Haim Bresheeth
"Dans le brouhaha de la presse et des médias autour du « succès incroyable »
(maintenant presque oublié) de John Kerry qui avait « remis en route » le
« processus de paix » le plus long et le moins fructueux du monde, il était
facile d’oublier le fait que deux décennies s’étaient écoulées depuis la
signature de cette fatidique série d’accords par Rabin, Arafat et Pérès, les
amenant derrière le pupitre, au Prix Nobel de la Paix, et conduisant aussi le
Premier Ministre, Rabin, à sa mort aux mains d’un assassin extrémiste juif.
Vingt années s’étaient écoulées ? Vraiment ? Et qu’est-ce que ça a donné ?
Eh bien pas grand-chose, si on est Palestinien. Les accords qui, au mieux,
pouvaient amener à la création d’un petit bantoustan dont les parties seraient
reliées entre elles par des tunnels et des ponts, ont produit un énorme réseau
de tout petits « mini-stans » reliés en général non par des routes mais par
l’internet.
L’Autorité Palestinienne qui, comme dit une fois Arafat d’un ton songeur, ne
pouvait tuer que des moustiques durant son bref règne, a désormais le devoir peu
enviable de protéger, non sa propre population mais au contraire, les
Israéliens.
Les Palestiniens ne contrôlent pas grand-chose – certainement pas les routes,
ni l’espace aérien, ni les eaux territoriales, ni les ressources hydriques,
l’électricité, les ports, les aéroports, ni même leurs propres passages
frontaliers. Ils ne possèdent pas leur propre monnaie, et ne peuvent donc
utiliser aucun système financier dans les zones de l’Autorité Palestinienne,
encore moins tenter de reconstruire l’économie palestinienne, qui, avant 1967,
était la partie la plus riche de l’économie jordanienne. Elle était aussi
autarcique.
Le fait que les policiers qui contrôlent la population palestinienne sont
eux-mêmes palestiniens n’est certainement pas suffisant pour empêcher les gangs
israéliens de rafleurs meurtriers de pénétrer régulièrement dans les territoires
de l’Autorité Palestinienne et de perpétrer des assassinats extra-judiciaires,
ni pour empêcher Israël de bombarder constamment Gaza et ses habitants.
Circuler d’un endroit à l’autre de la Cisjordanie peut ne pas seulement
pendre des heures et des heures, mais parfois prendre des jours. Israël contrôle
toute la Palestine, comme avant la signature des Accords, mais maintenant il est
capable de boucler des secteurs bien plus facilement qu’avant. Évidemment,
Israël n’a jamais effectué la série de retraits qui avaient été prévus par ceux
des libéraux qui croyaient aux Accords censés conduire à une solution à deux
états, laquelle n’a jamais été mentionnée dans les Accords.
On peut affirmer qu’on est comme toujours, loin de cette solution. On en est
sans doute de plus en plus loin. La Palestine est un patchwork de communautés
locales, séparées par un réseau de routes accessibles seulement aux Juifs, des
barrages routiers, et l’armée d’occupation – la soi-disant FDI. Il n’y a pas
d’état palestinien et il est peu probable qu’il y en ait un dans un avenir
proche.
On a permis à l’OLP de revenir de Tunis, bien sûr – mais seulement pour
sécuriser la population israélienne. La lutte armée est quasiment terminée. En
Cisjordanie, pas une seule colonie n’a été évacuée, et celles de la Bande de
Gaza ont été abandonnées pour y faciliter les raids aériens, les attaques
navales et aussi l’entrée des chars d’assaut. Eh bien, ça ne fait pas beaucoup,
n’est-ce pas ?
Ce qui a été accompli est d’une plus grande portée, si on est du côté
israélien du mur de l’apartheid. Israël qui devait allonger des milliards chaque
année pour assurer la continuation de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza,
est parvenu à sous-traiter les frais, à la suite des Accords d’Oslo : Ces frais
sont maintenant à la charge des États-Unis et de l’Union Européenne.
Non seulement les frais ont été évités, mais aussi le casse-tête de gérer 46
ans d’occupation au milieu d’une population palestinienne hostile. Le contrôle
quotidien des territoires avant 1993, avait causé une faille profonde dans la
société israélienne, où il était de plus en plus difficile à beaucoup de
militaires postés dans les territoires, de vivre dans leur rôle d’occupants
agressifs. Cette importante fracture sociale et politique a été guérie en 1993 –
les pacifistes de gauche se sont associés aux admirateurs de Sharon présents
partout dans la société israélienne, et en sont venus à considérer l’attitude
raciste des gens de droite, colons ou autres, comme un fait accompli, partie
intégrante de leur société.
Depuis 1967, le commerce israélien est en plein essor, en raison du marché
captif qu’est la Palestine occupée où Israël a veillé à ce qu’aucune industrie
quelconque ne s’y établisse. Israël est devenu un mini-empire, avec une économie
moderne basée sur l’exploitation de la main d’œuvre à bon marché venant des
territoires (plus tard d’autres régions du monde) et sur une base industrielle à
deux têtes – l’énorme complexe militaro-industriel lucratif et l’industrie de
transformation du diamant, ainsi que des jeunes pousses de haute
technologie.
Débarrassée du besoin de gérer l’occupation, et des répercussions sur les
frais de ce genre de gestion, Israël a pu fixer son attention sur la Palestine,
afin de s’assurer qu’elle ne se relève jamais de ses cendres sous l’Autorité
palestinienne. Tandis que ce processus a commencé en 1967, il s’est fortement
accéléré après 1993.
La grande réussite d’Israël est sa capacité d’agir illégalement en toute
impunité, sans peur de voir la communauté internationale désapprouver ses
violations des droits humains, des règles de la Convention de Genève et des
résolutions de l’ONU, sans parler de la Cour internationale des droits de
l’homme et de la Cour pénale internationale.
Sous la haute protection de des États-Unis et de l’Union Européenne, leur
soutien politique et financier, Israël a pu enfin augmenter le nombre des
colonies, afin de rendre pour ainsi dire impossible la création d’un état
palestinien. Depuis 1993, cet immense effort de construction et de repeuplement,
en violation évidente du droit international, a entraîné le triplement d’une
population israélienne qui vit dans les 22% de la Palestine destinés à devenir
un état palestinien, résultat d’une lecture extravagante des Accords d’Oslo – à
coup sûr une lecture encouragée par les USA et l‘UE.
Les colonies signifiaient également plus de « routes sécurisées », de terres
confisquées, de contrôle des ressources vitales en eau, et l’addition de
centaines de postes de contrôle militaires, tout ceci rendant précisément
impossible la vie quotidienne de millions de Palestiniens.
Une attitude sans complaisance fut adoptée envers les chrétiens palestiniens,
poussant un grand nombre d’entre eux à immigrer en Amérique du Nord, en Amérique
du Sud et en Europe, du fait qu’ils se sentaient abandonnés par les autres
chrétiens, dans leur situation critique sous l’occupation.
En 2003, un peu plus de dix ans après l’échange de signatures sur la pelouse
de la Maison Blanche, Sharon a initié le gros effort – qui n’en finit pas –
d’isoler les Palestiniens du reste du monde, et aussi d’une grande partie de
leur terre, en construisant le mur de l’apartheid, destiné à devenir long
d’environ mille kilomètres, et visible de l’espace.
Tandis que Sharon a passé presque dix ans dans un état végétatif dans un
hôpital de Jérusalem, les Accords d’Oslo n’ont pas fait mieux – ils sont entrés
dans un système végétatif de restrictions et de limitations sur toute activité
légale en Palestine, laissant Israël libre de faire fi de toutes les lois
internationales quand bon lui semble, en toute impunité. Sous l’apparence de
« pourparlers de paix » qui sont rapidement devenus « pourparlers sur les
pourparlers », Israël et ses alliés continuent à se moquer précisément des
Accords d’Oslo, s’assurant ainsi que la vie en Palestine devienne de plus en
plus insupportable.
Israël, l’un des plus petits pays de la planète, est devenu l’une des plus
grandes puissances actuelles ; il est parmi les cinq ou six gros exportateurs
d’armes du monde, exportant un peu partout la mort et la destruction, ainsi que
ses installations de sécurité, avec leur propre marque.
Si on pensait que cette expansion impressionnante de capacité destructive
mènerait la société israélienne (c’est-à-dire la majorité juive) à un meilleur
contrat social et à une société plus ouverte et libérale, l’été 2011 est arrivé
avec ses protestations sociales très étendues et le contraire s’est produit.
L’occupation a non seulement déshumanisé les Palestiniens, mais elle a été
aussi énormément destructrice pour les travailleurs juifs (et arabes) à
l’intérieur de la Ligne Verte. Les seuls gagnants sont les colons, les magnats
et les usines d’armement. En Israël, les inégalités ont grandi démesurément et
sont devenues les plus grandes du monde – une autre première dont Israël aurait
pu se passer.
Mais évidemment il y a d’autres failles encore plus profondes. Depuis Oslo et
la disparition rapide de la Palestine, qui s’est accélérée en 1993, Israël
s’éloigne de la prétendue solution d’un état juif.
Tandis que, personnellement, je ne soutiens pas du tout ce concept raciste,
qui perpétuera le sionisme, la plupart des Israéliens sont totalement empreints
de ce concept, et croient qu’il n’y a aucun arrangement qu’ils puissent espérer
ou accepter. Évidemment, le fait de ne pas donner suite aux Accords d’Oslo, de
ne pas évacuer les 22% de la Palestine occupés en 1967, veut dire que le rêve
d’un état juif est plus que jamais irréalisable, et crée encore plus de tension
dans la région, car la plupart de gens en viennent à se rendre compte que la
solution à deux états est non seulement un masque de mensonges fabriqué par
Israël et ses alliés, mais qu’elle est aussi profondément défectueuse, divisant
inutilement et injustement le petit pays qu’est la Palestine, tout en laissant
intacte l’idéologie et les comportements racistes au cœur du sionisme.
La loi des conséquences inattendues en est venue à démontrer, une fois de
plus, que l’extrémisme de certaines idéologies réussit à renverser leurs propres
intentions. De plus en plus nombreux sont ceux qui, des deux côtés du mur de
l’apartheid, se rendent compte que leur avenir se situe dans une entité
démocratique commune dans toute la Palestine.
Il semble que l’héritage de ce projet défectueux – les Accords d’Oslo –
entraînera la fin de l’état raciste qui l’a mis en branle. Reste à savoir
combien devront mourir, combien de vies seront détruites, quelle proportion de
la Palestine sera dévastée, avant que la fin de l’occupation ne devienne
réalité."
- Le professeur Haim Bresheeth enseigne à « L’École des études orientales et africaines » (The School of Oriental and African Studies) de Londres.
CAPJPO-EuroPalestine


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