Gaël Cogné
Alors que le rapport sur le drame de Brétigny pointe des défaillances dans la
maintenance des voies principales, d’autres voies, sur lesquelles circulent des
transports nucléaires et chimiques, s’avèrent dangereuses. Reportage.
Alors que le rapport sur le drame de Brétigny pointe des défaillances dans la
maintenance des voies principales, d’autres voies, sur lesquelles circulent des
transports nucléaires et chimiques, s’avèrent dangereuses. Reportage.
La petite gare de Saint-Rambert d’Albon, dans la Drôme, fait la sieste.
Soudain, les pierres du ballast s’entrechoquent comme du pop corn, le quai
vibre, un locomoteur poussiéreux arrive péniblement. Il traîne une vingtaine de
containers et citernes. Sur plusieurs d’entre elles, on lit : "Environmentally
hazardous substance" ("substances dangereuses pour l’environnement"). Le convoi
disparaît, laissant les rails siffler quelques secondes.
Rien d’exceptionnel. Le sud de Lyon est surnommé le couloir de la chimie pour
ses industries, et la région Rhône-Alpes concentre 14 réacteurs nucléaires
(Tricastin, Saint-Alban, Le Bugey et Cruas), lui valant le titre de zone la plus
nucléarisée d’Europe. Des wagons comme ceux-ci, il en passe souvent. Certains
sont très dangereux.
Des traverses dans un "sale état"
À 200 mètres de là, près des aiguillages, un homme hâte le pas. Il veut
montrer quelque chose. Dominique Malvaud est un ancien cheminot, mais toujours
syndiqué à Sud Rail, comme le mentionne son gilet fluo. Sur les voies de
service, où les wagons sont triés, manœuvrés ou stationnés, les sauterelles
s’égayent à son passage. Il enjambe les rails, écarte du pied les herbes sèches
qui couvrent le ballast, tapote le rail."Voilà ! Regarde !" Il désigne une
grosse vis en fonte fichée dans une traverse, tout contre le rail : "C’est ça un
tire-fond. Il devrait y en avoir deux, là, tu vois ?" Un trou est vide.
La pièce permet au rail de tenir sur la traverse. Mais un tire-fond sur deux
manque. Même au niveau des éclisses destinées à relier les rails entre eux, une
pièce devenue tristement célèbre lors de l’accident de Brétigny, le 12 juillet
dernier. Ces pièces manquantes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le drame. En
effet, le rapport d’expertise rendu cet été pointait notamment l’absence d’un
boulon sur l’éclisse mise en cause à Brétigny, selonLe Figaro.
À Saint-Rambert-d’Albon, les problèmes de maintenance vont plus loin. Les
traverses sont fendues, détériorées, les rails s’y enfoncent lourdement. "Elles
sont vraiment dans un sale état, fulmine le syndicaliste. Si un tire-fond est
dans une traverse pourrie, il peut facilement casser et entraîner un
accident."
Des voies de service en piteux état
D’après lui, les déraillements sur les voies de triage "pourries", comme
celles de Saint-Rambert, sont plus que fréquents, probablement "quotidiens"..
Quelques brèves dans la presse évoquent des accidents. Le 11 février 2013, une
motrice et trois wagons de céréales vides se mettent en portefeuille en gare de
Laroche-Migennes (Yonne). Trois jours plus tard, un train transportant des
véhicules déraille lors d’une manœuvre en gare de Vénissieux (Rhône). Le 11
avril, une locomotive sort de ses rails sur une voie de service dans le
Pas-de-Calais. Des accidents sans gravité, pendant des manœuvres et à faible
vitesse. En général, le train se contente de sortir du rail, parfois il
s’incline, voire verse sur le ballast. Ces incidents mineurs ne retiennent pas
non plus l’attention de la presse.
Selon des chiffres transmis par l’Etablissement public de sécurité
ferroviaire (EPSF), les déraillements (au moins une roue du train a quitté le
rail) sur des voies de service sont en baisse, mais ils restent fréquents : 331
en 2009, 212 en 2012. Pourtant, dans quelques cas, ils pourraient avoir une
issue plus dramatique. Le 8 août 2011, quand un train déraille sur une voie de
service à Sarralbe, en Moselle, il ne convoie pas des graviers, des céréales ou
des voitures, mais du gaz et du polypropylène. Pas de fuite heureusement, comme
cela a été le cas en Belgique en mai : un train circulant sur une voie
principale a déraillé puis explosé, tuant une personne et en intoxiquant de
nombreuses autres.
Un train Castor dans la gare
Le 21 janvier, dans la paisible gare de Saint-Rambert, un accident aurait
aussi pu avoir des conséquences graves. Jean Perthuis, habitant de la commune
tout juste retraité, se souvient : "L’ancien président de mon association, Vivre
(une association écologiste locale), m’a appelé pour me dire qu’il y avait une
grande activité en gare : il m’a dit qu’il fallait que j’aille vite voir." Il
est 18 heures et Jean Perthuis se précipite au faisceau nord de la gare. "Rien.
Je suis ensuite allé à la gare. Toujours rien. Alors je pousse la porte de la
salle d’attente et je me retrouve nez à nez avec un ’train Castor’". Un de ces
trains transportant des déchets nucléaires.Impossible de se tromper, l’ancien ingénieur de l’industrie chimique
reconnaît la drôle de forme caractéristique d’un "château", un wagon étanche
ultra-sécurisé qui achemine du combustible ou des déchets nucléaires à travers
la France.. Un seul d’entre eux contiendrait l’équivalent en radioactivité d’un
demi-réacteur nucléaire. Et ce wagon castor est là, stationné pile devant la
gare, seul dans l’obscurité de ce début de soirée hivernale. Jean Perthuis
dégaine son appareil et prend un cliché.
Et si...?
Mais la scène ne colle pas avec l’agitation décrite au téléphone. Un coup
d’œil à gauche et il comprend alors pourquoi on l’a appelé. Pompiers, gendarmes
et cheminots s’affairent là où Dominique Malvaud ausculte six mois plus tard les
voies. A deux pas des maisonnettes de cheminots de Saint-Rambert, un convoi
transportant des fûts d’uranium appauvri U308 a déraillé sur la voie 50 du
faisceau sud des voies de triage. Il roulait lentement et il y a eu
un "écartement de voie". Le convoi s’est posé doucement, s’inclinant légèrement.
Un peu plus loin, un autre Castor stationne, sans surveillance. Jean Perthuis
apprendra plus tard que deux wagons Castor et un train d’uranium appauvri sont
venus de trois destinations différentes ce jour-là pour se rencontrer dans sa
petite gare de Saint-Rambert-d’Albon, comme il en existe des dizaines en
France.
Les questions se bousculent dans sa tête. Comment se fait-il que les Castor
étaient abandonnés en gare et si proches des habitations ? Et si le train
d’uranium appauvri s’était renversé, les fûts se seraient-ils ouverts ? Et si un
wagon de produits chimiques ou de gasoil avait déraillé sur cette voie de
service et pris feu à côté des Castor ?
Bien sûr, les wagons sont sécurisés. Ils sont prévus pour résister à 800°C
pendant une demi-heure. Mais la gare n’est pas équipée pour faire face et l’idée
n’est pas saugrenue. La région a connu des scénarios catastrophes à plusieurs
reprises. Le 13 janvier 1993, à La Voulte-sur-Rhône, un train d’hydrocarbure
déraille et ravage la ville, rappelle Le Dauphine.com. Le 13 décembre 1990, à
Chavanay, même scénario, huit wagons d’hydrocarbures explosent et rasent huit
habitations.
Jean Perthuis a écrit une lettre au maire et au préfet. Depuis, il dit
n’avoir pas reçu de réponse. Six mois plus tard, il continue de guetter les
trains Castor qui passent en gare de Saint-Rambert en faisant siffler les
rails.
Photo : Un convoi nucléaire, le 24 novembre 2011, à Remilly, dans l’est de la
France. (Jean-Christophe Verhaegen / AFP)
Source : France TV Info

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