
Le poulet est malheureux
Le poulet industriel vit quarante jours, pas un de plus, car il est issu d’une souche sélectionnée pour pousser à la vitesse grand V, presque deux fois plus vite qu’une souche rustique. Il vit serré comme une sardine, à 25 par mètre carré, dans un poulailler géant éclairé 23h30 sur 24 et qui peut contenir jusqu’à 20 000 volailles. À force de piétiner dans ses fientes, il fait le plein de bactéries du genre E. coli, qui lui infligent des diarrhées à répétition. Son squelette est mal fichu, avec des défauts d’aplomb et des pattes tordues, tout ça aggravé par l’impossibilité de se dégourdir les serres. La surpopulation le rend agressif : souvent on l’ébecque et on lui pose des lunettes (des petits rectangles en plastique fixés sur son bec) pour l’empêcher d’attaquer ses congénères. Ajoutez-y l’air saturé de poussière et d’ammoniaque qui martyrise les bronches et les yeux, et les défaillances cardiaques dues au manque d’exercice physique. Au total, jusqu’à 6 % des poulets passent l’arme à gauche dans le poulailler.
L’éleveur est sur la paille
Doux a inventé pour lui le « contrat d’intégration », qu’a ensuite copié la concurrence. L’éleveur est transformé en OS. Doux lui dicte tout ce qu’il doit faire. Les poulets (qui d’ailleurs ne lui appartiennent pas), il doit les engraisser en quarante jours, en suivant un « plan d’élevage ». C’est Doux qui fournit les poussins (préalablement vaccinés), livre la pitance sous forme de granulés fabriqués dans ses usines, puis qui ramasse les poulets calibrés à 1,5 kilo pour les zigouiller et les transformer dans ses propres abattoirs-usines. Un travail passionnant, généreusement payé 17 centimes d’euro le kilo de poulet livré. Les volailles passées de vie à trépas dans le poulailler, c’est pour la pomme de l’éleveur, tout comme le chauffage, les soins vétérinaires, les médocs, les assurances…et bien sûr l’emprunt qu’il a dû contacter pour construire son poulailler XXL.
L’ouvrier est payé au lance-pierres
Les quatre cinquièmes des 3 400 employés qui travaillent dans les abattoirs et les usines du groupe pointent au smic. Doux chipote même sur le temps de pause : il a fallu quatre ans de bras de fer pour que le patriarche Charles Doux, fils du fondateur de la boîte, accepte de régler la demi-heure de pause quotidienne. Et encore, le salarié français n’a pas de quoi se plaindre : son alter ego qui trime au Brésil, dans la filiale rachetée par Doux en 1998, touche royalement une centaine d’euros par mois.
Le contribuable est une vache à lait
Le groupe Doux ne tourne à plein que parce qu’il siphonne des subventions européennes : Près de 1 milliard d’euros de subventions en une quinzaine d’années ! Il a ainsi raflé 65,5 % des aides à l’exportation sur les viandes de volaille. Soit environ 60 millions d’euros de « rente » annuelle. C’est en partie grâce à cette oseille que Charles Doux a pu mettre la main sur le troisième volailler d’Amérique du Sud, le brésilien Frangosul, et délocaliser une partie de sa production. Ce qui lui a permis de fermer, en dix ans, 16 sites en France et de mettre à la porte plus de 600 salariés. Le plus ébouriffant, c’est qu’en réexportant ainsi en France ses poulets brésiliens, qui sont 33 % moins chers, Doux a concurrencé ses propres éleveurs (Même le Père Ubu n’y avait pas songé ! Ndlr d’Altermonde), qui ont dû réduire la surface totale de leurs poulaillers de 1 million de mètres carrés en une poignée d’années…
Dans les poches de Bruxelles, le groupe a également pioché des « subventions aux aliments du bétail ». Une aide qu’on ne touche qu’en exportant du poulet congelé nourri avec des céréales européennes : pile-poil le créneau sur lequel le breton est leader ! « Au total, ce sont donc deux milliards d’euros dont les contribuables européens auront fait cadeau à Doux ! » explique Jacques Berthelot, qui a décortiqué les aides touchées par l’industriel.
Les Africains sont plumés
Grâce à la corne d’abondance de la PAC, Doux a pu envoyer par cargos entiers, vers le Moyen-Orient et l’Afrique, ses carcasses de poulets congelés financés à 66 % par des subventions. Des exportations à prix cassés, qui, en Afrique de l’Ouest, ont bien failli avoir la peau de la volaille locale. Le « poulet moderne », comme on l’appelle là-bas, se retrouvait en effet sur les étals trois fois moins cher !
Le vacancier et les poissons sont dégoûtés
Avec les fientes de ses méga-poulaillers, Doux participe joyeusement à l’enrichissement de la flotte bretonne en nitrates et en azote, l’aliment préféré des algues vertes qui s’échouent l’été sur les plages. Sachant qu’un poulet industriel génère quotidiennement 38 grammes d’azote et que le groupe en zigouille 1 million par jour, ça vous donne sur un an près de 14 000 tonnes d’azote. Soit 20 % de l’azote d’origine agricole rejeté chaque année dans la mer en Bretagne.
Non seulement Doux pollue, mais il a été pris la main dans le sac, en train de tricher. Il y a cinq ans, le roi du poulet industriel s’est fait voler dans les plumes par la Cour d’appel de Rennes, dans une affaire où l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui ferraille contre les pollueurs, s’était portée partie civile. Les services vétérinaires avaient découvert dans 10 élevages d’Ille-et-Vilaine travaillant pour la famille Doux des milliers de poulets clandestins. Dans l’un de ces bâtiments autorisés pour accueillir 20 000 bestioles, s’entassaient jusqu’à 28 800 volailles ! Et tant pis si les installations n’étaient pas prévues pour traiter les fientes des pensionnaires en surplus.
Le consommateur a du mal à digérer
Ce que Doux lui met dans l’assiette, c’est avant tout de la volaille industrielle low cost. Un gallinacé que le manque d’exercice et la pousse rapide ont rendu gras et mou. Le meilleur étant le « poulet minerai », baptisé ainsi parce qu’il est utilisé comme matière première dans les plats cuisinés.
Les forêts sont rasées
Pour nourrir le poulet industriel, surtout depuis que les farines animales sont interdites, rien de plus efficace que le soja, très riche en protéines. Et surtout produit au Brésil, dans des fermes tellement rentables qu’on y déboise à tout-va (2,4 millions d’hectares disparaissent chaque année en Amérique du Sud, directement ou indirectement à cause du soja). Grâce au poulet, adieu la forêt amazonienne !
La planète se réchauffe
Le poulet industriel ingurgite du soja qui a parcouru des milliers de kilomètres. Et il repart congelé à l’exportation, parcourant des milliers de kilomètres. Bravo le bilan carbone… Récapitulons : le modèle Doux est une catastrophe pour le consommateur, le vacancier, les pays en développement, le contribuable, le salarié, l’éleveur, la planète, et même pour le poulet. Mais, qu’on se rassure, la famille Doux, 146ème fortune de France, garde toutes ses plumes. On applaudit des deux ailes ?
Le Canard Enchaîné N° 4788 du 1er août 2012
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