Hervé Kempf
Le hasard du rythme estival me fit écouter le 11 juillet, sur France Inter,
une interview de Matthieu Pigasse, vice-président de
la banque Lazard en Europe et co-propriétaire du journal Le Monde. La
vision de la crise par ce banquier est instructive. La question des inégalités
et de la répartition des richesses n’est pas évoquée, comme si elle n’avait
aucune part dans les difficultés de l’époque. Et pour résoudre le problème de la
dette, il n’y a qu’une solution : la croissance. « La mère de toutes les
batailles est la croissance », dit M. Pigasse. Qu’il pourrait y avoir une
tendance historique à la stagnation de la croissance économique dans les pays
riches est manifestement hors sujet. Quant à l’idée d’écologie, elle est aussi
absente de l’entretien que l’existence des Martiens.
The Economist, autre messager du dogme qui préside a nos destinées,
claironne que l’économie des Etats-Unis est de retour. La rémission du malade
nord-américain tient surtout à l’abaissement du coût de son énergie, en raison
de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste. Celle-ci se développe au prix
d’un saccage environnemental invraisemblable et de très importantes émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Peu
importe : l’économie américaine va pouvoir tenir encore un peu.
La vision du monde par les classes dominantes reste limitée au court terme et
aux vieilles lubies de la croissance. La sécheresse historique que connaissent
cet été les Etats-Unis ne paraît pas plus en mesure de leur ouvrir les yeux que
l’affaissement du système financier en 2008. Tout se passe comme si les
catastrophes étaient la seule issue possible.
Pour se changer les idées, voici une lecture roborative, de la plume de
Murray Bookchin. Bookchin, décédé en 2006, est peu connu ici, mais son apport à
la pensée écologique est aussi stimulant que celui d’André Gorz ou d’Ivan
Illich. Il est de ceux qui ont établi rigoureusement le lien entre crise
écologique et question sociale. Il aborde celle-ci sous l’angle de la hiérarchie
et des rapports de pouvoir qui déterminent les situations. Dans Qu’est-ce que l’écologie sociale ? (Atelier de création
libertaire, 50 p., 4 €), il analyse très finement comment analyse de la science
écologique et analyse sociale peuvent se conjuguer. Ce petit livre est bien
utile pour s’émanciper de la schizophrénie des dominants qui ne voient que
l’économie (et leur pouvoir) en méprisant la nature. Bonne lecture d’été…
Source : Cet article est paru dans Le Monde du 22
juillet 2012.
Reporterre
mercredi 1 août 2012
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire