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Que les enfants de la plage et les 400 autres me pardonnent mes jours
d’indolence d’ici, loin si loin de leur cauchemar et de la lacrymo
dérisoire de Château Rouge. Qu’ils m’autorisent ces heures entières
d’insouciance à ne rien faire d’autre qu’être bien.
À voir et
contempler, à toucher et sentir, à m’émerveiller tranquille de trop de
beauté, de tant de caresses douces et sonores, du roulis perpétuel de la
mer, du concert des cigales par vagues ensoleillées, du parfum enivrant
de chanvre et d’oliviers dans la torpeur de l’ombre.
Que les mômes de la plage et les milliers d’autres à qui l’on a tué
l’enfance me laissent cet égoïste répit de jouer avec les enfants d’ici
qui ne risquent rien d’autre que de s’écorcher sur les rochers en
écoutant le dialogue secret des chevreaux presque sauvages avec leur
mère. Qu’ils m’autorisent la quiétude de l’aube suave jusqu’à l’heure
bleue du soir, ce moment précis ou les milliers d’ailes et d’élytres
rendent un ultime hommage au grand dieu Citron avant qu’il plonge, avant
de faire soudain silence avec le crépuscule.
Que les gamins de la plage là-bas me laissent les oublier le temps de
rejoindre les gens d’ici et de boire avec eux toute la gentillesse et
l’hospitalité crétoise à coups de verres de raki sous les caroubiers et
les tamaris, à célébrer nos retrouvailles, jusqu’à nous laisser croire
que le monde est si bon et la vie si facile. Oui que les gamins de la
plage dévastée aient la chance un jour de faire chanter les pierres
plutôt que d’en faire leur seule arme face au carnage légalisé, au
chèque en blanc des puissants, aux Ponce Pilate misérables qui s’en
lavent les mains pleines de sang et me couvrent de honte.
Que les enfants de la plage jouent comme ici au ballon sans bombes, à
la guerre sans la guerre, sans que demain, ils deviennent eux-mêmes des
bombes humaines, nourris par tant de violence si confortablement
justifiée par l’hypocrisie sordide de l’occident humanitaire et
colonial.
Que les enfants de la plage là-bas aient un jour le droit
comme ici de jeter des cailloux dans l’eau en s’éclaboussant et
d’empiler en riant les galets sur la grève.
Dieu que la guerre est sale et l’été si léger.


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