samedi 10 août 2013

Le bruit et la terreur militaire

Marie Lechner - Libération -                   

À Gaza ou Guantánamo, le son est utilisé comme un instrument de répression. 

« Les oreilles n’ont pas de pau­pière », comme l’écrit Pascal Qui­gnard dans la Haine de la Musique. « L’auditeur est une proie qui s’abandonne. » En 2009, dans le pas­sionnant ouvrage Sonic Warfare : Sound, Affect, and the Ecology of Fear (MIT Press), Steve Goodman ana­lysait l’influence de la force vibra­toire du son sur les émotions. Ega­lement DJ et pro­ducteur phare de la scène dubstep lon­do­nienne sous le nom Kode9, genre musical qui s’appuie sur l’énergie phy­sique des basses fré­quences, Goodman s’intéresse à la manière dont le son peut être utilisé comme arme, pour créer de l’inconfort, exprimer une menace, sus­citer une ambiance de terreur.
Les mili­taires se sont montrés de tout temps fort ingé­nieux en la matière, déve­loppant des « sound systems » qui vont impacter les corps avec leurs bad vibes.
Des opé­ra­tions « psyops » de l’armée amé­ri­caine (haut-​​parleurs puis­sants dif­fusant de la musique) durant le siège de Waco ou pour har­celer Noriega au Panama, aux canons à sons pour dis­perser les foules ou encore aux boî­tiers anti­jeunes Mos­quito (très hautes fré­quences à la limite de l’audible) pour chasser les squat­teurs, l’usage du son comme arme est aussi vieux que les trom­pettes de Jéricho. Juliette Volcler, auteure du Son comme arme (La Décou­verte), rare ouvrage fran­co­phone sur la question, pré­sentait à la Gaîté une syn­thèse des usages poli­ciers et mili­taires du son. Ainsi que des fan­tasmes, nom­breux, qui l’accompagnent, comme le déve­lop­pement par l’armée amé­ri­caine d’armes à base d’infrasons capables de faire exploser les boyaux de l’intérieur.
Les recherches se réorientent après la Seconde Guerre mon­diale vers les sons « audibles et signi­fiants », ren­flouant l’arsenal des armes acous­tiques dites « non létales », qui neu­tra­lisent sans tuer, plus adaptées aux « guerres sans mort ». Parmi elles, le Long Range Acoustic Device, canon émettant un son d’une vio­lence insou­te­nable (pour déloger des snipers ira­kiens à coups de hard rock à Fal­loujah), les gre­nades assour­dis­santes ou la « Torture Music » uti­lisée à Guantánamo.

Bien que non léthales, ces satu­ra­tions sonores ne sont pas sans réper­cus­sions phy­sio­lo­giques et psy­cho­lo­giques, comme le rap­porte Goodman à propos des avions israé­liens qui sur­vo­lèrent le ciel de Gaza en fran­chissant le mur du son à basse altitude. Les vic­times se plai­gnirent de dou­leurs à l’oreille, de crises d’angoisse, d’insomnie, d’hypertension, de dif­fi­cultés res­pi­ra­toires, de spasmes musculaires…

Source :  Libé­ration

Aucun commentaire: