Le dossier de la reconstruction de Gaza regorge de paradoxes cruels dont
le résultat immédiat sera d’apporter encore plus de misère et de
souffrances à la petite enclave, après le fragile accord de
cessez-le-feu.
Ce qui soulève le plus le cœur des
Gazaouis, c’est que les mêmes mains qui ont largué des tonnes
d’explosifs sur leurs têtes vont maintenant leur faire la charité et
tirer profiter de la reconstruction.
Les Gazaouis ont payé le prix du sang tandis que leurs assassins se
verront récompensés par les profits qu’ils tireront de la reconstruction
de la bande de Gaza, sans compter que cela leur permettra de mieux les
espionner avec l’aval de la Communauté International.
Maintenant que le temps a passé et qu’on peut se rendre compte de la
réalité de la situation, il est clair que la reconstruction de la bande
de Gaza va être une affaire lucrative pour plusieurs entités dont
l’Autorité Palestinienne (AP). Cette dernière prétend s’émouvoir du
nombre de Gazaouis déplacés et sans abri, mais elle fait semblant de ne
pas voir l’aspect "récompense" de ces accords au travers de deux
organismes d’investissement notamment : le Fonds d’Investissement
Palestinien et le Conseil Economique Palestinien pour le Développement
et la reconstruction (CEPDR).
Par l’intermédiaire de ces deux organismes, d’énormes quantités
d’argent vont aboutir dans les poches de la compagnie israélienne Nesher
à qui l’AP a confié l’importation de matériaux de construction, en
particulier du ciment, et une autre partie du gâteau va venir gonfler
celles de L’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA).
Ce trio (Israël, UNRWA et AP) se moque pas mal que les déplacés aient
le sang gelé. La seule chose qui les intéresse est de faire leur beurre
sur le sang abondamment versé pendant les 51 jours qu’a duré l’attaque
meurtrière. C’est particulièrement vrai de l’AP qui -– dans "l’affaire" –
a combiné la politique et le capital au travers de ses deux compagnies,
Emaar et SANAD, tandis que l’UNRWA coordonne la légitimation et la
régulation du blocus sous prétexte de "superviser l’entrée de matériel
de construction à double usage."
L’AP a accepté toutes les conditions de l’ennemi dans les moindres
détails, spécialement en ce qui concerne les systèmes de surveillance,
et le rôle de l’ONU n’a fait que diminuer depuis l’attaque de 2008, du
fait des contrôles de sécurité de plus en plus stricts d’Israël ; les
plans de reconstruction qui avaient suivi cette agression ne
comprenaient pas de contrôles de sécurité.
Selon le plan que le délégué de l’ONU, Robert Serry, doit mettre en
oeuvre, les maisons des familles des combattants de la résistance,
resteront en ruines parce qu’elle sont considérées comme des "dossiers
sécuritaires" par Israël, et l’UNRWA recevra environ 20% des fonds de
reconstruction qu’il répartira entre environ 250-500 inspecteurs
internationaux chargés de les distribuer en récompense et de surveiller
leur utilisation.
L’UNRWA essaie aussi de prendre la haute main sur les fonds de
reconstruction. Il a récemment publié une [proposition] détaillée qui
insiste sur sa capacité à construire 14 000 maison en deux ans, du fait
de son "expérience accumulée” dans la construction de complexes
résidentiels comme les quartiers saoudien, émirati, indien et japonais
de Gaza.
On a aussi entendu dire que le [supposé] refus de 30 organisations
internationales de reconstruire les structures proches de la frontière
orientale faisait partie d’un projet de reconstruire le secteur d’une
manière qui rendrait la modification des infrastructures difficile pour
la résistance. Cela explique pourquoi ces institutions ont mis en œuvre
leurs projets en le faisant passer pour un plan d’aide et de
réhabilitation de 18 mois – lancé le mois dernier – distinct des projets
de reconstruction des maisons détruites.
Une source haut placée de l’UNRWA a défendu l’organisation en disant
que "l’ONU n’a pas élaboré le plan toute seule et qu’il est le résultat
de longues négociations entre la délégation palestinienne menée par le
premier ministre Rami Hamdallah, la délégation israélienne menée par le
Major Général Yoav Mordechai, le chef de l’administration militaire
israélienne des territoires occupés de Palestine, et l’ONU représentée
par un seul membre de l’Office de Robert Serry.”
La source a dit à Al-Akhbar que “le plan a reçu l’aval du Fatah et du
Hamas, et c’est pourquoi l’adjoint au chef du Hamas, Moussa Abu
Marzouk, a exprimé sa surprise qu’il y ait des objections au plan."
Israël reçoit la part du lion
Selon les chiffres disponibles, environ 70% des profits de la
reconstruction iront à des entreprises israéliennes, majoritairement à
Nesher ainsi qu’à plusieurs usines installées dans les colonies. Cette
entreprise qui est partie de Haïfa en 1925 et qui est le leader du
ciment en Israël va monopoliser la fourniture des matériaux de
construction à la bande de terre dévastée après avoir évincé les
entreprises égyptiennes.
L’ironie est que la Cisjordanie occupée, qui est étranglée par le mur
d’apartheid et les colonies, est construite avec du ciment fabriqué par
cette compagnie.
L’obligation de l’Autorité Palestinienne de traiter avec cette
entreprise remonte aux accords d’Oslo et au Protocole de Paris qui
renforcent la dépendance de l’économie palestinienne envers Israël.
Plusieurs accords obligent Ramallah à acheter le ciment exclusivement à
Nesher par l’intermédiaire de la Compagnie des Services Commerciaux
Palestiniens (qu’on appelle généralement SANAD), et si besoin était d’en
acheter à un autre pays, [l’AP] serait dans l’obligation de solliciter
l’accord d’Israël.
Les mêmes chiffres montrent que les compagnies israéliennes
fournissent 80% du ciment dont la Cisjordanie et Gaza ont besoin. Israël
a tâté le terrain en faisant rentrer 600 tonnes de ciment (18% des
besoins quotidiens) une seule fois le mois dernier – le jour de la
visite à Gaza de Ban Ki-moon, le Secrétaire Général de l’ONU – et ces
quelques tonnes sont restées 15 jours dans des entrepôts avant d’être
distribuées aux récipiendaires qui ont tous reçu bien moins que le quota
prévu.
Maher Tabba, un analyste économique, a dit à Al-Akhbar : "Seulement
20% des besoins quotidiens en ciment ont été livrés à Gaza, entre le
cessez-le-feu et la semaine dernière", et il a ajouté que, lorsque les
fonds pour la reconstruction seraient débloqués, "l’ennemi israélien se
taillera la part du lion, sans compter la déduction d’un pourcentage
pour des projets internationaux."
SANAD et la soif d’argent
Quant à l’AP, il faut connaître l’histoire de la SANAD qui est
patronnée par le Fonds d’Investissement Palestinien (FIP) et dirigée
actuellement par Louay Kawas. Il semble que la société ait saisi
l’occasion de se développer en monopolisant le marché du ciment au
détriment des entreprises et commerces de Gaza. La société a été fondée
en 1994 et est le représentant exclusif de Nesher. Elle vient de faire
l’objet d’une restructuration et a changé son nom en "SANAD pour les
Industries de Construction," pour passer du secteur des services à celui
de la production.
Les entreprises de Gaza ont exprimé de fortes objections lorsque la
SANAD a donné l’exclusivité de la distribution de ciment à 12
entreprises commerciales, en s’abritant derrière les mesures de
restrictions israéliennes bien que la plupart des entreprises et
commerces palestiniens aient accepté de respecter les conditions
imposées par le plan “Serry”.
La "duperie des commerçants" par la SANAD ne s’est pas arrêtée là. La
société a signé des documents dont la légalité est douteuse avec les
entreprises commerciales sélectionnées exigeant qu’elles importent tout
le matériel de construction par son intermédiaire, bien qu’elle n’ait
aucun droit de le faire et que cela diminue encore les profits des
entreprises commerciales de Gaza qui sont déjà inférieurs à 6 dollars
par tonne de ciment.
Kawas s’est rendu récemment à Gaza, pour essayer sans doute
d’augmenter encore les profits de sa société aux dépens des entreprises
de Gaza. Il a visité des usines de béton et conclu des accords avec
leurs propriétaires pour rénover leurs usines en échange de 25 du
capital.
Le conflit entre le PIF et le CEPDR
Avant que la SANAD (qui est chapeautée par le Fonds d’Investissement
Palestinien - FIP) ait obtenu "le privilège de reconstruire Gaza", la
société était secrètement en guerre avec le Conseil Economique
Palestinien pour le Développement et la reconstruction (CEPDR), bien que
les deux compagnies doivent toutes les deux leur influence à l’exécutif
palestinien et soient des exemples flagrants des conflits d’intérêts et
de la collusion entre la politique, l’argent et les affaires qui
gangrènent Ramallah. Les deux sociétés ont préparé des plans de
reconstruction "incomplets" dans le seul but d’obtenir une plus grande
part du gâteau.
Quelques jours seulement après la fin de la guerre, le CEPDR a
présenté son plan de 200 pages aux médias, et on est en droit de se
poser des questions sur le mécanisme d’élaboration de ce plan et sur la
raison de cette urgence. D’autant plus que cela fait seulement quelques
jours que le Ministère des Travaux Publics palestinien a annoncé la fin
de l’inspection des dommages causés par l’offensive israélienne contre
Gaza.
Le CEPDR est dirigé par Mohammed Shtayyeh qui est membre du Comité
Central du Fatah. Il a été fondé par l’OLP en1993 pour mettre en oeuvre
des projets d’infrastructure et étudier les besoins en infrastructure
des villes palestiniennes.
Selon un rapport publié par le groupe Coalition pour la
Responsabilité et l’Intégrité (AMAN), qui émane de la société civile, le
CEPDR est un prolongement de l’AP, ce qui explique que ses finances et
son administration soient très peu contrôlés. D’ailleurs, son Conseil
d’Administration ne s’est pas réuni une seule fois en 15 ans.
Le fonds d’investissement dirigé par le premier ministre adjoint
Mohammed Moustafa cherche aussi à prendre la tête de la clique qui se
dispute la reconstruction.
La nomination de Moustafa a été entachée d’allégations de corruption à
grande échelle qui reflètent le conflit d’intérêt qui pèse sur la
reconstruction de Gaza, du fait que Moustafa voudrait que Emaar – la
branche d’investissement du FIP – prenne en main le processus de
reconstruction, sans parler des profits que va réaliser la SANAD, qui
opère sous l’égide du même fonds. Toutes ces allégations de corruption
concernant le fonds reflètent le volume des "produits" que le fonds
engrangera si la reconstruction se fait sous sa direction.
Selon l’homme d’affaires palestinien, Osama Kahi, "le FIP va réussir à
évincer le secteur privé du processus de reconstruction, comme en
Cisjordanie où de lourds investissements du fonds dans des projets
résidentiels de haut standing ont abouti à l’exclusion des entreprises
privées."
"Le plan de reconstruction peut être interprété de deux manières :
soit les différentes groupes qui ont approuvé le plan sont tous aussi
bêtes les unes que les autres, soit on a affaire à une conspiration
contre Gaza où tous ces groupes trempent," a-t-il dit à Al-Akhbar. " Kahil n’exclut aucun des partis concernés par la reconstruction du
soupçons de corruption. Selon lui, l’Autorité [Palestinienne] avec armes
et bagages ainsi que le Hamas ont approuvé tous les détails du plan, et
les factions aussi ont donné leur bénédiction jusqu’à ce que le
problème des caméras de surveillance arrive sur le tapis."
Et Kahil de s’interroger avec réprobation : "Pourtant, ne s’agit-il
pas de coordination sécuritaire avec l’ennemi ? Comment pouvons-nous
accepter d’être des agents d’Israël par personne interposées ?"
http://english.al-akhbar.com/conten...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet
Photo : Avec un cheval et une charrette, des Palestiniens fuient leur
quartier détruit dans la ville de Beit Hanun au nord de la bande de
Gaza, le 18 août 2014 - Photo : AFP/Thomas Coex
Info Palestine
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