samedi 13 août 2011

Septembre et après ?

Mazin Qumsiyeh

Certains de mes amis du Fatah et d’autres n’aimeront pas une part de ce que je dois dire ici. D’autres le respecteront et même l’apprécieront, y compris des membres du Comité central du Fatah. La situation devient intolérable et certains d’entre nous pensent que nous ne pouvons pas garder le silence. Je dois personnellement ceci aux 50 000 d’entre vous qui lisent de temps à autre mes e-mails et à ceux, nombreux, qui m’écrivent spécifiquement pour m’interroger sur la question de septembre.

La goutte qui a fait déborder le vase et décidé de cet écrit a été un e-mail aujourd’hui du Dr. Saeb Erekat qui contenait un document prétendant être la stratégie de la direction palestinienne à l’ONU pour la reconnaissance en septembre. Le même jour, les autorités israéliennes ont introduit des projets de loi à la Knesset pour rendre Israël plus juif (voir ci-dessous) et ont approuvé 900 nouveaux logements dans une colonie exclusivement juive à Har Homa C. C’est une colline adjacente d’Har Homa A et B et c’est à Jabal Al-Deek, terre de mon village de Beit Sahour. Les paroles de représentants non élus peuvent se perdre dans le boucan des marteaux-piqueurs et des bulldozers qui déchirent le paysage antique. Les déclarations aux médias à propos de 122 pays reconnaissant la Palestine (presque autant qu’en 1989) ont peu de sens pour les villageois et les réfugiés qui échouent chaque jour dans leur lutte pour que leurs préoccupations soient entendues par ceux qui conduisent des utilitaires sportifs et des Mercedes dans les rues de Ramallah et qui passent sans ralentir les check-points avec des cartes de VIP.

Je parle et travaille tous les jours avec les militants. Le message qu’ils relaient tous est qu’il y a un abîme croissant entre tous les partis politiques et le peuple. Ils le savent et l’admettent (beaucoup de leaders disent qu’ils ne peuvent plus mobiliser les gens). La réponse est connue : revenez au peuple et rallumer l’esprit révolutionnaire qui existe en chacun de nous. Aucune des thérapies à la croissance métastatique des colonies sur la terre palestinienne, à la montée des lois racistes israéliennes, à la détresse des réfugiés ne met en jeu des documents d’Erekat ni de recours à des forums internationaux biaisés qui délivrent les résolutions qu’ils n’ont jamais voulu réaliser.

Sous le chapitre « Que devons-nous faire ? », le document d’Erekat commence par « 1. Ouvrir un dialogue stratégique avec l’administration US sur la question de la reconnaissance. Il est évident que l’utilisation du ‘veto’ des États-Unis rend impossible pour la Palestine de devenir un État membre ».
Après 37 ans d’ouverture d’un « dialogue stratégique » avec les USA, 18 ans de négociations directes sous les auspices des USA, sous quelle logique un tel dialogue peut-il mener à quoi que ce soit ? Pensez seulement aux ovations debout données au criminel de guerre Netanyahou par le congrès américain pour voir que c’est une illusion. Si l’AP n’a même pas pu faire qu’Obama s’en tienne à ses propres paroles sur des questions simples (par exemple, la colonisation doit stopper) qu’est-ce qui fait croire à Erekat et compagnie que plus de discussions amèneront Obama à établir un État palestinien ? Nos propres représentants refusent même de boycotter les représentants israéliens (notre représentant à l’ONU participant à une fête d’adieu pour le représentant israélien). Bien sûr, chacun sait que nous les Palestiniens sommes ceux qui sont pressurés et non le gouvernement israélien. Le piège d’Oslo qui a créé une classe de gens dépendant de l’aide pour vivre à garanti qu’un processus de décision palestinien indépendant est impossible. Dans ces circonstances, qu’est-ce qui peut faire penser qu’on peut changer le statu quo sans éliminer les structures de dépendance créées par le piège d’Oslo ?

Dans une deuxième rubrique de « Que devons-nous faire ? », Erekat déclare que « La reconnaissance d’un État palestinien dans les frontières de 1967 et son rang de membre de l’ONU facilitera pour la direction palestinienne de décider immédiatement des négociations sur le statut final, sur toutes les questions sans exception (Jérusalem, les frontières, les colonies, les réfugiés, l’eau, la sécurité et la libération des prisonniers) ». C’est extrêmement dangereux et trompeur. Pourquoi une reconnaissance à l’ONU serait-elle liée à un retour inconditionnel à des négociations stériles ? Qu’est-ce qui peut faire croire à quelque personne sensée que les États-Unis pourraient changer sans que nous changions en premier et appliquions une vraie pression ? Et depuis quand la lutte palestinienne est-elle réduite à un « État » palestinien dans une partie de la Cisjordanie (aucun leader palestinien ou israélien ne croit maintenant obtenir toute la Cisjordanie) ? Beaucoup de Palestiniens soulignent que le bilan des « négociations » antérieures montre que Qurei, Erekat et Abu Mazen sont disposés à abandonner les droits des réfugiés et d’autres en échange de cet État castré (voir les documents Palestine fuités, l’accord Abou Mazen-Beilin et les accords de Genève).

Dans une troisième rubrique, il déclare : « Au vu du discours du président Obama du 19 mai 2011 dans lequel il parlait de notre choix d’aller à l’ONU en disant : ‘pour les Palestiniens, leurs efforts de délégitimer Israël échoueront finalement, les actions symboliques pour isoler Israël de l’ONU en septembre ne créeront pas un État indépendant’. Il est clair que l’administration Obama imagine que nous allons à l’ONU pour :
- tenter d’isoler et de délégitimer Israël,
- que c’est un acte symbolique,
- que cet effort ne mènera pas à la création d’un État indépendant.
Cette compréhension [des USA, ndt] est contraire à ce que nous voulons réaliser en candidatant pour un siège pour l’État de Palestine dans les frontières de ce 1967 avec Jérusalem Est comme capitale. Nous ne visons pas à délégitimer Israël ni à l’isoler et ce n’est pas un acte symbolique ».

Combien de mouvements de libération dans le monde connaissez-vous qui refusent même d’essayer d’isoler un régime répressif d’apartheid ? Comme dans bien d’autres situations auparavant, cette Autorité palestinienne veut tirer Israël d’affaire.
Juste comme elle a écarté la prise en considération du rapport Goldstone ou quand elle a fait pression sur Israël contre la libération de prisonniers politiques palestiniens (supposant que Hamas n’en tirerait pas partie).
Juste comme beaucoup d’entre eux ont dit publiquement qu’ils ne boycottent pas les produits israéliens mais seulement les « produits des colonies » (comme s’il y avait une différence dans les produits de l’apartheid).
Juste comme quand ils ont donné des instructions à leurs services de sécurité pour stopper les activités de la résistance populaire (n’autorisant que des vigiles au milieu des villes mais pas de friction avec les soldats israéliens de l’occupation). Et la liste est interminable.

Quant au caractère symbolique de l’action à l’ONU, c’est bien ce qui est recherché. L’AP devrait plutôt aller au-delà du symbole et mener des actions sérieuses, comme demander que l’ONU abroge l’affiliation d’Israël (puisqu’il n’a pas respecté la charte de l’ONU et à violé ses propres promesses de satisfaire ses obligations). Un effort réel impliquerait de demander aux États membres de l’ONU de traiter Israël comme ils ont traité l’Afrique du Sud de l’apartheid, puisqu’Israël remplit toutes les caractéristiques d’un État d’apartheid, d’après la convention internationale sur ce sujet.

Il y a quelques années, M. Erekat est venu en tournée aux USA. Quand des Palestiniens étasuniens importants ont commencé à l’interroger sur l’échec d’Oslo, il s’est met en colère et a dit à 40 d’entre nous qu’il avait une thèse et « qui êtes-vous pour poser des questions ? ». C’est tout bonnement inacceptable. La cause de 11 millions de Palestiniens ne peut pas être laissée à quelques individus (qu’importent leurs bonnes intentions vraies ou supposées).

La peur de la coupure de l’aide.
L’aide des USA à l’Autorité palestinienne est menée de manière à réaliser la politique des USA, qui à son tour (à cause de l’AIPAC et d’autres lobbies) sert la politique d’occupation israélienne. Par exemple, la majorité des dollars d’USAID va à l’infrastructure (surtout les routes) qui crée des emplois temporaires et soulage la responsabilité de l’occupant. La plupart des routes sont des routes alternatives qui aident à consolider le système d’apartheid (par exemple des routes autour des blocs de colonies, etc.). Le gros de l’aide va directement pour soutenir les salaires des Palestiniens employés par l’Autorité palestinienne. Le gros de ce budget va pour les salaires des employés sécuritaires. Selon Oslo II, cette sécurité est faite pour assurer qu’il n’y a pas de frictions avec les Israéliens (c’est-à-dire pour supprimer toute résistance, y compris la résistance non-violente). Parce que les salaires et la stabilité politique de l’autorité palestinienne servile en sont venus à dépendre de cette aide, il est très facile d’utiliser ce levier pour obtenir des concessions des dirigeants de haut niveau. Nous avons vu ceci par exemple dans la mise à l’écart du rapport de la commission Goldstone. Nous l’avons vu en 2006 et en 2007 (quand l’aide a été coupée après les élections, les élites ont dû rapidement saper le gouvernement et revenir au soutien du statu quo). En bref l’aide des USA nuit à l’intérêt national palestinien et sert à perpétuer l’occupation par ce qu’elle consolide le statu quo, soulage Israël du coût d’être l’occupant, et restreint la liberté politique de nous libérer. Pour en savoir plus, lisez ceci : http://www.ifamericansknew.org/stat...

Je presse le comité central du Fatah, qui a agi bravement pour ôter Dahlan de sa position de porte-parole, à agir sans hésitation pour aller sur la voie de changements plus audacieux. Mettre en place des termes aux mandats serait un premier pas ad-hoc pour le Fatah et pourrait préparer le terrain à des limitations de mandat à l’AP. Ma recommandation humble et ouverte est que la direction palestinienne retourne au peuple et reçoive périodiquement du sang nouveau. Avec ce nouveau sang, une mobilisation des Palestiniens en exil peut être réalisée pour réaliser des changements réels en construisant des stratégies appropriées à court, moyen et long terme, par exemple par le lobbying, le travail dans les médias, et le BDS (boycott, désinvestissement et sanctions).
En interne, la maison Palestine doit être mise en ordre en réalisant les accords existant pour créer un Conseil national palestinien (de l’OLP) représentatif. Ceci créerait une atmosphère de résistance populaire réelle et pourrait changer vraiment rapidement la dynamique sur le terrain [Voir mon livre sur les leçons de 130 ans ; http://www.qumsiyeh.org/popularresi... ]

Des centaines de juristes palestiniens, de professeurs en sciences politiques et d’autres experts peuvent être consultés pour construire une stratégie réelle et une orientation vers la libération. Engager un dialogue ouvert sur ces questions est bon pour tous. On ne peut pas tolérer le statu quo. Il vaut mieux le faire ceci maintenant que d’attendre septembre quand les gens (ayant à tort placé leurs espoirs dans une fin de l’occupation) verront les leaders qui leur ont parlé sur septembre piétiner et chuter.
Il n’y a vraiment pas de différence entre l’apathie et la participation au statu quo d’une occupation profitable aux occupants (grâce aux accords d’Oslo). Après tout, le silence est une complicité.

Source : http://popular-resistance.blogspot....

Mazin Qumsiyeh

Protection Palestine

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