mardi 31 juillet 2012

Ghazi Hamad : "Nous n’avons pas honte de soutenir un cessez-​​le-​​feu avec Israël"

Laurent Zecchini - Le Monde -      


Ghazi Hamad est le vice-​​ministre des affaires étrangères du Hamas.
 
Quels sont les effets béné­fiques du nouveau régime égyptien pour Gaza et pour le Hamas ?

Ce qui se passe en Egypte est dans l’intérêt de tous les Pales­ti­niens. Alors que le régime Mou­barak était un ami d’Israël, une nou­velle démo­cratie se met en place. Tous les régimes arabes deviennent démo­cra­tiques, et je pense qu’ils vont sou­tenir la cause pales­ti­nienne. S’agissant de l’Egypte, c’est une nou­velle ère qui com­mence, et nous en attendons beaucoup. Les Frères musulmans sont contre toute nor­ma­li­sation avec Israël, et l’Egypte ne per­mettra pas à Israël de faire ce qu’il a fait dans le passé.

Pour le moment, le point de passage de Rafah [à la fron­tière avec l’Egypte] reste encore lar­gement fermé…

Laisser les gens sortir librement de Gaza, ce n’est pas une question poli­tique mais huma­ni­taire. Quand nous demandons une aide pour régler les pro­blèmes de Gaza, ce ne devrait pas être un pro­blème d’ouvrir le passage. Peut-​​être que, dans le passé, ce refus s’expliquait par des consi­dé­ra­tions poli­tiques. Cer­tains en Egypte se disaient : "Si nous donnons tout ce qu’ils demandent aux Gazaouis, ils enter­reront la récon­ci­liation." C’est un qui­proquo : si nous demandons une aide à l’Egypte pour lever le blocus, pour nous fournir de l’électricité et du fioul, cela ne veut pas dire que Gaza va devenir une partie de l’Egypte. Gaza fait partie de la Palestine. Mais nous devrions pouvoir nous appro­vi­sionner nor­ma­lement. Cela dit, l’Egypte a d’autres pro­blèmes à régler : il faut attendre que la situation se stabilise.

Le nouveau pré­sident égyptien Mohamed Morsi a des pro­blèmes plus impor­tants à régler que la cause palestinienne ?

Celle-​​ci est cen­trale pour le monde arabe, et je crois que l’Egypte va avoir un rôle pionnier pour sou­tenir la cause des Pales­ti­niens, pour réunir les pays de la région, qui peuvent jouer un rôle contre Israël. Les Egyp­tiens sont prêts à nous sou­tenir, mais nous devons les aider, par la récon­ci­liation. Les Arabes n’accepteront pas que cette division entre le Hamas et le Fatah se pour­suive. M. Morsi a dit qu’il serait un inter­mé­diaire entre le Fatah [parti de Mahmoud Abbas, pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne] et le Hamas. Les Egyp­tiens vont tra­vailler à la récon­ci­liation pales­ti­nienne et sou­tenir notre lutte. Ils nous l’ont clai­rement dit.

À propos de la Syrie et de l’Iran, y a-​​t-​​il de grandes diver­gences entre Khaled Mechaal [chef du bureau poli­tique] et Ismaïl Haniyeh [premier ministre du gou­ver­nement de Gaza] ?

Des diver­gences, il y en a tou­jours, y compris à Gaza. Mais la carac­té­ris­tique du Hamas c’est qu’à la fin, il n’y a qu’une seule décision. Il y a des per­sonnes plus prag­ma­tiques, d’autres plus dures, mais le Hamas reste uni. Il n’y a pas de division. Il y a un accord sur la nécessité de la récon­ci­liation. C’est vrai que, à Gaza, les gens sont parfois mécon­tents de ce qui se passe en Cis­jor­danie, où les mili­tants du Hamas sont arrêtés et mis en prison [par l’Autorité pales­ti­nienne]. Tant que ces actions conti­nueront, nous n’irons pas plus loin. Sans confiance, parler de récon­ci­liation est une perte de temps.

Le Hamas main­tient un cessez-​​le-​​feu de fait avec Israël. Et cer­tains groupes, comme le Djihad isla­mique, estiment qu’il a aban­donné la résistance…

Nous parlons de cela souvent avec les autres fac­tions pales­ti­niennes. Nous avons abouti à la conclusion que nous ne voulons pas d’une autre guerre à Gaza. Donc nous sou­tenons un cessez-​​le-​​feu, nous n’en avons pas honte. Toutes les fac­tions pales­ti­niennes se sont engagées à le res­pecter. Depuis l’accord [inter­pa­les­tinien] de Doha, nous parlons de résis­tance paci­fique, mais cela ne veut pas dire aban­donner la lutte armée en tant que droit. Le pro­blème du Fatah et du Hamas est qu’ils ne se font pas confiance. Ils ont peur l’un de l’autre et donc il y a des suspicions.

Puisque les négo­cia­tions avec Israël ne sont pas la solution, que reste-​​t-​​il, la lutte armée ?

La résis­tance, oui, mais tous les types de résis­tance. Je n’ai aucun pro­blème avec la résis­tance paci­fique, mais l’expérience nous laisse penser qu’Israël ne nous laissera jamais obtenir notre Etat ainsi. Nous avons passé vingt ans à négocier sans résultat. Nous devons uti­liser à la fois l’option mili­taire et l’option poli­tique. Une nou­velle Intifada ? Pourquoi pas ! C’est une grande faute de la part du pré­sident Mahmoud Abbas de ne choisir qu’une seule direction.
Abbas est un homme de négo­cia­tions avec Israël, mais qu’a-t-il obtenu depuis 2005 ? Rien. Ou plutôt si, tou­jours davantage de colonies et de confis­cation de terres. S’il continue dans cette voie, il perdra en cré­di­bilité. L’une des raisons de sa fai­blesse, c’est qu’il négocie seul, sans le soutien des pays arabes. A ce jour, il y a une situation nou­velle : il faut tra­vailler avec l’Egypte, la Turquie, la Libye, la Tunisie et d’autres pays, pour former un nouveau front face à Israël.

Ce qui se passe en Syrie n’est pas très bon pour le Hamas, n’est-ce pas ?

C’est vrai que le Hamas a été présent pendant plus de vingt ans en Syrie, et le régime syrien nous a apporté son soutien, notamment financier. Mais quand nous avons vu qu’il com­battait son propre peuple, nous avons décidé de quitter la Syrie. Nous n’acceptons d’aucun régime arabe qu’il use de vio­lence contre son peuple.

L’Iran a long­temps soutenu le Hamas, mais ces rela­tions se sont dété­riorées. Vous ne croyez pas que cela va devenir un pro­blème financier pour le Hamas ?

C’est une question très sen­sible et com­pliquée… L’Iran a soutenu le Hamas pendant des années, c’est un fait. Spé­cia­lement dans des cir­cons­tances dif­fi­ciles, lorsque les pays arabes ont laissé le Hamas seul. Mais nous avons pris une décision : nous ne serons pas dans la poche d’un pays arabe, ou étranger. Nous sommes une orga­ni­sation pales­ti­nienne et nous ne tra­vaillons pour per­sonne. Si un pays veut nous aider, nous ne disons pas non, mais cela ne peut pas être de l’"argent poli­tique" : nous ne recevons pas d’ordre de l’Iran, de la Syrie ou d’autres pays. Evi­demment que le Hamas ne veut pas perdre l’Iran, qui est un pays majeur. Mais nous sommes passés par bien des situa­tions cri­tiques, et nous nous sommes tou­jours adaptés…

Laurent Zecchini (Gaza, envoyé spécial)



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