Suite à la découverte de gisements de gaz off-shore, une crise pour la démarcation maritime a soudain éclaté entre le Liban et Israël. Israël agit librement dans la détermination de son propre espace, tandis que le Liban pense que ce qu'Israël s'est fixé pour lui-même empiète sur une zone qui appartient au Liban. Le différend a très vite provoqué des tensions, et même avant les médias libanais, les médias occidentaux ont commencé à évoquer la possibilité d'une confrontation militaire entre les deux parties qui pourrait évoluer vers un état de guerre. Si la guerre éclate, elle se le limitera pas aux seuls Liban et Israël.
Israël a découvert le gaz à la fin de l'année 2009 grâce à une compagnie appelée Noble Energie, consortium US-Israël dont la maison-mère est aux Etats-Unis. Jusqu'à présent, deux champs ont été découverts. Le premier, en 2009, a été appelé Tamar, alors que le second, découvert en 2010, a reçu le nom de Léviathan. Israël a immédiatement entrepris des forages en mer pour extraire le gaz, et il est prévu de commencer la production du gaz du champ de Tamar en 2010, et celle de Léviathan en 2014 ou 2015.
La zone de production de gaz se situe entre trois pays : le Liban, Chypre et Israël et, dans ce cas, il faut décider de la délimitation des frontières des eaux à des fins d'exploitation économique exclusive par chaque pays. Il y a une alternative, à savoir que même si on parvenait à identifier des zones d'exploitation économique exclusives à chaque pays, le gaz serait exploité conjointement par les deux Etats.
La démarcation des frontières maritimes entre Israël et Chypre a eu lieu par le passé, mais elle n'a pas été faite entre Israël et le Liban en raison de l'absence de relations diplomatiques entre les deux pays. En tant que telle, cette question n'a pas été discutée dans le cadre des Commissions d'Armistice. Elle a fait l'objet de discussions, il y a peu de temps, lors d'une réunion militaire trilatérale (libanaise, israélienne, internationale) qui a eu lieu à Naqoura, le 7 mars 2011, où le Liban était représenté par le Major-Général Abdul Rahman Shiteley. Il a proposé une délimitation des frontières maritimes d'une manière similaire à la Ligne Bleue entre le Liban et Israël, qui a été dressée par l'ONU en juin 2000 (après qu'Israël ait été chassé du sud Liban par la résistance, ndt).
Le Major-Général Shiteley a demandé que le commandant des forces des Nations Unies (UNIFIL) transmette officiellement à l'ONU la requête du Liban de délimiter une frontière de sécurité selon les lignes de croisière, c'est-à-dire une "ligne bleue" navale, sans aucune négociation entre le Liban et Israël. Il est important de noter ici que les Nations Unies ont rejeté la demande du Liban d'aider à la délimitation de la frontière maritime avec Israël, refus qui a été annoncé par le Coordonnateur spécial de l'ONU au Liban, Michael Williams, en conclusion d'une session fermée du Conseil de Sécurité le 21 juillet 2011. Il a même refusé de parler de ce que le représentant du Liban, l'ambassadeur Nawaf Salam, avait abordé pendant la même réunion, où il avait affirmé qu'Israël "était en train d'installer, unilatéralement et illégalement, une balise à l'intérieur des eaux territoriales libanaises." Le secrétaire d'État US pour le Moyen Orient, l'ambassadeur Jeffrey Feltman, a dit qu'au sujet de ce conflit, son pays n'était ni avec le Liban, ni avec Israël.
En conséquence de cette situation, le Liban essaie maintenant de formuler une "loi sur la démarcation des frontières et le pétrole". Jibran Bassil, ministre de l'Énergie, a dit que le Liban avait fixé ses frontières maritimes sur la base de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, qu'il a signée. Il a ajouté que, "Israël doit signer cet accord et s'y conformer avant de parler de droit international."
Le Liban a ensuite annoncé qu'au début 2012, il lancerait des adjudications pour des contrats de prospection du pétrole et du gaz, en particulier au sud de son domaine économique exclusif près d'Israël ou le chevauchant. Israël a immédiatement lancer une menace militaire, avec Uzi Landau, ministre israélien de l'Infrastructure, annonçant que "Israël est prêt à faire usage de la force pour protéger les champs gaziers qui ont été découverts en Méditerranée." Il a attiré l'attention du magazine américain Time, qui a prédit que "la découverte du gaz israélien (...) pourrait conduire à une guerre entre Israël et le Liban."
En réponse à ces menaces, le président libanais, Michel Suleiman, a déclaré : "Nous mettons Israël en garde contre toutes décisions unilatérales sur la question des frontières maritimes, et j'affirme que le Liban est prêt à défendre ses droits et ses richesses, par tous les moyens légitimes." Puis, le 26 juillet 2011, Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, a signifié que "il déconseillait Israël d'étendre la main dans cette région ou d'entreprendre tout acte qui pourrait conduire au vol des ressources du Liban." Il a également dit, "Quand le gouvernement libanais considère qu'un secteur fait partie de ses eaux territoriales, la résistance agit comme si c'est une zone régionale libanaise." Dans une autre déclaration, Nasrallah a prévenu que "si des installations libanaises sont exposées aux bombardements israéliens, des installations israéliennes seront bombardées."
Cette nouvelle confrontation libano-israélienne sur la question des champs gaziers off-shore fait partie d'une confrontation plus large. Il y a un conflit d'intérêt et de frontières de longue date entre Israël et le Liban, sur la terre et sur l'eau, tandis qu'Israël occupe des parties du Liban malgré le prétendu retrait de 2000. Les troupes israéliennes occupent les Fermes de Shebaa et les hauteurs de Kafr Shuba, au sud du Liban, comme il occupe la partie occidentale du village de Ghajar. La partie orientale de Ghajar appartient à la Syrie et est située dans les Hauts du Golan, occupés depuis 1967. La question de la délimitation maritime se complique à la lumière de ce passif parce que tout changement dans la délimitation des frontières terrestres signifie un changement similaire dans les frontières maritimes, et d'où la confusion actuelle sur la localisation des champs gaziers découverts pour le Liban ou pour Israël.
Les prétentions israéliennes sur les eaux libanaises, en particulier les eaux du fleuve Litani, ont commencé avec l'établissement de l'État d'Israël et se poursuivent jusqu'à aujourd'hui. Nous nous souvenons du projet de 1952 proposé par l'envoyé spécial américain Eric Johnston de partager l'eau entre Israël, le Liban et la Syrie. Il a donné à Israël une part importante de l'eau tout en en privant le Liban, au motif que le Liban n'avait pas de projets de développement de l'agriculture. Bien que ce projet ait été rejeté à l'époque, Israël continue d'y faire référence en cherchant à contrôler les eaux du Litani. L'objectif de son invasion du Sud Liban en 1978 était d'atteindre cette rivière, c'est pourquoi l'opération avait été nommée "Opération Litani". À l'époque, Israël avait creusé un tunnel de 17 km de long pour détourner l'eau du Litani vers Israël, et a toujours cherché à avoir le Litani comme frontière nord. D'où les tentatives répétées d'Israël pour occuper le sud Liban.
La question du gaz qui vient de surgir doit être envisagée selon la conception constante d'Israël au sujet de ses frontières avec le Liban : il veut conserver une partie importante de la terre et il veut aussi contrôler l'eau. Et il espère maintenant contrôler le gaz des eaux profondes. Lorsque ces trois éléments se rencontrent, la perspective d'une guerre devient permanente, et elle est maintenant plus probable que jamais.
Et si la guerre éclate au Liban, elle ne restera pas un conflit confiné à l'intérieur des frontières libanaises, mais elle deviendra une guerre qui impliquera toute la région. Il faut donc que toutes les parties concernées en décryptent les signes avant-coureurs.
Bilal al-Hasan - L'auteur est un écrivain palestinien. Première parution de l'article : Al Sharq Al Awsat, 1er août 2011
Source : Middle East Monitor
Traduction : MR pour ISM
ISM France
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