Les pertes sont impressionnantes. Dans certaines régions, les apiculteurs ont perdu 50 à 60 %
de leurs ruches et la production de miel a chuté en dessous des 10 000
tonnes. En cause, un hiver catastrophique, et surtout l’utilisation de
pesticides agricoles. Si le gouvernement continue de ne rien faire, les
conséquences pourraient être très graves.
Comme chaque année, à la fin de
l’hiver, Loïc Leray, apiculteur professionnel en Loire-Atlantique, vient
faire sa visite de printemps. Une à une, il inspecte ses 350 ruches
pour savoir si ses abeilles ont bien passé l’hiver. « Sur
les douze ou treize premiers ruchers, tout se passait bien. J’avais une
mortalité raisonnable, deux à trois ruches perdues sur vingt-cinq », raconte-t-il. Mais dans les derniers ruchers, c’est l’hécatombe. « Plus une seule abeille ! Elles étaient vides, alors qu’il y avait de la nourriture à l’intérieur. »
La mauvaise surprise fait remonter le souvenir d’une autre catastrophe. « Ça me rappelle l’épisode du Gaucho, quand on a été confrontés aux premiers insecticides néonicotinoïdes. »
Phénomène d’ampleur
Loïc n’est pas le seul à faire face à une telle perte. Partout en
France, les syndicats d’apiculteurs recueillent des témoignages
similaires. « On n’a jamais vu des gens
perdre la totalité de leurs ruches. Si ça continue comme ça, dans deux
ans on n’a plus d’abeilles en France », déplore Yves Védrenne, président du Syndicat national d’apiculture.
De la Vendée à la Gironde, dans le bassin du Rhône, en Côte d’Azur
et dans le nord de la France, les cas de surmortalité se multiplient.
S’il est encore trop tôt pour obtenir des chiffres nationaux, Cédric
Diot, du Syndicat national d’apiculture, estime, d’après les premières
enquêtes, que 50 à 60 % des ruches de ces régions seraient décimées. « Normalement, la mortalité hivernale tourne autour de 10 à 15 %. » Un constat que le syndicat opère aussi bien chez les apiculteurs professionnels que chez les amateurs.
À la PrADE, unité scientifique de protection des abeilles, les scientifiques commencent leurs premières analyses. « On a constaté une perte de la quasi totalité des colonies dans les Bouches-du-Rhône », nous dit le chercheur Axel Decourtye.
Comment expliquer une telle hécatombe ?
Une combinaison de facteurs fragilise les abeilles. D’abord, l’hiver a
été particulièrement difficile. Les températures n’ont jamais été
stables, alternant journées chaudes ou froides, sans possibilité pour
l’insecte de s’adapter. « Dès que le
temps est meilleur, la ruche se disloque et doit donc consommer plus de
nourriture. Et dès qu’il fait froid, les abeilles se regroupent. Les
apiculteurs nous décrivent toujours la même chose : des abeilles
amassées ensemble, mortes, et autour, assez de nourriture pour passer
l’hiver », explique Cédric Diot. « On n’ a jamais vu ce phénomène à cette échelle. »
Mais les professionnels mettent surtout en cause les pesticides. « Quand
on fait une transposition de la carte de la mortalité avec celle des
grandes cultures céréalières et maraîchères, tout correspond. »
Dans ses ruches de Loire-Atlantique, Loïc Leray accuse lui aussi les pesticides d’être à l’origine de ses pertes. « Les
apiculteurs ont réussi à faire suspendre les néonicotinoïdes sur
certaines cultures, mais ces produits sont toujours autorisés pour les
céréales. Après les récoltes, nos collègues agriculteurs font un couvert
végétal. Ils sèment de la moutarde ou de la phacélie pour capter
l’azote. »
A l’arrivée de l’automne, ces couvre-sols fleurissent. « Les
abeilles sont très attirées par cette source de nectar et de pollen,
elles font des stocks pour l’hiver. Mais les produits chimiques utilisés
précédemment sont suffisamment présents pour les intoxiquer. Quand on
revient en mars, tout est mort. »
Face aux pesticides, l’apiculteur ne sait plus quoi faire. Il y a
quelques années, il a bien tenté d’installer ses abeilles en ville, à
Nantes : « Je voulais prouver que quand elles étaient éloignées des pesticides, elles se portaient mieux. Et c’était le cas ! »
Mais aujourd’hui, les apiculteurs font face au frelon asiatique, un
redoutable tueur d’abeilles qui a trouvé refuge en ville. Tout aussi
féroces, les acariens Varroa parasitent et tuent les insectes. En 2014,
ils ont bénéficié d’un hiver chaud et développent des résistances aux
insecticides.
Face à la catastrophe, le mutisme du gouvernement
Le 19 mars, l’Assemblée nationale a voté l’interdiction des néonicotinoïdes pour 2016, contre l’avis du gouvernement. « La partie est loin d’être gagnée pour autant », déplore Loïc Leray. « Il
faut maintenant que le Sénat adopte le texte. D’où l’intérêt pour nous,
apiculteurs, de convaincre nos chers politiques de revenir sur terre et
de ne pas écouter les lobbies de l’agroalimentaire et la FNSEA ».
Yves Védrenne, président du Syndicat national de l’apiculture, a averti le ministre de l’agriculture « en ne lui donnant que des faits vérifiables. » Mais il ne s’attend pas à une vraie réaction. « Il
ne se passera rien, comme d’habitude. Ils nous disent que des projets
sont en cours, mais il n’y a pas d’argent pour les projets. Alors ils
sont en train de nous bricoler une modification de la filière pour que
ce soit les apiculteurs qui payent la recherche sur les abeilles. »
Quelles sont les conséquences d’une telle perte ?
« Si l’abeille disparaît, elle emporte 47 % de la masse alimentaire avec elle, faute d’insectes pollinisateurs »,
dit Loïc Leray. Une chute déjà amorcée. En 2014, la production de miel
n’a pas dépassé la barre des 10 000 tonnes alors qu’il y a vingt ans,
les apiculteurs arrivaient à en produire 40 000 avec la même quantité
d’abeilles. La France en consomme chaque année 45 000 tonnes. « Le
miel vient de Chine, d’Argentine ou du Chili. Ils sont encore épargnés
par l’agriculture moderne, mais ne vont pas tarder à être eux aussi
touchés. »
Que demandent les apiculteurs ? Déjà, que
le gouvernement tienne ses engagements, comme le classement du frelon
asiatique en danger sanitaire de première catégorie. Une décision
attendue depuis trois ans et qui rendrait obligatoire la lutte contre le
nuisible. Mais aussi qu’il applique un vrai plan de développement
durable de l’apiculture, dont la dernière version, qui voulait favoriser
l’installation des jeunes sans s’attaquer à la question des pesticides,
a été rejetée par les apiculteurs en 2013.
Autant de décisions qui pourraient prévenir le déclin des abeilles et des apiculteurs. Un déclin déjà amorcé, pour Loïc Leray. « Mon
fils souhaite reprendre mon exploitation, mais je lui ai déconseillé.
Comment dire oui à un jeune qui souhaite se lancer, s’il risque de
perdre 40 % de son cheptel chaque année ? »
Photos : Chapô : Pixabay (PatoSan/CC)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire