Yves Paccalet
Vous
pouvez mouliner la question en tous sens, essayer de justifier
l’aficionado par la culture ou par l’histoire, prétendre qu’il y a de
l’art, voire de la morale ou de la métaphysique dans la torture d’un
animal ; vous pouvez arguer que la tauromachie enseigne la vie et la
mort aux enfants, ou invoquer les civilisations méditerranéennes qui « jouent »
avec le taureau depuis l’âge du Bronze ; vous pouvez convoquer à la
barre des témoins aussi prestigieux qu’Hemingway ou Picasso ; vous
pouvez vous démener dans l’exercice de la justification : vous
n’empêcherez pas l’observateur doté du simple bon sens cartésien
d’affirmer haut et fort que la corrida est une horreur ; un supplice ;
une barbarie ; une indignité ; la manifestation (fût-elle régie par des
« règles ») du sadisme humain le plus basique et le plus sanguinaire, c’est-à-dire le plus lamentable.
Pour prouver qu’ils affectionnent un spectacle imprégné de « splendeur », de « noblesse » ou de « grandeur d’âme »,
les aficionados déploient des trésors de rhétorique. Il n’est que trop
facile de caractériser l’absurdité de leurs arguments. Je plains ceux
qui aiment l’« art » de tuer des vaches mâles en musique (« Olé ! »),
en étant applaudi par des rangées de spectateurs rugissants de
jouissance à la vue d’un mammifère en train de vomir le sang par la
bouche et les naseaux, avant de s’agenouiller devant un tueur (un
matador) armé d’une épée, et les organes sexuels coincés dans un « habit de lumière »
plus clinquant qu’une salle de bandits manchots à Las Vegas ! Il
suffit, pour détruire les raisonnements bancals et tendancieux de ceux
qui aiment les banderilles et la muleta, d’utiliser un vieux truc de
pamphlétaire, en remplaçant chaque occurrence du mot « corrida » par « jeu du cirque », et chaque mention du substantif « taureau » par celui de « gladiateur ».
La souffrance, le sang, la torture et l’agonie d’un être vivant qu’on force à être « brave »
pour avoir l’honneur de se faire (post mortem) couper les oreilles et
la queue (sans oublier les couilles) par un fier-à-bras en chaussons de
danseuse et la tête surmontée d’un chapeau ridicule, ne méritent aucune
indulgence… La mort programmée d’un esclave pour le plaisir pervers
d’une foule hystérique, ne saurait admettre quelque justification
artistique ou culturelle que ce soit. Reste que la corrida, désormais
interdite en Catalogne, continue de rapporter beaucoup d’argent à ses
organisateurs, non seulement en Espagne et dans certains pays d’Amérique
latine, mais en France. En France où, au nom d’une « tradition » qui remonte à l’année dernière, les férias et les « courses »
se multiplient… La tauromachie rémunère d’efficaces lobbyistes. Elle a
été récemment inscrite par l’UNESCO au patrimoine immatériel de la
France ! Au même titre que la tarte Tatin, la tapisserie d’Aubusson et
les parfums de Grasse… Avant l’Espagne ou le Mexique, la France a été le
premier pays du monde à élever l’art de la torture animale à un rang
prestigieux ! C’est à peu près comme si l’on avait conféré le même
honneur à l’ingénieuse, efficace et très humaniste invention du docteur
Guillotin !
Comment faire cesser la honte des « arènes sanglantes » ?
Comment combattre l’organisation de ces spectacles vulgaires et
dégradants ? Nombre de militants s’y engagent. Ils déploient des
banderoles. Ils affrontent, y compris physiquement et à mains nues,
d’authentiques « beaufs » amateurs de « noble art », dont la plupart votent Le Pen et utilisent les mêmes « gros bras » que le Front National pour chasser l’« écolo » et l’« anarchiste »
(en d’autres occasions, le partisan du mariage pour tous).
J’apporte
mon soutien chaleureux à ces citoyennes et citoyens courageux, dont je
connais quelques figures, que j’ai plus d’une fois rejoints dans des
manifs, et qui se regroupent au sein de la FLAC (la Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas) et du CRAC (le Comité Radicalement Anti-Corrida).
Soutenir le combat de ces amis de la vie est indispensable – et urgent.
Mais il faut aller plus loin. En finir une fois pour toutes avec les
corridas… Celles-ci offrent aux enfants des spectacles ignobles,
qu’aucune raison esthétique, et encore moins éducative, ne saurait
justifier. Votons dès aujourd’hui une loi (européenne ?) qui prohiberait
l’accès des mineurs aux arènes.
Et continuons le combat ! Militons
pour aboutir, le plus tôt possible, à l’interdiction définitive de la
corrida, non seulement pour les enfants, mais pour les adultes ; non
seulement en France et en Espagne, mais dans le monde entier ! Nombre de
penseurs (philosophes, scientifiques, juristes, moralistes, autorités
spirituelles ou religieuses…) viennent, ces jours derniers, de proposer
qu’enfin la communauté humaine reconnaisse officiellement des Droits aux
animaux. Profitons de l’ouverture… Les animaux ne sont ni des objets,
ni des marchandises, ni des « choses nulles » sans
existence autre que le bon vouloir de leurs propriétaires. Nous autres,
Homo sapiens, grands singes dominants sur la planète, devons désormais
leur garantir une vie normalement paisible et dépourvue de traitements
douloureux ou dégradants.
Nous
devons asseoir ce Droit sur un corpus de lois nationales et
internationales. Si nous y parvenons dans les prochaines années, nous
aurons enfin reconnu que les bovins, comme les autres espèces
zoologiques, appartiennent à la communauté des organismes sensibles,
plus ou moins intelligents et conscients d’eux-mêmes, mais tous dignes
de respect. Si nous en arrivons là, nous aurons du même coup proclamé
que leur torture ritualisée et leur mise à mort abominable sur le sable
rougissant des arènes, s’appelle tout simplement un crime.
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