Une révision plus que nécessaire sur le conflit (Marissé)
Pierre Stambul

L’OAS au pouvoir
La chasse aux Africains est
ouverte en Israël. Le ministre de l’Intérieur Eli Yishaï, membre du Shass (un
parti intégriste « séfarade ») déclare tranquillement : « la plupart des gens
qui arrivent sont musulmans et pensent que le pays ne nous appartient pas, à
nous les Blancs ». Eli Yishaï a des parents venus de Tunisie. Il oublie que
ceux-ci ont été traités de « Schwartz » (Noirs) par d’autres racistes israéliens
qui les trouvaient inassimilables. Député de « l’Union Nationale », un parti
d’extrême droite, Aryeh Eldad suggère qu’on ouvre le feu sur les « infiltrés »
(= les Noirs). Israël n’est bien sûr pas le seul pays dont les dirigeants ont
des comportements ignobles vis-à-vis des immigrés. Simplement au nom du
sionisme, le racisme à l’état pur n’y avance plus masqué. Benyamin Nétanyahou
souligne que ces Africains portent atteinte au « caractère juif de l’Etat ». Il
fait construire plusieurs centres de rétention dans le désert du Néguev, un mur
électrifié entre Gaza et la Mer Rouge et il s’oppose à la scolarisation des
enfants d’immigrés. À Tel-Aviv, des milliers de pogromistes en herbe ratonnent
aux cris de « Israël est pour les Juifs et le Soudan pour les Soudanais ». Quand
le racisme se mêle à l’intégrisme, la parole n’a plus de limite : Shmuel
Eliyahu, grand rabbin de Safed a exhorté les Juifs à refuser de louer tout
appartement à des Arabes. Ovadia Yosef, fondateur du Shass, en a rajouté une
couche : « vendre à un non-juif, même très cher, est interdit ». Il avait déjà
expliqué que les Palestiniens étaient des serpents et que la Torah disait qu’on
pouvait tuer leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux … Dans les prisons
israéliennes, il y a 4 700 prisonniers politiques palestiniens. Tous les partis
politiques sont touchés : Marwan Barghouti (Fatah), le président du Parlement
(Hamas) et toute la direction politique du FPLP sont en prison. 2000 de ces
prisonniers ont mené une grève de la faim d’un mois. Ils ont gagné sur leurs
revendications : fin de la détention administrative (qui permet la détention
illimitée sans jugement), des mauvais traitements et de l’isolement, droit de
visite pour les familles de prisonniers originaires de Gaza. Dès la fin de cette
grève ignorée par les médias occidentaux, Israël a violé l’accord. Le pouvoir
fait savoir aux Palestiniens d’Israël qu’ils n’ont aucun droit. Un de leurs
dirigeants, Ameer Makhoul a été condamné à une lourde peine de prison pour «
espionnage ». Les terres des Bédouins du Néguev ont été presque toutes
confisquées. Les destructions de villages jugés « illégaux » sont incessantes.
Le KKL (fond national juif) a même organisé un stage de formation un peu spécial
pour des lycéens : « comment détruire un village bédouin sous la protection de
l’armée ».
Occupation, colonisation, apartheid, racisme,
fragmentation de la Palestine …
Chaque jour de nouveaux logements sont construits à
Jérusalem Est ou en Cisjordanie. Des colonies dites « illégales » sont
légalisées. On sait depuis belle lurette que l’armée protège systématiquement
les colons et les aide à construire ou à attaquer la population palestinienne.
Fin avril, les colons « illégaux » de Yitzhar ont attaqué avec des armes à feu
des écoliers palestiniens rentrant de l’école. Présente, l’armée … a protégé les
colons. Régulièrement, des maisons palestiniennes sont occupées ou détruites. À
Gaza le blocus continue et les méthodes meurtrières déjà utilisées contre les
flottilles précédentes venues briser le blocus sont aujourd’hui bien rodées. La
troisième session du tribunal Russell réunie au Cap (Afrique du Sud) en novembre
2011, a conclu que l’Etat israélien est coupable du crime d’apartheid vis-à-vis
du peuple palestinien. La moitié des 12 millions d’habitants qui vivent entre
Mer Méditerranée et Jourdain est palestinienne. Ils sont privés de tout : de
travail, de terres, de logements, d’eau, de droits politiques … Le jugement du
tribunal Russell a été ignoré des médias occidentaux qui continuent de propager
la fiction « d’Israël seule démocratie du Proche-Orient ». La stratégie
israélienne vise à fragmenter les Palestiniens. Ils sont à la fois enfermés dans
des espaces de plus en plus réduits et soumis à des statuts différents : Gaza,
Jérusalem Est, la Cisjordanie (elle-même fragmentée en trois zones, la zone C
étant de fait annexée), les Palestiniens d’Israël (avec des discriminations
particulières contre les Bédouins), les réfugiés. Toute solution politique qui
ignorerait cette fragmentation, ferait le jeu de l’occupant.
Consensus sioniste et impunité
Il y a belle lurette que le sionisme a gommé les
différences idéologiques. La coalition que dirige Nétanyahou avec Lieberman
regroupe toute l’extrême droite laïque et religieuse et surtout les
représentants des colons. Ehud Barak, mouillé dans divers scandales et auteur de
crimes de guerre pendant le massacre de « Plomb Durci » a quitté un parti
travailliste moribond et il est toujours ministre. Le parti Kadima, fondé par
Sharon, a d’abord nommé à sa tête un général poursuivi pour crimes de guerre
(Shaul Mofaz) avant de rallier le gouvernement Nétanyahou. Une nette majorité de
la Knesset (le Parlement) a voté pour la levée de l’immunité parlementaire
d’Haneen Zoabi, députée palestinienne du Balad (un parti qui défend les droits
des Palestiniens d’Israël) qui était sur le Mavi Marmara, le ferry-boat turc
mitraillé. En Israël, l’opinion pense que le rapport de force est tellement
favorable que tout est permis. La transformation de la Palestine en bantoustans
encerclés et éclatés devrait être éternelle pour cette opinion. Ce sentiment est
renforcé par l’attitude de la « communauté internationale ». Le refus de l’ONU
d’admettre la Palestine en son sein a montré que la solidarité occidentale et
surtout américaine sera sans fin. Elle est sans fin en toute connaissance de
cause : les dirigeants occidentaux sont totalement liés à cet Etat d’Israël
surarmé, morceau d’Occident en plein Proche-Orient et pièce maîtresse pour le
contrôle de la région. Un Etat d’Israël vivant en paix et sur un pied d’égalité
avec ses voisins ne les intéresse pas. Israël continue de recevoir de nombreux
investissements étrangers. Cette économie où 60% du budget est consacré à
l’armement et aux technologies de pointe est performante pour les maîtres du
monde. Dernière preuve éclatante de cette complicité : l’invitation par le
Parlement européen du dirigeant d’un bloc de colonies (Shomron). La Bourse de
Tel-Aviv continue de flamber. L’ultra libéralisme continue de démanteler la
protection sociale. Une partie de la population israélienne exprime des
sentiments de refus ou s’engage dans des luttes (le mouvement des « tentes »,
les mouvements féministes ou ceux qui défendent les homosexuels), mais seule une
toute petite minorité refuse le colonialisme et a fait la jonction avec les
Palestiniens. Les lois se multiplient en Israël criminalisant toutes celles ou
ceux qui refuseraient de reconnaître le caractère « juif et démocratique » de
l’Etat ou qui prôneraient le boycott d’Israël. La mécanique bien rodée qui
consiste à traiter d’antisémite quiconque critique Israël fonctionne à fond. Le
« complexe de Massada » a fait le reste. La population israélienne est persuadée
dans sa majorité que les victimes ont été, sont, et seront toujours les Juifs,
que les Palestiniens poursuivent l’œuvre d’Hitler, et que les dirigeants
israéliens « n’ont pas le choix ». Aucune des mesures qui furent appliquées à
l’Afrique du Sud de l’apartheid n’est appliquée vis-à-vis d’Israël. La
construction du Mur qui balafre la Cisjordanie et la colonisation ont été
déclarées « illégales ». Et pourtant les colonies déversent leurs produits à
tarif détaxé sur les marchés européens. Les rapports sur les violations des
droits des Palestiniens se multiplient. Et pourtant, la « communauté
internationale » a sanctionné la population de Gaza, coupable d’avoir « mal »
voté ou la Syrie, mais jamais Israël. La quasi-totalité des dirigeants
israéliens sont coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.
Ils sont pourtant reçus partout avec les honneurs. La mesure qui avait le plus
touché les dirigeants racistes sud-africains avait été l’exclusion de leur pays
des Jeux Olympiques. Au Proche-Orient, on en est loin : Israël organisera l’an
prochain les championnats d’Europe junior de football alors qu’un des
footballeurs palestiniens (Mahmoud Sarsak), arrêté arbitrairement, risque de
mourir de sa grève de la faim.
Palestine, la fin des illusions
Que reste-t-il de la gigantesque escroquerie qu’ont
constituée les accords d’Oslo ? Rien, ou plutôt si : «l’Autorité palestinienne». Arafat avait imaginé un processus compréhensible, intitulé « la Paix contre
les territoires ». Il avait pensé pouvoir signer « la paix des braves » avec une
branche du sionisme, celle des pères fondateurs réputés « socialistes ». Ces «
socialistes » ont pourtant trempé dans tous les crimes perpétrés contre le
peuple palestinien, de l’expulsion préméditée de 1948 à la colonisation de 1967
en passant par la construction du Mur, les massacres de Gaza ou du Sud Liban
etc.… Non seulement l’Autorité palestinienne ne sera jamais l’embryon d’un Etat
palestinien digne et viable, mais elle n’a pas su ou pu éviter le rôle qui lui
avait été véritablement assigné par les accords : celui d’être une institution
clanique (puisque redistribuant des subsides venus de l’étranger dans une
société dont l’économie est presque entièrement détruite) et un instrument de
collaboration avec l’occupant. L’Autorité assume son rôle de police et de
garante « d’accords » qui n’ont plus aucun sens. Mahmoud Abbas et le Fatah ont
accepté toutes les humiliations, toutes les pseudo négociations sous direction
américaine. Leur but principal a sans arrêt été la récupération de Gaza face au
Hamas. Il est significatif que les deux dirigeants qui ont publiquement regretté
la chute de Moubarak ont été Abbas et Nétanyahou. Depuis fort longtemps,
l’Autorité palestinienne subit sans pouvoir réagir une annexion qui n’est plus
rampante (la frontière internationalement reconnue n’existe plus), des
incursions quotidiennes et des destructions de maisons. Elle continue de
revendiquer un mythe (un Etat palestinien aux côtés d’Israël sur 22% de la
Palestine historique siégeant à l’ONU) alors que l’occupant a totalement détruit
la faisabilité de ce projet et que tout est fait pour que l’installation de plus
de 500 000 colons soit irréversible. La nomination de Salam Fayyad comme Premier
ministre palestinien est significative. L’ancien homme du FMI a pour programme
de mettre entre parenthèses la question de l’occupation en développant une
bourgeoisie d’affaires. Ramallah se couvre de grands hôtels pendant que le reste
de la Palestine s’enfonce dans la pauvreté et le désespoir. Le Hamas a réussi à
survivre malgré l’hostilité de la communauté internationale et sa complicité
avec Israël. Mais sa stratégie est dans l’impasse. Isolé et de plus en plus
autoritaire face au pluralisme de la société palestinienne, il n’a aucune
perspective à offrir. Il y a deux ans, des jeunes Gazaouis avaient lancé un
appel sur Internet : « merde à l’occupation, merde à l’Amérique ». Ils y avaient
ajouté : « merde au Fatah, merde au Hamas ». Le processus révolutionnaire en
Egypte a certes allégé la violence du blocus mais la revendication de liberté,
d’égalité sociale et dignité exprimée dans les rues du Caire ne correspond pas
vraiment aux valeurs du Hamas.
L’autre Palestine
Fatah et Hamas ne sont pas les seuls partis
politiques palestiniens. Il y a une floraison de petits partis politiques de
gauche. Le FPLP a abandonné la lutte armée depuis longtemps. Il a acquis et
conservé un grand prestige grâce au courage opiniâtre de ses militantEs. Il est
à la tête de quelques municipalités (dont celle de Bethléem) et anime plusieurs
camps de réfugiés. On l’a vu organiser des manifestations gigantesques à Gaza
contre la division palestinienne. Il commence à y avoir une relève
générationnelle dans ce parti. D’autres dirigeants politiques de la gauche
palestinienne ont conservé une influence certaine, comme Mustapha Barghouti qui
s’était présenté contre Abbas lors des dernières élections présidentielles. Si
la Palestine ne plie pas malgré le rouleau compresseur colonial, c’est avant
tout parce qu’il y a dans la « société civile » une floraison d’associations.
Elles sont de toutes sortes : associations de paysans, d’artisans, d’aide aux
plus démunis, associations organisant les camps de réfugiés, comités populaires
luttant contre le Mur de l’apartheid, associations soutenant les prisonniers,
les femmes battues … La société civile pratique une résistance non armée (terme
plus correct que non violente) avec des manifestations régulières contre le mur,
les incursions des colons et les confiscations de terre. En face, l’armée
israélienne fait preuve d’une violence extrême. Déjà 36 manifestantEs sont
tombéEs, victimes de tirs de toute sorte et d’armes nouvelles. L’avancée de la
colonisation et la disparition de la « ligne verte » (la frontière
internationalement reconnue) font qu’on est rentré de fait dans une lutte contre
l’apartheid et les discriminations et pour l’égalité des droits dans un espace
unique, de la Méditerranée au Jourdain.. En 2005, 172 associations
palestiniennes, constatant que la demande de reconnaissance d’un Etat
palestinien était une impasse totale, ont lancé un appel mondial pour le BDS
(boycott, désinvestissement, sanctions). Les trois revendications avancées sont
la fin de l’occupation et de la colonisation, l’égalité des droits et le droit
au retour des réfugiés. On remarquera que ces revendications sont plutôt en
contradiction avec la « solution à deux Etats » qui sacrifie les Palestiniens
d’Israël et les réfugiés. En fait, l’appel au BDS privilégie les revendications
et les formes de lutte sur une solution politique « à froid ». L’appel au
boycott concerne tous les domaines : commercial, économique, culturel,
académique, sportif, politique … et il commence à remporter de grands
succès.
Le retour au crime fondateur
La guerre entre Israël et la Palestine n’a pas
commencé en 1967. Les Palestiniens avaient fait une concession énorme en
limitant leur revendication à 22% de la Palestine historique. L’occupant a
consciemment détruit toute possibilité de réaliser ce projet et les Palestiniens
qui y croient encore sont de plus en plus rares. Comme nous l’expliquait un
Palestinien, représentant de la communauté des Palestiniens d’origine africaine
de Jérusalem (en tournée en France) : « ceux qui défendent l’idée de deux Etats,
c’est qu’ils n’ont jamais été en Palestine ». Le crime fondateur (l’expulsion de
800 000 Palestiniens de leur propre pays) a eu lieu en 1948 et le projet
sioniste du « transfert » (l’expulsion) était déjà à l’œuvre depuis bien
longtemps. Le débat sur le sionisme n’est pas un débat académique. Cette
idéologie nie l’existence et la légitimité du peuple palestinien sur sa terre.
Elle propage le mythe meurtrier de l’exil et du retour des Juifs dans « leur
pays ». La question de l’existence d’un Etat juif est centrale. Dans un tel
Etat, les non Juifs deviennent des étrangers dans leur propre pays, privés de
tout droit. Le mythe d’une coexistence avec un Israël sioniste s’est écroulé.
Les Palestiniens n’ont pas et n’auront jamais dans le cadre du sionisme des
partenaires pour une paix fondée sur l’égalité des droits. Du coup, il y a un
raidissement et une crispation chez de nombreux milieux juifs, même modérés. Il
faut délégitimer Israël et c’est pour eux insupportable. Pourtant la réalité est
têtue comme l’a exprimé le tribunal Russell en qualifiant d’apartheid ce qui est
à l’œuvre. Dans leur livre « Un Etat commun entre le Jourdain, et la mer », Eric
Hazan et Eyal Sivan opposent à l’idée de deux Etats celle d’une utopie réaliste
: l’Etat commun. Cette idée n’est sans doute pas encore hégémonique en
Palestine, mais elle progresse et en tout cas, les luttes de résistance ne se
situent plus dans le cadre de la revendication d’un Etat palestinien. Il faut
d’ailleurs se souvenir que quand l’OLP avait décidé en 1988 d’accepter l’Etat
d’Israël dans ses frontières d’avant 1967, il y avait eu de grandes résistances
(Edward Saïd, le FPLP …) et l’ancienne revendication « d’un seul Etat laïque et
démocratique » n’a jamais disparu. La situation du peuple palestinien est
actuellement dramatique. Mais elle n’est pas désespérée. Le projet central du
sionisme, leur expulsion, a (sans doute définitivement) échoué. Le projet
sioniste consiste essentiellement à gagner du temps et à institutionnaliser
l’apartheid. Dans le consensus OAS qui est au pouvoir, tout sera utilisé :
l’argument syrien (« il y a de vraies dictatures dans la région, pourquoi
s’attaque-t-on à Israël ? ») ou l’argument iranien avec la menace régulièrement
répétée d’une « attaque préventive ».
Pour l’instant, l’Etat d’Israël est
globalement impuni. Il est protégé par les Etats-Unis et l’Europe. Rien n’est
immuable au Proche-Orient. Une grande lutte anti-apartheid est en train de
naître et de se développer. Dans le Sud des Etats-Unis ou en Afrique du Sud, de
telles luttes avaient duré des dizaines d’années. Mais elles avaient
partiellement abouti.
Pierre Stambul, membre de l'UJFP
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