Quand elles ne s’effondrent pas sur
elles-mêmes, l’acte ultime du suicide des civilisations a toujours été
la fuite meurtrière vers la guerre. La honte et la désolation en guise
d’épitaphe. Ainsi en va-t-il aujourd’hui des “démocraties” occidentales,
corrompues, gangrenées, devenues des monstruosités criminelles.
Paul Craig Roberts sait de quoi il
parle. Économiste, journaliste conservateur américain (Wall Street
Journal), sous-secrétaire au Trésor de Ronald Reagan (1981-1982), père
fondateur des Reaganomics, il a suffisamment bourlingué dans les milieux
de la finance et de la politique pour en bien connaître les rouages
interlopes.
Pour lui, l’affaire est entendue. Asphyxiés par la décomposition de
leur système financier de domination mondiale, les États-Unis et leurs
alliés sont en train de précipiter la planète vers la guerre, via leur
bras armé de l’Otan, au risque d’une apocalypse nucléaire[1].
Car dorénavant l’adversaire d’en face évolue dans une division bien
supérieure à celle des fous de dieux d’Al-Quaida, du Hezbollah ou du
Hamas : rien moins que la Russie historique qui, loin d’être isolée,
peut compter sur de solides alliés : la Chine, l’Inde, les pays
réfractaires d’Amérique du Sud… et tous les laissés pour compte de la
mondialisation financière sauvage.
Un empire occidental devenu fou
« Les élites occidentales et les gouvernements ne sont pas seulement totalement corrompus, ils sont aussi devenus fous » (Paul Craig Roberts).
Les fiascos en Afghanistan et en Irak, les échecs en Libye et en Syrie, n’auront donc pas servi aux donneurs de leçons américains.
Voilà leurs faucons de guerre initiant et soutenant financièrement,
matériellement des régimes bombardant leur propre population (Ukraine)
ou des populations civiles (Gaza). Les voici portés par la propagande
grossière de leur “presstitute” (jeu de mots entre presse et prostituée
inventé par Paul Craig Roberts). Mais critiqués et condamnés jusque dans
leurs propres cercles (le memorandum d’anciennes sommités de la CIA, du
FBI et du Département d’État[2]).
Pâles comparses d’un oncle Sam qui les méprise (rappelez-vous le
« fuck EU ! » de la secrétaire d’État adjointe Nuland), partagés face à
la Russie entre défense de leurs intérêts et sanctions, intégrant
précipitamment en leur sein un pouvoir issu d’un putsch et en pleine
guerre civile (Ukraine), morveux sur la tragédie de Gaza, les pays membres de l’Union européenne ont tout pour être les dindons de la prochaine sinistre farce (et leurs populations avec).
Tête de pont de l’empire occidental au Moyen-Orient, créé à cet effet en 1948, l’État d’Israël,
dont l’existence dépend exclusivement du soutien de son mentor
américain, n’en finit pas de perdre aux yeux de l’opinion publique
mondiale les guerres qu’il gagne sur le terrain. Son agressivité
absurde, comme à Gaza aujourd’hui, démontre si besoin est qu’en périodes
de tensions exacerbées, le fossé est bien ténu entre raison (d’État) et
folie meurtrière irrationnelle, entre calcul et pathologie.
Quoique encore un peu en retrait, quelques autres spécimens de pays repus — le Japon, le Canada, l’Australie… — participent vaille que vaille à cette désolante curée belliqueuse.
Une résistance soudée par l’adversité
En face, eh bien en face — comment pourrait-il en être autrement ? —
la résistance s’organise. Des pays en apparence très divers, aux
intérêts parfois antagonistes, se ressoudent face à l’adversité.
La Russie est parvenue à sortir du naufrage
soviétique et reprend des forces manifestes au niveau économique avec
une arme redoutable à sa disposition : ses ressources énergétiques.
Poutine n’est certes pas un ange de la démocratie, ni un chevalier blanc
des droits de l’homme. Mais il démontre à l’occasion des qualités hors
pairs de joueur d’échec, aussi rompu à l’attaque qu’à la défense. En
matière de géopolitique, on lui compte plus de victoires que de défaites
(Syrie, Crimée, alliance financière des BRICS…).
La Chine, en passe de devenir la première économie
mondiale, montre elle aussi un stoïcisme et une froideur à toute épreuve
devant l’adversité. Ses dépenses militaires vont encore augmenter de
12,2 % en 2014 (11,2 % en 2012, 10,7 % en 2013). Son soutien à la Russie
ne s’est pas démenti une seule fois depuis le début de la crise aiguë
déclenchée par l’Otan en Ukraine.
Les États réfractaires d’Amérique latine
s’émancipent peu à peu — démocratiquement — de l’influence de
Washington. Ils participent activement à la création de la banque de
développement des BRICS. Le Chili, le Salvador, le Pérou, le Brésil,
l’Équateur, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay viennent de rappeler
leurs ambassadeurs en Israël, après le Venezuela et la Bolivie en 2009,
Cuba depuis 1973. Evo Morales, président bolivien, a déclaré Israël
« État terroriste » et impose des visas à ses ressortissants.
En décembre dernier, 95 pays membres de l’Onu
votèrent la résolution A/RES/68/80 ouvrant une enquête « sur les
pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple
palestinien et des autres Arabes des territoires occupés ». Parmi eux,
l’Inde, le Pakistan, l’Iran, l’Afrique du Sud… Le camp occidental vota
contre ou s’abstint en regardant ailleurs. L’Occident gagnerait à
mesurer le degré de répulsion qu’il suscite.
« Notre problème, c’est l’obéissance »
Assommé, humilié, éreinté par une propagande hystérique, le citoyen
occidental à l’esprit encore un peu sain, et qui n’a pas cédé à la
fanatisation ambiante, doit se sentir bien désarmé devant la broyeuse
infernale en train de se mettre en branle.
S’abandonner au désespoir de l’apocalypse menaçante, comme la prédit
Paul Craig Roberts au fil de ses chroniques, n’est pourtant pas
envisageable. L’apocalypse ne s’envisage pas. Au mieux, elle s’évite. Au
pire, elle se subit (demandez donc aux Gazaouis).
En attendant, il faut vivre, avec cette plaie à l’âme de savoir que
même à son corps défendant, on appartient au camp des agresseurs devenus
fous. La honte, l’écœurement, l’impuissance vous submergent.
Ne reste plus qu’à se tenir à distance de cet ignoble fracas, tout en
se rappelant, comme le soulignait le grand historien engagé américain
Howard Zinn[3], que le grand problème des êtres humains civilisés n’a jamais été la désobéissance, mais l’obéissance.
L’acteur Matt Damon lit un extrait d’un discours de Howard Zinn (vo stf) Vidéo ICI
Notes :
[1] “La guerre approche”, cinq chroniques de Paul Craig Roberts publiées sur le site les-crises.fr.
[2] Texte du memorandum publié le 29 juillet 2014 par d’anciens responsables de la CIA, du FBI et du Département d’État (en anglais).
[3] Howard Zinn
(1922-2010), historien et politologue américain, auteur d’”Une Histoire
populaire des États-Unis, de 1492 à nos jours”, “Désobéissance civile
et démocratie”, “L’Impossible neutralité, autobiographie d’un historien
et militant”. La traduction de ses œuvres est disponible aux éditions
Agone ou chez Lux éditeur.


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