Les hasards de la conversation
nous font démarrer la soirée sur le panier de « la ménagère » même si, en
l'occurrence, ce sont les hommes qui discutent du prix des
commissions.

— M'en parle pas ! Je suis passé
au supermarché cet après-midi et j'avais oublié ma carte bancaire. Avec cent
euros sur moi je pensais que cela suffirait. Le fond du chariot à peine couvert,
je vous prie de croire que je n'ai pas pris du caviar et un homard, et la
caissière m'annonce cent deux euros et des centimes. J'ai beau savoir que les
prix augmentent de façon délirante, j'en étais quand même sur le cul. Il m'a
fallu retourner à la voiture chercher de la mitraille pour
compléter.
— Les magasins répercutent
l'augmentation quand les prix mondiaux du riz explosent. Puis la spéculation
passe à autre chose, les prix se stabilisent mais les magasins ne répercutent
pas la baisse du prix de gros. Et puis, quand les prix mondiaux recommencent à
valser, l'étiquette du riz en boutique reprend son ascension vers les sommets.
Sans avoir connu la baisse...
Les conversations, tu sais
comment c'est. On passe d'un sujet à un autre sans même s'en
apercevoir.
— Tu sais que Machin SARL, où
travaille Bernard, est en cessation de paiement depuis mardi ? Une des deux
dernières boîtes de la région dans leur domaine d'activité. Il y a
soixante-quinze salariés dans la boîte, alors si Machin ne trouve pas les roros
pour redémarrer, ce sera autant de chômeurs en plus. Et Truc SA, l'autre boîte
du secteur, ne va pas bien non plus. Xavier, qui y bosse, me dit que ça sent le
sapin presqu'aussi fort que chez Machin SARL.
— Si je comprends bien nous
n'aurons bientôt plus une seule entreprise de ce secteur dans la région alors
que c'est pourtant une activité qui ne se délocalise pas, même dans une région
voisine !
— Faut dire que dans le
département il y a plus d'une faillite par jour depuis le début de cette année.
Même la Chambre de commerce s'en inquiète ! Que des petites ou moyennes
entreprises dont pas un journal ne parle parce que cela ne fait pas des
centaines ou des milliers de licenciements. N'empêche que l'addition de tous ces
licenciements est croquignolette. Le nombre de clients s'en
ressent...
— D'autres à s'en rendre compte
sont les commerçants. T'as vu combien de magasins sont fermés rue Jaurès ? Une
rue piétonne du centre-ville !
— Ah ça les petits commerces
dégustent ! Mais les hangars des zones en périphérie ne sont pas en reste. T'as
vu combien il y a de bâtiments fermés avec des panneaux d'agences immobilières ?
Dans la Zone Est, le bâtiment, c'est même la vedette des articles à vendre ! Y'a
plus de magasins et d'ateliers à reprendre que de bâtiments en activité
!
— Faut dire que là-bas les
corbeaux volent sur le dos pour ne pas voir la misère. Les premiers bâtiments
ont été abandonnés voici plus de dix ans à en juger par la taille des arbres qui
ont émergé des ronces... Faudrait être taré pour y ouvrir maintenant une
activité quelconque où tu as besoin de faire venir la clientèle ! Il n'y a plus
que des hérissons et des taupes sous les ronciers entre quelques ateliers encore
actifs. Pôle-Emploi a eu une idée lumineuse d'installer un bureau au milieu de
ce désert : l'arrêt de bus le plus proche est à un kilomètre, ça permet au
chômeur de réfléchir en marchant...
Les gamins nous font un petit
spectacle. Présentés par une princesse cowgirl dresseuse de Pokémons sauvages,
les chevaliers pirates du cyberespace naviguent entre hip hop, capoeira et
jonglage tandis que le chat apeuré se terre sous le divan.
— J'ai engueulé mon patron parce
qu'il a cessé d'acheter nos fenêtres en France. Maintenant on pose des fenêtres
fabriquées en Roumanie. Trois à quatre fois moins chères pour une qualité à
l'allemande. Le patron nous a expliqué que c'était ça ou bien arrêter la pose de
fenêtres. En rénovation trop de clients renonçaient devant le montant des
devis... Et en neuf, c'est le plus souvent la banque qui dit niet au projet de
construction. Quand le fabricant français aura perdu trop d'entreprises clientes
comme la nôtre, il mettra la clé sous la porte.
— Et vous suivrez quand il n'y
aura plus assez de salariés pour vous commander des travaux...
— Tu crois que c'est ça, le «
choc de compétitivité » du gouvernement ?
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