Gilles Devers
Arafat
a-t-il été empoisonné ? Si oui, par quelle substance ? Si oui, par
qui ? Si oui, avec quels commanditaires, quels complices et quels
exécutants ? Les questions de fond sont redoutables mais le vrai enjeu
résulte de la procédure.
Le décès en 2004
Arafat
est décédé à l’hôpital d’instruction des armées Percy, à Clamart, le 11
novembre 2004. Depuis la mi-octobre, il souffrait de troubles
digestifs, justifiant des soins à Ramallah puis un transfert urgent en
France, via la Jordanie. En vain : les médecins français ont
été impuissants pour traiter cette maladie, et même pour la qualifier. À
ce jour encore, nous n’avons que des doutes et des questions, car
l’épouse s’était opposée à l’autopsie.
La plainte en 2013
En
2013, l’épouse a changé de point de vue, et elle a déposé plainte pour
empoisonnement, plainte recevable car enregistrée dans le délai des dix
ans de la prescription des crimes. Une plainte pour crime avec
constitution de partie civile conduit de facto à l’ouverture d’une instruction, et oblige le juge d’instruction à faire toutes diligences pour la recherche de la vérité.
De
fait, une instruction judiciaire a été ouverte au TGI de Nanterre, et
les juges d’instruction ont ordonné des expertises, ce qui est la
pratique dans ce genre d’affaires. Pour vérifier que tout se passait
bien, ils se sont même rendus à Ramallah pour l’exhumation du corps.
C’est donc du sérieux.
Les expertises
Depuis
quelques jours, la presse publie des infos sur un rapport effectué par
une équipe suisse, contredisant les infos sur un rapport russe,
antérieur de quelques mois. Les « experts » divers et variés se
précipitent pour parler, sans que l’on sache très bien qui parle en
ayant été mandaté par les juges, et qui parle parce qu’il a trouvé un
micro charitable...
Le plus grand doute
À ce stade, aucune information sur le fond n’est fiable, et les manips
sont au max. Je me garde bien de tout commentaire. Si on voulait une
procédure sérieuse, il fallait déposer la plainte pénale juste après le
décès, faire pratiquer une autopsie, saisir le dossier, entendre tous
les professionnels de santé, et ordonner une expertise complète confiée à
deux collèges d’experts chevronnés. Rien n’a été fait.
Les réactions du côté palestinien
Toutes les réactions accréditent l’hypothèse de l’empoisonnement, ce qui ne peut laisser les juges indifférents.
L’épouse a bondi, manifestant sa volonté de savoir la vérité, sur l’air « je vous l’avais bien dit… ».
L’OLP
est sur la même ligne ou presque. Selon une dépêche de l’AFP, Wassel
Abou Youssef, porte-parole du Fatah et membre du Comité exécutif de
l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), a appelé à la
formation d'une « commission d'enquête internationale sur le meurtre du
président Arafat ».
Alors, ça va chauffer ?
Nous
verrons, et rien n’est moins sûr car les expertises semblent aussi
faibles que contradictoires, et que sans autopsie ni audition des
témoins de l’époque, on fonce dans le brouillard.
De
plus, admettons que l’empoisonnement soit prouvé, il faudrait encore
l’imputer à des auteurs… Et sur la base de quelle enquête et de quelles
preuves ?
Mais…
Oui, « mais », car il y a un « mais » d’importance.
Avant
de classer l’affaire par un non-lieu, les juges de Nanterre seront
nécessairement interpelés par la réaction de l’OLP, estimant que les
faits sont graves au point de demander une « commission
internationale ». Il serait donc logique qu’ils cherchent à entendre,
comme témoins ceux qui étaient des collaborateurs de Yasser Arafat à
l’époque. Pas pour accuser, mais pour savoir.
Mahmoud
Abbas était un proche collaborateur de Yaser Arafat, et son audition
serait logique. C’est là que tout va se compliquer,… ou au contraire se
simplifier.
L’immunité des chefs d’Etat
Un
chef d’Etat bénéficie de l’immunité de juridiction, et il ne peut être
entendu par un juge, et surtout pas par un juge d’un Etat étranger.
Alors, si les juges de Nanterre convoquent Mahmoud Abbas, que se passe-t-il ?
Si la convocation est délivrée…
En
droit, les juges de Nanterre peuvent convoquer Mahmoud Abbas comme
témoin, car la France n’a pas reconnu l’Etat de Palestine (ce qui est
lamentable).
Mais
force est de constater que Mahmoud Abbas n’a pas fait grand-chose,
depuis le vote de l’Assemblée générale de l’ONU reconnaissant la
Palestine comme « Etat observateur non membre » pour imposer la
souveraineté palestinienne, notamment en revendiquant le libre usage des
eaux territoriales à Gaza ou en multipliant les signatures de traités
internationaux. C’est un constat.
Aussi,
une convocation comme témoin, selon le droit français, serait légale,
et logique au regard de l’avancement de la procédure et des déclarations
de l’OLP.
… ce serait un tremblement de terre
Si
Mahmoud Abbas obtempérait à une telle convocation, il signerait que la
Palestine n’est pas un Etat, et il se soumettrait au Code de procédure
pénale. Cela parait injouable, alors que 127 Etats ont reconnu la
Palestine comme Etat…
La
seule solution serait de refuser, et pour éviter la délivrance d’un
mandat d’amener, la seule solution serait de revendiquer – enfin – la
qualité de chef d’Etat.
Les
juges et l’Etat français devraient alors prendre position. Mais quels
arguments auraient-ils pour dénier la réalité d’un Etat Palestinien de
plein exercice, fondé sur la souveraineté inaliénable du peuple
palestinien ?
Ce
serait une entrée par la petite porte, mais la seule chose qui compte
est d’être entré, alors que le peuple palestinien attend depuis si
longtemps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire