Carine Fouteau
À six mois des élections municipales, le défouloir anti-Rom est ouvert. Les élus de tous bords multiplient les propos haineux. Loin de calmer les choses, le ministre de l'intérieur répète à l'envi que cette population a « vocation » à retourner en Roumanie et que seule une minorité souhaite s'intégrer en France.
À six mois des élections municipales, le défouloir anti-Rom est ouvert. Les élus de tous bords multiplient les propos haineux. Loin de calmer les choses, le ministre de l'intérieur répète à l'envi que cette population a « vocation » à retourner en Roumanie et que seule une minorité souhaite s'intégrer en France.
"Le problème se déplace de ville en ville…
jusqu’à quand ? » s'interroge-t-il. C’est tout le paradoxe de la politique
menée : Manuel Valls reproche aux Roms de ne pas s’intégrer tout en les
empêchant de tisser des liens en les expulsant ; les maires leur reprochent
d’être sales tout en leur refusant l’accès au ramassage des ordures ; les élus
leur reprochent de voler tout en limitant leur accès à
l’emploi."
À l’unisson, les élus locaux de tous bords se sont passé le mot pour faire
des Roms les principaux responsables de leurs difficultés. En quelques semaines,
sur un fond d’hostilité préexistant, ils ont créé un “problème rom” en France.
Chômage ? Fermeture d’usines? Pouvoir d’achat ? Inégalités ? Santé ? Non, le
problème, d’après eux, ce sont les Roms. Cette population de citoyens européens
démunis, dont le nombre est estimé à 20 000 en France, un chiffre stable depuis
une décennie selon les chiffres officiels, cristallise le débat public au point
de devenir un sujet médiatico-politique incontournable.
Les maires étant en première ligne face aux installations de
campements illégaux, ils se servent de la tribune offerte par les élections
municipales, prévues pour se tenir les 23 et 30 mars 2014, pour clamer, tantôt
leur impuissance, tantôt leur haine. Les Roms étant des ressortissants
européens, le scrutin européen, fixé au 25 mai, risque de prolonger d’autant la
période de défouloir. Et voici donc l'agenda des 6 prochains mois
posé.
Dans un appel à la violence à peine déguisé, le maire UMP de Croix (Nord),
Régis Cauche, a déclaré, à propos des quelque 200 Roms installés sur sa commune,
que « si un Croisien commet l’irréparable, je le
soutiendrai », en référence au bijoutier de Nice qui a tué
un homme venu braquer sa boutique. Il a par la suite regretté une « phrase
malheureuse » après l’avoir d’abord maintenue. « Les Roms n’ont rien à faire à Croix. Oui, s’il y a un
dérapage, j’apporterai mon soutien. La population en a
assez », indiquait-il à La
Voix du Nord en rapportant qu’un agriculteur de la ville avait tiré à
blanc avec sa carabine pour effrayer des Roms qui, d’après lui, tentaient de
voler ses bêtes.
À peine une semaine auparavant, Jean-Marie Le Pen, à l’occasion de
l’inauguration d’une permanence du FN à Six-Four-les-Plages (Var) a fait se boucher le nez de son
auditoire. « Ils attendent, ils attendent, (…) ils sont là dans les
starting-blocks, exactement comme dans les films du Far West quand on
distribuait les terres et que le préposé tirait un coup de feu et que tout le
monde partait, qui avec sa carriole, qui avec son vélo, qui à la course pour
essayer de se tailler un bout de terrain », a-t-il lancé, glissant de la
situation des demandeurs d’asile à celle des Roms. « Ils vont arriver, sie
kommen, ils arrivent », a-t-il poursuivi, menaçant. « Oh, ce ne sera pas
l’immigration la plus redoutable, mais elle sera la plus visible et la plus
odorante. Je suis poursuivi pour avoir dit que leur présence était urticante et
odorante, je n’ai même pas dit malodorante, j’ai dit odorante », a-t-il
ironisé, avant de conclure qu’« ils vont arriver par milliers, par dizaines
de milliers » et que « les gens vont se rendre compte ce que c’est que
l’invasion migratoire. »
Au cours des derniers mois, la terminologie frontiste de l’invasion et de
l’odeur s’est banalisée dans les lettres envoyées par des maires de droite comme
de gauche à leurs administrés. Dans ces missives qui se multiplient à l’approche
des élections municipales, ils expliquent n’avoir pas les moyens de faire face à
l’installation de campements de fortune et en appellent aux régions, à l’État et
à l’Union européenne pour leur venir en aide (lire
notre enquête sur l’Essonne).
À Paris, la tête de liste de l’UMP met, elle, l’accent sur
l’« insécurité », sans se soucier de véhiculer d'éventuels préjugés. Six
mois en amont du scrutin, Nathalie Kosciusko-Morizet a sonné la charge :
« Vous avez l’impression qu’on harcèle beaucoup les Roms ? Parce que moi,
j’ai l’impression que les Roms harcèlent beaucoup les Parisiens. » Elle a
fait mine de s’énerver avant d’embrayer plusieurs jours d’affilée sur ce thème,
assimilant les « bandes de Roms » aux « filières du grand
banditisme ». Son ex-rivale, Rachida Dati, maire du VIIe
arrondissement, lui a emboîté le pas en déclarant que « maintenant, les Roms
viennent arracher les sacs des enfants à la sortie des classes », en miroir
aux propos de Jean-François Copé sur les « quartiers où les enfants ne
peuvent plus manger leur pain au chocolat car c’est le ramadan ».
Sur la défensive, la candidate
socialiste Anne Hidalgo paraît piégée. Après avoir jugé « inacceptables
la stigmatisation et l’instrumentalisation politicienne du dossier des
Roms », elle affirme à son tour qu’il faut « lutter contre ces réseaux
criminels de délinquance à l’échelle européenne ». « Paris ne peut pas
être un campement géant et je soutiens la politique de M. Valls, qui consiste à
démanteler ces camps », assure-t-elle en gage de sa « fermeté », pour
reprendre le terme utilisé par le ministre de l’intérieur pour qualifier sa
politique d’expulsion.
Telle qu’énoncée dans la circulaire du 26 août 2012 voulue par Jean-Marc
Ayrault, la politique que l’exécutif souhaite « équilibrée » entre
intégration et répression, est inaudible. Elle l’est d’autant plus que Manuel
Valls est le seul ministre à faire entendre sa voix sur ce dossier. Interrogé
mardi 24 septembre sur France Inter, il s’est gardé de dénoncer le déferlement
de propos haineux prononcés à l'encontre des Roms. Le ministre de l’intérieur a
soufflé sur les braises en répétant que seule une minorité d’entre eux
souhaitent s’intégrer en France. « Il faut dire la vérité, ces populations
ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres. Il faut tenir compte de
cela. Ce qui veut bien dire que les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou
en Bulgarie », a-t-il insisté. Cet argument différentialiste, le ministre
l’a déjà développé lorsqu’il a indiqué au Figaro qu’« hélas, les
occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des
raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans
la mendicité ou la prostitution ».
« M. Valls devrait savoir, plus que quiconque, que l’usage de tels
stéréotypes ne ressort pas d’un discours de vérité mais bien d’une volonté de
stigmatiser une population dont la présence ne serait pas souhaitable en France.
De tels mots dans la bouche d’un ministre de la République ne sont pas
acceptables », a réagi la Ligue des droits de l’homme (LDH) dans un
communiqué. La sortie du ministre le plus populaire du gouvernement a irrité
jusque dans son propre camp, Sandrine
Mazetier et Pouria Amirshahi montant par exemple au créneau lors des
journées parlementaires du PS organisées à Bordeaux pour critiquer sa propension
à braconner sur les terres de l'opposition.
Y compris à droite, la stratégie du tout-démantèlement commence à être
contestée, notamment par les élus locaux qui constatent que les évacuations
systématiques ne font que déplacer le “problème”. C’est le sens de la lettre que
le maire
de UDI de Wasquehal (Nord) vient d’envoyer à François Hollande. Il fait le
constat que le récent démantèlement du plus grand camp de la métropole lilloise,
demandé par Martine Aubry, se traduit par des arrivées sur sa commune. « J’ai
dû, comme d’autres maires de communes limitrophes, demander l’évacuation de
familles. Mais une telle démarche, une fois aboutie, ne me procure aucune
satisfaction.
Le problème se déplace de ville en
ville… jusqu’à quand ? »
s'interroge-t-il. C’est tout le paradoxe de la politique menée : Manuel Valls
reproche aux Roms de ne pas s’intégrer tout en les empêchant de tisser des liens
en les expulsant ; les maires leur reprochent d’être sales tout en leur refusant
l’accès au ramassage des ordures ; les élus leur reprochent de voler tout en
limitant leur accès à l’emploi.
Médiapart

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