En Isère, le projet de Center Parcs de Roybon continue son passage en
force. Avis défavorable de la commission d’enquête, opposition des
habitants, scandale environnemental... rien n’y fait. Les travaux de
défrichement de la forêt sont en cours. Les opposants ont déposé des
recours juridiques et lancé des actions de désobéissance civile.
À Roybon, au cœur des Chambarans, l’une des plus grandes et des plus
typiques forêts d’Isère, la société Pierre et Vacances a reçu en octobre
le feu vert du préfet pour l’implantation d’un immense Center Parcs.
Quelques jours plus tard, le maire de Roybon, Serge Perraud, a signé
le contrat qui établit la vente du terrain où devra être édifié le
village-vacances : « C’est une formidable opportunité pour les chefs d’entreprises, je suis surtout content pour eux », avait-il déclaré.
Après la délibération du préfet de l’Isère, Pierre et Vacances a
immédiatement commencé les travaux : dès le 20 octobre, une petite
équipe d’ouvriers, munie d’un tracteur et de deux fourgons, arrachait la
végétation au bord de la route qui mène aux bois.
Accès au chantier interdit
Un mois plus tard, l’entrée du site est surveillée par une société de
police privée. Et depuis la route qui longe la forêt, on ne voit pas
les travaux. Impossible de s’enfoncer dans le bois. « Pas de photos de l’intérieur du chantier, s’il vous plaît », dit l’un des vigiles.
Le va-et-vient des camions et le ronflement en continu des tronçonneuses confirment que les travaux se déroulent sans arrêt. « Mais on ne peut pas parler d’un vrai chantier pour l’instant, affirme à Reporterre Éric Magnier, directeur des grands projets de Pierre & Vacances, car
on n’est que dans une première phase de défrichement, voire d’abattage
d’arbres, qu’il faut achever en hiver, pour minimiser les risques pour
la biodiversité ».
« Le mois de novembre a été très chaud, réplique Stéphane Péron, président de l’association des opposants Pour les Chambarans sans Center Parcs (PCSCP), et
toute la faune était encore là. Pourtant, les travaux ont démarré, sans
aucune réflexion sur les conséquences environnementales ».
Des photos prises par des militants le 19 novembre
(ci-dessus), depuis un ballon dirigeable, témoignent de la quantité
d’arbres abattus : au mois une moitié de la zone Nord-Ouest a déjà été
rasée. Des abattages sont aussi visibles dans la zone Nord-Est.
Les opposants ont indiqué l’avancement des travaux dans une carte : 28 hectares de bois ont déjà été abattus, soit 35 % du total prévu.
La commission d’enquête émet, à l’unanimité, un avis défavorable
À la place de la forêt, la multinationale touristique espère fonder
une véritable ville de presque six mille habitants, déployée sur deux
cents hectares. De fait, le projet prévoit la construction d’environ
mille cottages, le défrichement de plus de quatre-vingt-dix
hectares, l’imperméabilisation de trente-et-un hectares et la
dégradation de soixante-deux hectares de zones humide.
Ce parc de vacances, déplorent les opposants, représente une menace
pour de nombreuses espèces protégées, et aura une consommation en eau
potable équivalente à celle d’une ville de plus de sept mille habitants
(dans une zone où les épisodes de sécheresse ne sont pas rares).
Les arguments des militants avaient été confortés, en juillet, quand la commission d’enquête publique « Loi sur l’eau » expliquait qu’« à l’examen de toutes les observations, tant écrites qu’orales, du public [...] et après avoir auditionné des experts », elle n’avait pu qu’émettre, unanimement, « un avis défavorable au projet ».
« Nous avons bien réfléchi sur les
problèmes soulignés par les trois commissaires, avec lesquels on a eu
des échanges. On a écouté les remarques, on a répondu aux doutes, on a
modifié et amélioré le projet », soutient Éric Magnier.
Mais selon Jean-Marie Brun, habitant de Roybon et membre de l’association PCSCP, « l’un
des points majeurs remarqués lors de l’enquête publique n’a pas du tout
été changé : soixante-seize hectares de zone humide seront détruits ou
impactés. » « En
tout cas, ils disent avoir amélioré le dossier : et bien s’ils ont
vraiment apporté des changements importants, il faudrait une deuxième
commission d’enquête publique pour évaluer le nouveau projet », ajoute M. Péron.
Sur ce point, comme sur la protection des espèce vulnérables, l’association PCSCP
s’est engagée dans une bataille légale : deux recours sont en train
d’être déposés auprès du tribunal administratif contre la décision du
préfet de l’Isère.
Argent public et emplois précaires
Dans l’attente d’une réponse des juges, Pierre et Vacances et la
mairie de Roybon accélèrent les travaux, en s’appuyant sur un soutien
politique presque unanime.
« Ici, on est dans une zone économiquement en difficulté, avait expliqué lors d’une manifestation fin octobre, Myriam Laïdouni-Denis, porte-parole des Verts de l’Isère, le seul parti qui s’oppose au projet, et
ils ont décidé de financer le parc aquatique avec quatre-vingt millions
d’euros. Il s’agit d’argent public qui a été soustrait au tourisme
local et qu’on aurait pu utiliser autrement ».
Les premiers sept millions ont déjà été débloqués par le Conseil général de l’Isère. « L’argent public, réponde Magnier, sera
utilisé pour des ouvrages comme des réseaux de gaz, eau potable et
électricité, qui sont externes au site. Ils desserviront bien évidemment
le Center Parcs, mais pas uniquement. Et puis, par exemple, cela va
permettre de moderniser le système hydrique, qui présente aujourd’hui
des fuites importantes ».
Les partisans du parc misent sur des centaines de nouveaux emplois
créés d’abord par le chantier et ensuite par le village-vacances. « Ils disent qu’ils vont apporter localement de la prospérité, ajoute Péron, mais
la moitié des emplois proposés seront à 240 euros par mois pour neuf
heures de travail par semaine. Est-ce le futur qu’on imagine pour nos
enfants ? »
Au contraire, Magnier est convaincu que le Center Parcs donnera une bouffée d’oxygène à l’économie locale : « On
va créer sept cents emplois, dont la plupart à durée indéterminée, car
nous serons ouverts toute l’année. Au Center Parc, dans le département
de la Moselle, 91 % des employés viennent de la région. Et pour le nouveau parc dans la Vienne, on a reçu mille candidatures. Ces emplois, évidemment, conviennent aux habitants ».
Mais pour l’instant la réaction des Isérois n’a pas été aussi
accueillante que le prétend Pierre et Vacance : une partie des
opposants, dont plusieurs habitants des communes du plateau de
Chambaran, s’est déjà lancée dans des actions de sabotage. Des piquets de balisage du chantier et des petits grillages ont été enlevés par des groupes, sur le terrain.
« On a tout essayé, a expliqué une militante interrogée par France 3, les
gens ont suivi le processus démocratique et ils se sont rendus compte
que cela n’a servi à rien. Maintenant il faut lutter avec d’autres
moyens ».
Photos : Vues aériennes, carte et engins : ZAD Roybon
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