J’AI TU ES
Dans un espace clos, à l’intériorité d’un vaste nulle part,
Une main.
Au terme d’une dure journée de labeur, de sang et de cendres, elle se repose à l’ombre-lumière de cette anti-chambre aux issues cadenassées.
Ce lieu, témoin de tant de confidences de malheurs et de douleurs.
Une main. Désossée. Exténuée. Dégoulinante. Affublée d’accoutrements à double face À multiple usages.
L’image d’un corps sans âme. L’odeur nauséabonde de la mort.
Une main... Rescapée du naufrage et du désastre.
Son ego ? Perdu dans les décombres du désordre et du chaos.
Une main.
Face au miroir
Reflet de ses entrailles,
Image de ses angoisses,
Écho de ses peurs,
Mirage de ses illusions à l’image de son image
Inhumaine.
Destructrice.
Dévastatrice.
Compagne fidèle de Narcisse préoccupé à cultiver ses obsessions éternelles A immortaliser le reflet de son image à la surface de l’eau de la source tout en contemplant ses formes et ses atours.
La voilà qu’elle se met à vanter ses derniers exploits
Meurtriers
Assassins
Aujourd’hui, je suis entrée par effraction au coeur de cette ville. Sans clé ! Sans laissez-passer !
Aujourd’hui, J’ai tu-es
Combien ?
Oh, en série. À la pelle. Un « killer » en nombre je suis !
Eh oui ! Ma main a encore frappé. J’ai étouffé des rires, interrompu des conversations, réveillé des peurs, ressuscité le désir d’exil.
Ce matin, alors que la normalité et la routine, main dans la main, achevaient d’installer leur long, triste et monotone manteau dans les coeurs des âmes de cette ville, je n’ai pas pu m’empêcher de mettre mon grain de sel.
Je n’aime pas le calme. Je voue une haine profonde à la vie. Le mouvement et l’espoir sont mes pires ennemis. Je suis né d’un père Néant et d’une mère Absence.
Mon enfance est malheur, abandon, indifférence, exécration.
Rancoeur j’étais.
Rancune je suis.
Vengeance je serai. Toujours. Pour la vie. Éternellement.
La Mort est mon royaume. Mon refuge. Mon abri !
Aujourd’hui j’ai tu es.
J’ai investi tous les espaces. Toujours en voyage. J’agis partout. Constamment en mouvement. À n’importe quelle heure de la journée :
Matin. Midi. Soir.Printemps. Eté. Automne. Hiver.
Je frappe aveuglèment : À Paris. Alger. Casa. New york. En Iraq. Et bientôt sur la lune.
Sans pitié. Des hommes. Des femmes. Des enfants. Même des animaux. Je n’épargne personne. Sans distinction... De sexe De race De classe.
J’ôte la vie.
Je détruis.
J’anéantis. Un point c’est tout. J’ai une renommée internationale.
Malgré moi, je suis devenue universelle. On me traque. On me poursuit. On me chasse. On me recherche. Mais nul a le pouvoir de me localiser. De m’arrêter. De m’identifier
Oui. J’avoue.
Aujourd’hui j’ai tu es.
Elle me démangeait trop. Je n’ai pas cessé de gratter.
La gauche !
Porte malheur !
Mauvais présage !
J’ai tu es.
Je tue.
Je tuerai.
Encore. Et encore
Et nul ne parviendra à m’arrêter dans ma course folle vers l’enfer.
Et mon ego ? Dis-tu. Il a disparu de ma vie. A jamais. Que le Diable ait son âme.
Enterré
Oublié.
Je m’en vais tu es encore et encore.
Dehors, les sirènes retentissent à tue tête. Les rues sont sens dessus-dessous.
Le paysage rouge-sang effraie les regards désormais tournés vers un ailleurs clément. Les mémoires qui se souviennent cherchent inlassablement à refermer les plaies béantes.
Au milieu des décombres, une femme, assise à même le sol. Le regard perdu dans le vague, elle tente de fixer la lumière évanescente de ce jour de brume épaisse. Elle lutte de toutes ses forces contre les images qui s’enracinent dans sa mémoire.
La langue nouée, la bouche sèche, elle psalmodie des formules incantatoires. Tantôt des poèmes de Si Mohand ou M’hand. Tantôt des vers de El Moutanabi. Et des fois, des sourates du Coran Saint. Sa main droite essuie les larmes d’un enfant qui pleure un père fauché prématurément. Elle tient dans sa main droite l’égo perdu. Cette autre main qui agonise dans le rouge du soleil mourant.
Oulala
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