samedi 10 août 2013

La géothermie a-t-elle recours à la fracturation hydraulique ?

Geneviève de Lacour 

Derrière cette question se cache en filigrane une idée plus dérangeante : pourquoi la géothermie serait autorisée à employer la technique et pas l’industrie pétrolière ?

Soultz-sous-Forêts dans le Bas-Rhin. Ici, un forage à grande profondeur permet de capter la chaleur de la terre. On y fait même de l’« Enhanced Geothermal System » ou EGS, une technique au nom barbare qui permet d’élargir les fissures de la roche pour remonter plus d’eau chaude. Une technique comparable… à la fracturation hydraulique, affirment les pétroliers. Et c’est dans cette faille que les exploitants de gaz de schiste veulent s’engouffrer.
Pointilleux, les acteurs de la géothermie préfèrent, eux, parler de stimulation hydraulique. Stimulation, fracturation, de quoi parle-t-on ? L’association européenne de géothermie (Egec) a publié le 6 juin dernier une note précisant les différences entre les deux termes. Car « si les deux techniques sont proches, on ne parle pas de la même chose », martèle Christian Boissavy président de l’Association française de géothermie (AFPG). « Les bulles de gaz de schiste sont emprisonnées dans une formation extrêmement compacte. Il faut donc fracturer massivement pour récupérer le gaz. En géothermie, on exploite un réservoir qui est déjà fracturé. En stimulant, on augmente la perméabilité de la roche, on ne crée pas de nouvelles fissures. »

Moins d’eau, moins d’additifs

De plus, « dix fois plus d’eau sont nécessaires pour la fracturation hydraulique », poursuit Christian Boissavy. Les pressions nécessaires sont infiniment plus importantes pour extraire les gaz de schiste. « Nous utilisons 10 fois moins d’additifs, en volume et en nombre de produits. Nous employons de l’acide chlorhydrique pour éviter le colmatage une fois le forage terminé. » En matière d’eaux usées, la géothermie fonctionne en circuit fermé. Les eaux pompées sont réinjectées dans le réservoir une fois refroidies. Enfin, il faut beaucoup moins de puits en géothermie pour exploiter la chaleur.
Reste que faire l’amalgame arrange bien les pétroliers. Pour Olivier Appert, directeur de l’IFPEN, l’ex Institut français des pétroles, « il n’y a pas deux techniques différentes pour amener à fracturer. Les deux techniques sont identiques ». Même son de cloche dans le rapport Bataille-Lenoir de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), rendu public le 6 juin dernier où il est clairement précisé : « La fracturation hydraulique est utilisée en géothermie. »

Le retour de la fracturation pour le pétrole ?

Mais pourquoi tant de crispation autour d’un simple terme ? Tout bonnement parce que la fracturation hydraulique est interdite depuis deux ans en France. Et pour les pétroliers qui voient dans la France un nouvel eldorado du gaz de schiste, cet interdit les empêche de rêver. L’Agence américaine d’information sur l’énergie estime que l’Hexagone possède plus de 5 000 milliards de m3 de gaz de schiste. Un chiffre difficile à vérifier mais qui fait tourner les têtes des industriels du pétrole, des foreurs et spécialistes du traitement des eaux.
Pour s’attaquer à la loi du 13 juillet 2011 qui a instauré l’interdiction, le lobby pétrolier tente de la faire vaciller sur ses bases juridiques. « Une loi votée dans la précipitation dont on n’a jamais vérifié la constitutionnalité », concède Muriel Bodin avocate d’associations anti-gaz de schiste. « On ne voulait pas de cette loi car on savait qu’elle ne définissait pas la technique. »
Schuepbach Energy a donc déposé, en janvier dernier, un recours auprès du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) après avoir vu deux de ses permis abrogés. La société texane estime que la « loi méconnaît le principe d’égalité dès lors que cette technique est admise en géothermie ».

La loi bientôt à la trappe ?

Un recours qui n’est pas sans conséquence. Le même tribunal a renvoyé devant le Conseil d’Etat une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La plus haute juridiction administrative a maintenant trois mois pour statuer sur le renvoi ou non de cette QPC devant le Conseil constitutionnel. Au final, les 9 sages pourraient avoir à déterminer si la loi est conforme ou non à la Constitution.
Le cas échéant, elle pourrait bien se voir invalidée. Si c’est le cas, « elle doit être rectifiée dans un climat juridique serein. Or on voit que les lobbies pétroliers ont ravivé les tensions », précise l’avocate. « Je comprends que les pétroliers texans soient fâchés. Ils ont déposé des permis, autorisés dans un premier temps, et maintenant ils ne peuvent plus employer la fracturation hydraulique », admet Christian Boissavy.
Alors va-t-on vers de futurs conflits d’usage du sous-sol ? Entre ceux qui veulent exploiter la géothermie, les hydrocarbures ou stocker du CO2, le Parlement européen tente de calmer le jeu. Dans une résolution votée en septembre 2012, le Parlement invite les autorités publiques « à élaborer une évaluation régionale des incidences sur le sous-sol, afin d’optimiser la répartition des ressources entre l’énergie géothermique, le gaz de schiste et les autres ressources souterraines et ainsi de développer au maximum les avantages pour la société ». Aura-t-on besoin d’un gendarme du sous-sol ? 

En attendant, la France devra certainement revoir sa copie, et définir enfin précisément ce qu’est la fracturation hydraulique.

Photo : Puits d’exploration de gaz de schiste, aux Etats-Unis

terraeco.net

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