« Recherche institutionnellement orientée », « biais idéologiques », « autocensure », « conclusions préconçues », « faible diversité d’approches théoriques et, plus encore, empiriques », « étroitesse de vues », « cadre analytique inapproprié aux réalités des pays étudiés », « incapacité répétée à citer des travaux de chercheurs locaux »… À tout prendre, il valait mieux pour les têtes pensantes du Fonds monétaire international (FMI) que les feux de l’actualité fussent braqués sur leur directeur général, arrêté à New York le 14 mai 2011, plutôt que sur le dernier rapport de son Bureau indépendant d’évaluation, publié la semaine suivante dans l’indifférence générale.
Au moment où le prêteur international sur gages, remis en selle par la tempête financière et la crise de la dette, impose l’austérité au nombre croissant de pays pris dans ses rets (1) (Lettonie, Ukraine, Roumanie, Hongrie, Islande, Irlande, Grèce, Portugal...), cette enquête consacrée à « La recherche au FMI : pertinence et utilisation (2) » jette une lumière crue sur la « science » économique dont se prévalent les directeurs généraux successifs pour administrer urbi et orbi des leçons de bonne conduite.
Clé de voûte intellectuelle du Fonds, les études et recherches charpentent les « Perspectives de l’économie mondiale », « Rapport sur la stabilité financière dans le monde » et autres « Consultations au titre de l’article IV » lus avec attention par les dirigeants de la planète — et avec terreur par ceux des pays débiteurs. Les plans d’ajustement structurel imposés aux pays émergents ou en crise leur doivent beaucoup. En théorie, la recherche « contribue au développement et à l’actualisation des modèles théoriques et des outils qui forment le socle des analyses du FMI ».
Pour s’en assurer, le Bureau indépendant d’évaluation a passé au crible une décennie d’analyses usinées par les experts de Washington (1999-2008) en s’appuyant sur une méthodologie robuste : réexamen d’articles et de rapports par des économistes universitaires, selon la procédure en vigueur dans le monde académique, administration d’un questionnaire aux autorités financières et monétaires des pays membres ainsi qu’aux économistes travaillant au FMI, réalisation d’une campagne d’entretiens individuels. Les conclusions suggèrent que, loin de nourrir la réflexion stratégique du Fonds, les travaux de recherche servent à légitimer ses présupposés idéologiques.
« Parmi les autorités interrogées, beaucoup ont estimé que les études du FMI étaient hautement prévisibles et ne permettaient pas l’expression de points de vue alternatifs. Cette opinion concernait l’ensemble des productions analytiques du Fonds », expliquent les rapporteurs. En outre, « les études du FMI semblaient suivre une opinion prédéterminée et, parfois, les recommandations ne découlaient pas de l’analyse ». Un sentiment partagé par nombre d’universitaires extérieurs chargés d’expertiser ces masses de littérature grise. À leurs yeux, le Fonds « était obnubilé par un type de message et n’accordait aucune considération aux autres manières de voir ». Pis encore pour un esprit scientifique habitué à poser le problème avant de trouver la solution, « la plupart des conclusions et recommandations formulées dans les séries “Documents de travail” et “Questions générales” n’étaient pas étayées par les développements ». Examinant les travaux relatifs à la politique budgétaire, un évaluateur diagnostique une obsession pour les réductions d’impôts et s’étonne que le modèle théorique principalement utilisé « ne fasse aucune place à la redistribution ni au chômage ».
La critique la plus embarrassante émane du cœur même de l’institution. En effet, parmi les sept cent quatorze économistes du FMI ayant répondu au questionnaire, « 62 % se sont “très fréquemment” ou “assez fréquemment” sentis contraints d’aligner leurs recherches et leurs conclusions sur les positions du FMI. Les entretiens ont confirmé cette tendance : plus de la moitié des employés ont déclaré qu’ils avaient eux-mêmes vécu ou connu des cas où les résultats avaient été ajustés à ce qui était perçu comme le point de vue institutionnel sur le sujet ». Pour que nul ne soit tenté de comparer le crédit intellectuel du Fonds à celui des statisticiens soviétiques, réputés prompts à devancer les désirs du pouvoir, les rapporteurs recommandent aux dirigeants de « promouvoir l’ouverture intellectuelle à d’autres perspectives ». Et, jugent-ils utile de préciser, « les chercheurs devraient pouvoir traiter des problématiques sans conclusions préconçues et sans messages à faire passer ».
Le conseil sonne comme un dernier avertissement. En janvier dernier, un autre rapport du Bureau d’évaluation interne sur « l’action du FMI au cours de la période qui a précédé la crise financière et économique mondiale (3) » avait déjà abouti à l’octroi d’un bonnet d’âne. « La capacité du FMI à détecter convenablement les risques qui prenaient de l’ampleur a été freinée par un degré élevé de pensée doctrinaire, un a priori intellectuel », pouvait-on lire. « L’opinion dominante au sein des services du FMI — groupe cohésif de macroéconomistes — était que la discipline et l’autorégulation du marché suffiraient à écarter tout problème majeur des institutions financières. » Cruels, les rapporteurs rappelaient que « le FMI a mis en exergue les avantages de la titrisation » et citaient un rapport sur les États-Unis publié en 2007, quelques mois avant l’effondrement de Lehman Brothers et le collapsus du système bancaire occidental : « Les banques commerciales et d’investissement proprement dites sont foncièrement en bonne situation financière et les risques systémiques semblent faibles. »
Devant une telle clairvoyance, on s’incline.
Notes
(1) Lire Arnaud Zacharie, « La troisième vie du FMI », Le Monde diplomatique, mai 2009.
(2) Independent Evaluation Office of the International Monetary Fund, « Research at the IMF : Relevance and utilization », Washington, DC, 20 mai 2011 (en ligne sur www.ieo-imf.org). Comme le note le rapport, la recherche, définie au sens large, englobe la plupart des publications analytiques du FMI.
(3) Bureau indépendant d’évaluation, « Évaluation de l’action du FMI au cours de la période qui a précédé la crise financière et économique mondiale », Washington, DC, 10 janvier 2011 (www.ieo-imf.org).
Le Monde Diplomatique
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