Y él con pétalos de rosas. (C.C.)


EL HOMBRE QUE RÍE

Monseñor... ¿Qué me dice de la democracia?
—Y...yo vivo tranquilo, pero parece que el pueblo no. No está acostumbrado.
Ahora hay destape. ¿Qué le parece?
—Que es una porquería. Aunque personalmente me importa un cuerno, como pastor de esta comunidad no puede agradarme.
—¿Por qué?
—¿Usted estudió la historia de Roma y Cartago? Bueno...los cartagineses cruzaron los Alpes, llegaron hasta las puertas de Roma y se dedicaron a la dolce vita.
—¿Y entonces?
—Entonces los romanos los echaron porque con ellos había llegado la degeneración.


Estos y aquellos, o los unos y los otros

El país sabe hoy de qué manera se violaron los derechos humanos durante los últimos años. ¿Qué piensa de eso?
—Creo que dar tanta difusión a esos hechos puede ser contraproducente. Si lo que queremos es levantar el espíritu sería mejor hablar de lo bueno.
—¿Qué de bueno tuvo el proceso?
—La idea fue buena, muy buena, aunque evidentemente la forma de ejecutarla no fue la adecuada. Pero... yo no quiero hablar de eso. Mi tarea está referida al orden espiritual; muchos trabajadores vienen a consultarme y también lo hacían muchos señores como (el General) Viola y compañía.
No me dijo cuál fue la idea buena...
—Y...querían restablecer la Constitución y la libertad. El país estaba desordenado y ellos querían hacer las cosas bien. También éstos (por el gobierno del doctor Alfonsín) tienen ideas buenas pero aquéllos tomaron por un camino y éstos por otro... ¡y está bien¡
—El camino de aquéllos fue terrorismo de Estado y el de éstos la Constitución...
—... (Monseñor ríe con efusividad).
—¿De qué se ríe?
—Porque son iguales... (burlonamente): ¿Vos creés que ahora hay libertad?
—No convivimos con la muerte, ni con la desaparición forzada de personas, ni con la tortura, ni...
—¡No, no, no!... Para muchas cosas había antes mayor libertad que ahora.
—¿Para qué cosas?
—No me hagas hablar, no me haga hablar...
—¿Cómo que no? Usted está defendiendo la dictadura...
—¡Qué dictadura ni dictadura¡ No me hagas decir eso a mí, yo hablo de la «idea» del proceso. He discutido con el General Viola estos temas porque siempre quería hablar conmigo cuando era comandante y también cuando era presidente.
— ¿Y con Jorge Rafael Videla?
—Lo vi dos veces, nada más... ¿qué querés que le diga con tan poco?
—Hablamos del responsable de desaparición de niños y adultos, de torturas y actos que ni los animales harían...
— Lo que pasa es que los que vulneraron todo desde el principio, se organizaron, organizaron actos y mataron gente, ahora son considerados héroes. Y bueno... ¿Qué hubiera pasado si quedábamos en manos de los subversivos? ¡Imagínate!... ¿Qué hubiera sido de nosotros?
—¿Defiende el terrorismo de Estado?
—No.
—¿Y las torturas?
—No.
—Tenemos treinta mil desaparecidos, Monseñor: Le hablo de vidas.
— ¡Vamos...! No sé si son tantos y además hay muchos que se desaparecieron entre ellos. No podemos decir ahora que los subversivos son todos santos inocentes. ¿Vos conocés a Patricio Kelly? Yo lo conozco mucho: cuando él cayó preso en el ‘55 o ’56 tenía dos hijos adolescentes y yo lo protegí. El escapó y fue a Chile, después lo trajeron de nuevo acá y lo fui a ver porque me lo pidió. Conozco bien a Kelly y te aseguro que no es el indicado para decir ahora algo de alguien y que –por sus palabras- a ese alguien lo metan preso....bah...bah...
—No hablo de Kelly. ¡Hablo del testimonio del genocidio: tumbas N.N, torturas y cuerpos que nunca aparecerán!
—Me parece muy mal.... ¿Qué querés que te diga? Pero yo recién me entero.
—Quienes quisimos enterarnos, por deber humano, nos enteramos....
—¿Sí?...Era gente muy inteligente.
—Si se encuentran culpables... ¿Qué se debería hacer con ellos?
—Ah... Yo no puedo juzgarlos.
—¿Se acuerda de la ley de olvido que propuso monseñor Quarracino?
—Sí. Él es un gran obispo y no voy a contradecirlo nunca...Ni a él ni a ninguno de mis hermanos.
—No me dijo qué piensa de la ley de olvido...
—Ya lo he dicho y no soy un reloj de repetición.
—Usted dijo que hay que olvidar lo malo. Pero los criminales son un peligro para la República. ¿Y usted, ministro de Dios no le da importancia?
—Bah, bah.... muchos de los que dicen eso tendrían que poner al día su conciencia con Dios. Pero además no soy juez y no puedo opinar... ¿Qué me querés hacer decir? Mirá...Tomá... voy a regalarle un catecismo: es el que le dábamos a la policía. Leelo... ¡A ver si te hace bien!


Los sacerdotes y los torturadores

—Qué actitud asumió con los sacerdotes que estuvieron detenidos?
—Acá, en La Plata, no había ningún detenido.
Me contó un sacerdote español –que salvó la vida por ser extranjero- que él estuvo en la cárcel de La Plata y...
—Ah... No sé... Nunca fui a la cárcel.
Dijo que el padre Callejas –que era capellán- compadecido de los presos políticos, les pasaba dinero extraoficialmente pero...
—Ah... No sé nada, eso es cosa de él... ¿por qué no leés el catecismo que te regalé?
Monseñor: el curita español me dijo también que cuando los militares se lo comentaron, usted destituyó a Callejas.
—¡Mentira, mentira!... Calleja murió en diciembre y era canónigo de la Catedral de La Plata.
—¿Y qué me dice del padre Hapon?
—Y bueno... El padre Hapon se fue al Sur. Pero... ¡qué lindos ojos tenés Cristinita!
—¿Por qué se fue?
—Porque se enamoró de una mujer –a la culpa siempre la tienen las mujeres- y se casó. Pero...te di el catecismo, no lo lees y estás como reloj de repetición: preguntás y preguntás. Te digo un piropo y seguís nomás... ¡Tomá un caramelo¡
—Monseñor: el Padre Hapon cobijó en la Iglesia a una pareja perseguida por la represión y...
—Yo no sé nada de eso....
...Y cuando los militares le pidieron a usted la cabeza del padre Hapon, lo dejó solo. Le negó protección: lo condenó a muerte....
—No señor, no señor. El se fue al Sur, allá puso una escuela y se casó... Tampoco lo maté yo.
—No lo veo a usted matando directamente a alguien.
—No, no mato: ni directamente, ni de ninguna manera.
—Pero usted dijo una vez que «no sólo es culpable el que roba una escalera, sino el que la sostiene para que otro lo haga».
—Sí, sí... ¿Cómo sabés tanto de mí...vos sos de los «servicios»? (Monseñor ríe y ríe) Sí, si vos robás y yo mientras tanto te sostengo la escalera, soy tan culpable como usted.
—¿Acepta su culpa?
—Ah, no, Cristinita.....yo no le sostuve la escalera a nadie. (Busca algo en la parte baja del escritorio)... ¿Querés un whisky?
—No, gracias ¿También los obispos mienten?
—Los obispos podemos equivocarnos porque somos seres humanos.
— Equivocarse no es lo mismo que mentir. ¿Cómo es que usted no sabía que había campos de concentración?
— No sabía.
—Había...
—Ah...No sabía...Mirá vos....pobrecitos, ¿no?
—Y había detenidos sin proceso...
—Ah... (Intenta cara de inocente)...Pobres... ¿a vos te dan pena?
—A usted le llegó una solicitud de la Amnesty International del 9 de julio de 1978. Tenía la firma de su presidente, Scott Hoffman. Era un pedido de informes, al cual usted respondió: «Aseguro que en la Argentina no existen detenidos políticos...», ¿se arrepiente ahora?
—Yo no he dicho eso...
—¿Y qué me dice de esto (le muestro una fotocopia del pedido de informes y de su declaración)?
—Y bueno, sí.... ¡Ay que chica preguntona¡ ... Sí, yo sabía que había presos a disposición del Poder Ejecutivo. Claro... pero no iba a verlos, porque iba el capellán.
—¿Y cuál fue la actitud de los capellanes respecto de tanto crimen y tortura?
—Los capellanes cumplían las funciones naturales: les daban auxilio espiritual.
—¿Ve? Reconoce usted que sabía de la tortura y la muerte...
—Yo no reconozco nada
—¿Por qué nunca los capellanes levantaron la voz para defender el derecho a la vida?
—Y... ellos cumplían con su deber y el deber sagrado del sacerdote es no comunicar las cosas. Son secretos de oficio...
—Lo que usted dice burla el sentido común y el respeto a la vida. ¡Cómo no van a hacer nada si ve que matan o torturan?
—Usted está hablando de una cosa hipotética.
—Estoy hablando de las cárceles que usted reconoció que visitaban los capellanes...
—No me consta que las visitaran. Ellos iban a la Unidad 9 de acá (La Plata, provincia de Buenos Aires). Ahí había presos políticos que estaban a disposición del Poder Ejecutivo.
—Estamos hablando de lo mismo y hace rato reconoció que daban auxilio espiritual....
—¿Y qué? ¿A usted le consta que lo torturaban?
—Mire, se sabe que mientras torturaban a alguien, había siempre un sacerdote... (A esta altura el padre Andrés, secretario de monseñor Plaza y accidentalmente en el lugar, hace exclamaciones de horror).
—No, eso es mentira, es una infamia.
Se dice también que en el ’76 se reunieron diez capellanes para establecer si correspondía o no dar la absolución a los ejecutores de la tortura. Y nueve –nueve ministros de Dios- votaron por la afirmativa. Excomulgan a quienes se divorcian y bendicen a los torturadores....
—No sé nada de eso, es la primera noticia que tengo. Pero le hago saber que si alguien se arrepiente y promete no hacerlo más, hay que darle la absolución.
—¿Cómo si hubiera cometido cualquier pecado, cómo si hubiera dicho una mala palabra?
—No hay malas palabras, pero... (Se ríe)... hay apellidos que parecen una mala palabra.
—¿Cómo cuál?
—Como Caputo (Se refiere al entonces Canciller, Dante Caputo, mientras ríe y ríe))


Las manos con sangre del general Camps

—Cuénteme de su amistad con Camps...
—El era el jefe de policía y yo capellán general; lo conozco desde que era Mayor. Pero... amigos... la amistad... yo puedo decir que tengo amistad con una persona, pero no que sea amiga mía.
—Le recuerdo sus palabras: «Yo soy amigo de Camps y eso no es ningún delito». ¿Qué afinidades les permitían ser amigos?
—Esas son macanas que ponen en mi boca. Usted puede pensar lo que quiera, pero yo digo la verdad.
—Usted dijo en una ocasión que vio a Camps con sangre en las manos. ¿De quién era esa sangre?
—El venía de un operativo, de un enfrentamiento con guerrilleros y de ahí vino a verme a mí. Trajo sangre en las manos, sí señor.
—¿Y no le preguntó, reprochó, denunció?
—¿Y por qué iba a denunciarlo?
—¿Y llama enfrentamientos a secuestrar personas de madrugada, incluidos niños?
—Sí, sí, sí, y el policía que estaba al lado de Camps cayó herido.
—Monseñor... Defender la represión es fomentarla....
—Eso no es cierto. Ya lo ha dicho el arzobispo de San Juan: hay una confabulación para hablar mal de mí.
—¿Por qué no sale al cruce de esas versiones?
-Porque yo lo he dicho una vez y porque no soy reloj de repetición.
—¿Qué hizo usted como hombre de la Iglesia, por los perseguidos?
—Todo lo que debía pero no puedo hablar de eso.
—¿Qué opinión le merecen las organizaciones de derechos humanos?
—No actúan con sinceridad. ¿Usted cree que Ernesto Sábato es sincero en todo? (Monseñor ríe a carcajadas.) Pero Sábato comía con Videla, ¿no? (ríe como si le hicieran cosquillas) Muy bien, sos muy linda y muy simpática, pero esto se terminó.
—¿Usted no cree en la CONADEP (Comisión para investigar la desaparición forzada de personas)?
—No....esa es una comisión inútil... está hecha a dedo.
—Hábleme de Madres y Abuelas de Plaza de Mayo, por favor...
—No quiero hablar de eso. Se acabó.... ¿querés un café, linda?
—¿No le parece significativo que nunca hayan acudido a usted en busca de su consuelo?
—No, porque lo tenían en otro lado, bah...


La polémica amistad de Herminio Iglesias y Monseñor

—¿La Iglesia descuidó el aspecto espiritual por el poder político?
—No. Nosotros tenemos una Iglesia espiritual, que también atiende los asuntos temporales y políticos.
—¡Qué mundo este¡ En nombre de Dios y del amor una madre da a luz a un hijo. Y con el nombre de Dios y del amor en la boca, se comenten crímenes horribles...
—Es que algunos se ponen el nombre de Dios en la boca, pero actúan de otra manera.
—¿Como usted?
—No...¿Cómo se te ocurre?
—¿Y qué opina de la actitud de la Iglesia respecto de los derechos humanos?
—(Mira hacia la ventana)...Mirá vos cómo llueve.
—Llueve, Monseñor. Según la teología tomista la verdadera Iglesia se reconoce por las persecuciones de que es objeto, ¿dónde está hoy la persecución?
—A mí me persiguen los periodistas, así que debo de ser bueno. (Llama a su secretario y le pide una Biblia. Me la da.) Tomá... leela... Te la regalo... A ver si aprendés, a ver si va al cielo...Te hace falta leerla.
—¿Cómo era aquello de su amistad con Herminio Iglesias?
—El vino acá con Amerise y compañía, cuando era candidato a vicepresidente. Me preguntó que me parecía para ministro de Educación un señor a quien trajo y yo le contesté que me parecía que podía ser útil. Bueno, después salió todo eso de que yo lo apoyaba. No fue el único que vino acá, también vinieron Balbín y Anselmo Marini de quien aún soy amigo y...
—Usted siempre cerca del poder...
-No es cierto. Y cuando he tenido que decirle algo a alguien se lo he dicho.
—¿Usted es peronista?
-No soy peronista ni antiperonista. (Se pone de pié, me sonríe) Mirá, cuando llegaste te di cigarrillos, después te regalé un catecismo y la Biblia; y cuando te vayas te voy a dar un beso. Quiero a todos los seres humanos y vos sos una jovencita muy bella y simpática... Por eso te regalo todo.
—Soy una profesional... ¿Simpática?
—Sí, porque decís todo lo que pensás. Preparate bien para ir al cielo porque nos vamos a ir juntos después...
—Difícil, si piensa -como su amigo Camps- que los periodistas somos todos subversivos...
—Y bueno alguna razón tiene. Todos no pero algunos...así que...(amenazante) pensá en vos, linda.

http://www.cristinacastello.com/

Publicado en la Revista La Semana, 5 de abril de 1984
Buenos Aires, Argentina
Texto posterior, en introducción, del 10 de febrero de 2002

Copyright © 2002 Cristina Castello

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*Cristina Castello es poeta y periodista. Buenos Aires /París

* Este artículo es de libre de reproducción, a condición de respetar su integralidad y de mencionar a la autora.

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