PENSER SANS DOGMES
de Pierre-Marie Pouget (2009)
Préface
En abordant un livre de Pierre-Marie Pouget - et c’est ici son 10ème essai philosophique - l’on est sûr d’entrer de plain pied dans la riche substance d’un être libre et responsable, dont l’écriture est soulevée par un puissant souffle d’imagination.
Léon, installé dans un veuvage actif, ne cesse d’arpenter le questionnement identitaire, en quête d’une manière de percevoir le monde et d’agir sur lui. Un monde toujours en train d’apparaître autour de nous, jamais fini, témoin d’une totalité existante ouverte qui transcende les modèles les mieux étayés par les faits, qu’il s’agisse, comme il dit, du « Big Bang », ou du « Bang Big ».
Selon l’auteur, l’existence est un ensemble positif d’interconnexions dynamiques, transitoires et insaisissables, et rien n’existe isolément.
Pour appréhender plus sûrement cette totalité mouvante, Léon utilise les idées de la physique sur l’évolution de l’univers, persuadé qu’elles offrent des garanties de validité inégalées par d’autres modes de connaissance. Enfin, Léon se demande si une véritable compréhension du monde ne passerait pas par la notion bouddhiste de vacuité pour exprimer, selon ses termes, le potentiel permettant aux phénomènes de se déployer à l’infini. Ainsi la vacuité, vue sous cet angle, ne signifierait pas le néant, mais un vide actif. Voilà qui est tentant et prometteur !
Le ton est donné. La vision de Pierre-Marie Pouget est énergique, ouverte à tous les possibles, prête à accueillir l’imprévu, le jamais vu, jamais su, jamais encore vécu !
Pour mieux exprimer et développer ses idées novatrices, l’auteur se crée un double féminin, une amie philosophe célèbre avec laquelle il peut dialoguer, par projection et rebondissement, de soi-même à soi-même, avers et revers d’un même miroir. Un socle aussi solide que transparent, lui permettant de s’élancer, de s’envoler dans l’espace d’une découverte permanente. En passant, le questionnement englobe Irma, l’épouse disparue, versée elle aussi en philosophie, interface entre ce qui fut et ce qui est, et ce qui continue au plan spirituel avec l’amie philosophe suscitée.
Le dialogue peut donc se poursuivre, ininterrompu. Approfondi, creusé et recreusé tout au long du livre, il fait dès lors irrésistiblement penser à une présence tutélaire qui pourrait être celle de la grande philosophe Jeanne Hersch…
L’interlocuteur, Léon, en qui s’incarne l’auteur, révèle son credo dans le chapitre intitulé : « Genèse d’une attitude stable et ouverte ». Il vaut la peine de citer un extrait de cet « idéal de la raison pratique », auquel le lecteur averti se ralliera sans peine s’il est partisan d’une conscience élargie et d’une conscientisation planétaire :
« Dès sa jeunesse, Léon s’était tourné vers l’universel qui nous rassemble par le haut, dans la noblesse de notre être à qui il revient de se régir lui-même. Cet idéal lucide ne tolère pas le nivellement, l’alignement, le totalitarisme, le collectivisme, le communautarisme, l’obéissance servile à quelque autorité que ce soit. Il fait de lui un combattant pour les droits universels de l’homme, pour le règlement des conflits par la loi juridique, un dénonciateur de la notion de guerre juste. »
Léon n’hésite donc pas à dire, et vertement, ce qu’il pense de l’Union européenne, des spéculateurs sans morale, des managers avides et cyniques, sans foi ni loi. Il fustige les prélats collaborant avec les pires escrocs de la finance, et l’Eglise catholique romaine, dont les préceptes doctrinaires, éthiques et moraux, s’emmêlent dans leurs contradictions face aux impératifs du monde actuel et aux immenses défis à résoudre, comme la contraception, le sida, la santé publique, par exemple et entre autres.
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A l’inverse de bien des « écrivants » autocentrés, mus par des doutes, des peurs et des obsessions, l’écrivain Pierre-Marie Pouget s’excentre de l’illusion du moi, propose une éthique repensée, un art de vivre axé sur le juste milieu, accueille les situations nouvelles, écarte un à un les voiles de la vérité existentielle, lente et sûre avancée vers la compassion et la joie. Dans ce roman philosophique, une habile fiction sert à habiller sa rhétorique. Ses personnages sont donc des projections de lui-même permettant un dialogue constructif et foisonnant.
Il ne nous impose pas, comme beaucoup, des fantasmes personnels qui alourdiraient encore notre quotidien. Il suggère plutôt des solutions pouvant au contraire alléger notre vécu, endiguer nos émotions et les dépasser. Il donne à viser un équilibre entre la machine du corps et le timonier régulateur qu’est l’esprit.
En fait, ce ne sont pas nous, les liseurs, qui devons nous pencher sur l’ego d’un auteur étalant ses problèmes non résolus, mais bien lui, le philosophe serein qui nous tire hors de nos propres problèmes afin que nous progressions et apprenions ensemble, dans l’évidence et l’interdépendance de ce qui est.
Par ailleurs, au-delà des phénomènes manifestés, il y a le fait même d’exister, qui est un puissant moteur vers la création artistique, vers l’expérience indicible que seules peut-être, concède-t-il, peuvent évoquer et approcher les images poétiques, jusqu’à se confondre avec elle. Un hommage à la Poésie qui ne peut manquer de frapper la soussignée, dont c’est là le mode d’expression préféré. Encore faut-il que l’être humain engagé dans la création artistique sache se dégager de l’encombrant boulet des valeurs judéo-chrétiennes pour atteindre, au-delà, les couches les plus profondes de la vie. Une exploration courageuse où, dit l’auteur, seuls les hommes en soliloque avec leur fin inéluctable peuvent valoriser chaque instant de leur vie.
Pour autant, les créateurs ainsi libérés peuvent-ils se sentir à même de créer dans une société, la nôtre, toute de profit matériel et d’indigence spirituelle ? Et cela en ce début du XXIe siècle alors que Nietzsche déjà, au XIXe siècle, revendiquait désespérément la liberté d’être soi, d’avoir une valeur non marchande, non monnayable, à respecter pour elle-même ?
S’il avait vécu en notre temps, Nietzsche aurait sans doute clamé que l’homme, à défaut de création positive, crée lui-même sa condition tragique et, à moins d’être le surhomme appelé de ses vœux, n’arrive ni à la reconnaître, ni à la dépasser…
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Pour en revenir au personnage Léon, la vie réglée de ce dernier lui permet d’accomplir son travail d’écrivain comme acte de présence à soi, à son insertion dans le monde et la société. Il en parle avec sa fille Isabelle, une interlocutrice avisée et attentive. Tous deux sont lecteurs assidus d’ouvrages littéraires, occasion d’analyses pertinentes.
Il s’ensuit un examen des relations sadomasochistes telles qu’elles sont décrites par un auteur actuel, au terme duquel père et fille affirment rejeter le christianisme fondé sur la soumission de l’homme à la domination volontaire toute puissante de Dieu !
Jésus, en revanche, relativise les pratiques religieuses et annonce une spiritualité personnelle, directement reliée au divin. Le seul espace sacré est donc l’esprit humain, rétif à tout exclusivisme religieux. A ce stade intervient un nouveau personnage, homonyme du théologien Hans Küng, mais dont les travaux ne dépendent d’aucune instance ecclésiale, et dont l’ouverture critique devrait, selon l’auteur, être pratiquée dans les facultés de théologie et les universités. A cette proposition audacieuse succède un développement sur les Ecritures et l’être historique de Jésus, nous montrant combien Pierre-Marie Pouget reste marqué par ses études de théologie – autrefois contemporaines de ses études de lettres – au cours desquelles il avait estimé que l’Eglise traditionnelle trahit le Christ des Evangiles, comme au temps du Grand Inquisiteur des « Frères Karamazov » de Dostoïevski. Or, dit-il, le message de Jésus est la liberté intérieure, aux antipodes de l’Eglise de l’Inquisition… Il est trop subversif pour être toléré… Il ne cherche pas à supprimer le tragique de l’existence, il l’assume… Il nous ramène à la conscience libre et à l’Amour.
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Nous laisserons maintenant la conclusion à Léon, alias son créateur de « Penser sans dogmes », car par-delà les questions interreligieuses spécifiquement chrétiennes, elle invite au dialogue soutenu et non seulement ponctuel avec les civilisations autres que la nôtre, toutefois basées elles aussi sur une éthique inaliénable qui nous est commune :
« Au-delà de la question de l’avenir du message de Jésus, qui est la source historique des grands principes de nos Etats de droit, ma conviction est qu’il faut aujourd’hui repenser ces principes en dépassant les clivages entre croyants et non croyants. Cela exige de relire tout notre héritage moral : de la Grèce antique et du judaïsme aux Lumières modernes, en passant par le christianisme. Ancrés dans nos valeurs les plus fortes, nous serons plus aptes à dialoguer avec ceux qui, dans d’autres civilisations et sur le fond d’une autre histoire, partagent le même souci de l’être humain. Pour éviter de succomber au péril des fanatismes religieux, de leur vision totalitaire de la société, mais aussi pour ne pas céder au consumérisme déshumanisant, notre monde a besoin du dialogue entre tous ceux qui sont attachés à la dignité et à la liberté de la personne humaine. »
Luce Péclard
15.10.09
PENSER SANS DOGMES, essai (paru aux Editions du Madrier, CH 1416 Pailly, automne 2009) :
Pierre-Marie Pouget, né le 12 février 1941, à Orsières/VS-CH, est licencié en théologie, licencié ès lettres et docteur en philosophie. Il a également étudié la psychanalyse à l’Université de Paris VII. Professeur retraité, il poursuit son activité d’écriture : poésie, récits, romans, nouvelles, essais, articles, préfaces. Il vit alternativement à Rolle et dans le val Ferret, Valais.

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