Déterminés à solliciter le mois prochain un vote des Nations Unies reconnaissant la Palestine, les chefs de l’Autorité de Ramallah sont très occupés à convaincre Washington et Tel Aviv qu’il n’y a absolument pas lieu pour eux de s’inquiéter, écrit Saleh Al-Naami.
La réunion commanditée dans un hôtel de Londres par Khaled Al-Ateya, le Ministre qatari de la coopération internationale, a duré jusqu’au lendemain vendredi à 4h du matin, avec la participation de Saeb Ereikat, membre du comité directeur de l’Organisation de Libération de Palestine [OLP], et d’un certain nombre d’experts britanniques en matière de droit international. Le but était de préparer pour le compte de l’OLP une ébauche du document devant être présenté en septembre devant les Nations Unies pour la reconnaissance d’un État palestinien. Les juristes et experts britanniques ont assuré Ereikat que selon le droit international, l’OLP a plusieurs puissants arguments juridiques à faire valoir devant les Nations Unies.
À première vue, la réunion semblait donner la preuve de la détermination palestinienne à aller de l’avant par rapport à son projet de septembre, et qu’en particulier le président palestinien Mahmoud Abbas, insistait sur le fait que l’Autorité Palestinienne sollicitera une reconnaissance de la Palestine par les Nations Unies. Mais un regard plus attentif fait émerger quelques doutes quant au sérieux de cet objectif, Ereikat déclarant lui-même qu’une date n’avait pas été encore fixée pour la démarche devant les Nations Unies - contrairement à ce que certains dirigeants palestiniens avaient déclaré, à savoir que cette demande serait faite en septembre. D’autres indices font apparaître des tentatives, à l’initiative d’Abbas, de relancer des entretiens bilatéraux avec Israël dans l’espoir que d’éventuels résultats puissent permettre d’éviter de se présenter devant les Nations Unies en septembre.
Les médias palestiniens et israéliens ont fait savoir que le président israélien Shimon Peres avait décommandé une réunion secrète avec Abbas après que le premier ministre israélien Binyamin Netanyahu ait refusé de donner à Peres le moindre message positif à destination d’Abbas pouvant représenter un progrès et convaincre le président palestinien de ne pas se rendre à l’ONU. Les cercles palestiniens rejettent cette éventualité, arguant du fait que l’AP n’aboutira à rien en allant à l’ONU alors que des négociations seraient en cours.
« Aller à l’ONU devrait faire partie d’une nouvelle stratégie pour remplacer la stratégie des entretiens bilatéraux, » a suggéré Hani Al-Masri, directeur du Centre palestinien pour les médias, la recherche et les études [Palestinian Media, Research and Studies Centre]. « Nous avons payé un prix élevé en comptant sur des négociations pour atteindre les buts qui sont les nôtres. Aller aux Nations Unies doit être une politique permanente, et pas simplement une réaction temporaire suite à des entretiens bilatéraux qui n’ont rien donné. Solliciter le Conseil de Sécurité doit être le premier chapitre d’une nouvelle stratégie alternative palestinienne, laquelle inclut aussi d’autres chapitres, épisodes et étapes pour déterminer la marche à suivre après la fin et l’échec du processus de paix. L’engagement du mois de septembre devrait être le début du désengagement des négociations bilatérales initiées par les accords d’Oslo, suivies jusqu’à aujourd’hui et qui n’ont amené que des catastrophes, la perte de notre terre, de Jérusalem et l’affaiblissement de notre cause. [Oslo] à divisé notre peuple et sa patrie, et a fait régresser la cause palestinienne à tous les niveaux. »
Al-Masri a souligné les nombreux obstacles s’opposant à l’engagement de septembre, avec en premier plan l’objection des États-Unis et des principaux États européens à reconnaître un État palestinien, et il met en garde contre le Quartet, qui a été incapable de définir la base ou le cadre de référence d’un processus de paix. Al-Masri a expliqué aussi que l’importance de la décision d’aller à l’ONU « se situe dans le fait que c’est un divorce définitif par rapport à l’option des négociations bilatérales, et une préparation pour l’adoption d’une autre stratégie permettant d’atteindre les objectifs que les négociations ne pouvaient pas remplir. »
Il a en même temps prévenu de ne pas attendre trop de bénéfices de la démarche devant les Nations Unies, la réalité étant que les territoires palestiniens sont sous l’occupation militaire israélienne, quelque soit leur statut juridique.
Même si l’AP [de Ramallah] va au bout de sa démarche devant les Nations Unies en septembre, il y a des signes que la direction de l’AP fait son maximum pour envoyer des signaux destinés à rassurer Tel Aviv et Washington, selon lesquels les conséquences de cette initiative n’iront pas au-delà sièges sociaux de l’ONU. Et en particulier qu’Israël ne fera pas face à aucune répercussion sur le terrain. Les preuves les plus évidentes sont qu’Abbas a accepté d’envoyer les responsables des agences de sécurité de l’AP à Washington pour qu’ils y rencontrent leurs homologues israéliens sous les auspices de Dennis Ross, conseiller du Président Barack Obama. Ross souhaite s’assurer que les agences de sécurité de Ramallah ne permettront pas que septembre devienne un tournant dans les manifestations de la résistance populaire palestinienne contre l’occupation.
Les Américains et les Israéliens savent bien que les agences de sécurité de l’AP ne toléreront jamais une relance de la résistance armée à l’occupation en Cisjordanie, mais ils s’inquiètent de la possibilité que l’engagement de septembre ne devienne, pour des protestations populaires, un tournant qui déclencherait une troisième Intifada.
Ross n’a pas seulement convoqué les chefs des agences de sécurité de l’AP pour en obtenir l’engagement qu’ils ne permettront pas un soulèvement populaire dans la foulée du vote de septembre, mais aussi pour superviser un accord entre les chefs de sécurité de l’AP et l’armée israélienne sur un plan détaillé pour atteindre cet objectif. Les États-Unis veulent rassurer Tel Aviv selon quoi la réaction palestinienne après septembre demeurera dans les limites tolérées. En pratique, cela signifie que les États-Unis veulent établir un mécanisme calmant les appréhensions israéliennes que la situation ne se détériore au point de menacer Israël et d’épuiser l’armée d’occupation et ses agences de sécurité.
Après les réunions de Washington, l’AP a envoyé des signaux clairs et évidents montrant qu’elle ne prévoyait pas de changer les règles du jeu. Elle a intensifié ses campagnes d’arrestations contre les responsables et militants du mouvement Hamas et du Jihad Islamique en Cisjordanie, en dépit de l’accord national inter-palestinien de réconciliation. Un autre indicateur est le sabotage de cet accord de réconciliation par Abbas, lequel insiste pour que Salam Fayyad dirige le nouveau gouvernement intérimaire, bien que la nomination de celui-ci soit fermement rejetée par le mouvement Hamas et contestée même à l’intérieur du Fatah.
En attendant, les doutes sont nombreux concernant les déclarations faites au sujet d’une crise financière dans l’AP et de son incapacité à verser les salaires, alors que les experts économiques insistent sur le fait que les finances de l’AP n’ont pas évolué de façon dramatique. Même s’il y avait une crise, l’Algérie a récemment versé à l’AP près de 60 millions de dollars et l’Arabie Saoudite a pris la décision de transférer dans l’urgence une aide financière.
Bassam Zakarna, président du syndicat des employés de l’AP et une importante figure du Fatah, a indiqué que la crise financière annoncée par Fayyad est fabriquée de toutes pièces. Zakarna a mis en accusation le gouvernement de Ramallah, disant que le trésor de l’AP dispose des liquidités nécessaires pour verser les salaires mais qu’il a choisi de ne pas le faire afin de développer un sentiment de frustration parmi ses employés.
D’autres observateurs estiment que la supposée crise des salaires vise à distraire l’attention des gens avec deux objectifs. D’abord préparer le terrain pour une décision palestinienne de ne pas se rendre aux Nations Unies, ou de différer la démarche indéfiniment. Ensuite pour limiter les réactions populaires palestiniennes à propos de septembre en fixant l’attention de chacun sur ses problèmes financiers.
Dans les semaines à venir, nous ne pouvons que nous perdre en conjonctures sur les implications pour les Palestiniens d’un vote en septembre. Si l’AP de Ramallah affirme que rien ne changera et refuse de dire au reste du monde et particulièrement aux États-Unis, que l’initiative de septembre représente un tournant, il n’y a aucune chance que cette étape puisse faire pression sur l’Occident pour que celui-ci change d’attitude envers Israël. D’autre part, le maintien du statu quo n’est pas une option... Du moins si les chefs de l’AP souhaitent éviter la colère de la rue palestinienne.
Photo : Saëb Erakat et Mahmoud Abbas, "losers" de profession ? - Photo : AFP
Protection Palestine
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