Arrêt sur images
C'est
un bagne, en plein XXIe siècle, dont les medias passent trop souvent l'existence
sous silence. Et pourtant, ses
hauts murs se dressent au coeur de nos villes.
Nous côtoyons chaque jour ses
victimes pantelantes dans les rues, devant les pains au chocolat des
boulangeries, parfois même dans nos foyers. Ce bagne, c'est l'Ecole. La petite,
la secondaire, la supérieure. Vermine, cafards, corvées, humiliations :
heureusement, un jour par an, surgissent dans les radios et les télés quelques
dizaines d'Albert Londres qui se dressent pour dénoncer le scandale.
Les
ravages de l'école, en cette rentrée 2013, ont un visage : Justine Touchard. Vous n'avez pas vu Justine
Touchard ? Cette victime de la "phobie
scolaire" est pourtant passée dans
le journal de Pujadas, chez
Calvi sur RTL(1), chez le docteur Cymes bien entendu (2), et ce matin encore elle était l'invitée
de Clara Dupont-Monod sur France Inter. Justine Touchard a vécu l'enfer : un
matin, elle n'a pas pu aller au collège. Parmi la "chaîne
d'incidents qui a déclenché ce blocage", selon les termes de France
Télévisions, le site relève par exemple (3)une certaine timidité en
maternelle, "d'énormes zéro au stylo rouge" au CM2 "sans un mot d'encouragement", une
orientation en filière professionnelle, sans parler de quelques anniversaires
catastrophiques, et "d'une fréquentation souvent solitaire de la
cantine".
Pourquoi
s'est-il trouvé un éditeur (Flammarion) pour publier ce témoignage
? Pourquoi toutes les
rédactions de France ont-elles transformé Justine Touchard en marronnier de
rentrée ? Et le témoignage de la jeune Justine est-il véritablement le plus
éclairant sur les défauts persistants (et réels, bien entendu), de l'école
française ? Pendant que France Inter ouvrait son antenne à la jeune fille,
s'adonnant à un des exercices favoris des medias -la psychologisation d'un
phénomène social- France Culture, sans rescapée pantelante, avec le simple
concours de spécialistes du secteur, nous rappelait comment le système français,
sous son masque égalitariste, est entièrement tourné vers la reproduction des
élites.
Sans
doute l'identité sociale de la jeune fille apporte-t-elle un début de réponse à
ces questions : Justine est la
fille d'une journaliste de Challenges, Anne-Marie Rocco. Elles ont d'ailleurs
co-écrit le livre. Sans doute ne faut-il pas chercher plus loin les raisons du
bon accueil confraternel réservé à son témoignage, au détriment de ceux de
milliers d'autres "décrocheurs", sans doute sociologiquement plus représentatifs
de l'inadéquation du système, mais qui n'auraient pas l'idée d'en faire un livre
chez Flammarion, et n'ont pas de portables de journalistes dans leur répertoire.
Bientôt sur vos écrans : comment le fils de Jean-Michel Aphatie a vaincu le mal
de mer, le combat courageux de la nièce de Christophe Barbier contre sa phobie
des souris, et le jour où le cousin de la voisine de François Lenglet a réussi à
monter sur une chaise.

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