Gilles Devers
Destruction des Etats… ils ne sont pas rassasiés... L’Europe
a été ces jours-ci le théâtre de manœuvres militaires de l’OTAN. Pour
le patron de l’OTAN en Europe, le général étasunien Breedlove, ces
constituent « une claire indication que notre Alliance a la capacité et
la volonté de répondre aux défis émergents contre la sécurité sur nos
flancs méridional et oriental ».
Au vu de ce qui se passe depuis 20 ans,
c’est l’annonce de nouvelles guerres de destruction, mais bien sûr, les
poètes de l’OTAN soutiennent l’inverse : juste pour se défendre contre
les méchants.
Sur
ces questions essentielles, voici deux textes qui soutiennent des
analyses radicalement contradictoires, avec Manlio Dinucci de il manifesto, et Oliveir Bot, de la Tribune de Genève.
Escalade USA/Otan en Europe
Manlio Dinucci
« Noble
Jump » est le nom de la manœuvre Otan qui s’est déroulée du 7 au 9
avril en Allemagne, Hollande, République Tchèque et huit autres pays
européens, où en 48 heures ont été mobilisés des milliers de soldats de
la « Force de pointe » à très haute rapidité opérative, faisant partie
de la « Force de riposte » de 30mille soldats. La seconde phase se
déroulera les 9-20 juin en Pologne, où seront déployées des troupes
provenant d’Allemagne, Hollande, République Tchèque, Norvège et autres
pays. On prépare ainsi la « Trident Juncture 2015 », la manœuvre qui, de
28 septembre au 6 novembre, se déroulera en Italie, Espagne et Portugal
avec des unités terrestres, aériennes et navales et avec des forces
spéciales de tous les pays de l’Otan. Avec 25 mille participants,
annonce le US Army Europe, elle sera « la plus grande manœuvre Otan
depuis la chute du Mur de Berlin », qui testera les capacités de la
« Force de riposte », dont le rôle -a expliqué un porte-parole Otan- est
de « répondre à une crise avant même qu’elle ne commence », en d’autres
termes celui de la « guerre préventive ». Celui qui conduira la
manœuvre est le Jfc Naples, commandement Otan (avec quartier général à
Lago Patria, Naples) aux ordres de l’amiral étasunien Ferguson,
simultanément commandant des Forces navales USA en Europe et des Forces
navales du Commandement Africa. Comme déclare le général étasunien
Breedlove -Commandant suprême allié en Europe (le chef militaire de
l’Otan toujours nommé par le Président des Etats-Unis) - ces manœuvres
constituent « une claire indication que notre Alliance a la capacité et
la volonté de répondre aux défis émergents contre la sécurité sur nos
flancs méridional et oriental ». C’est-à-dire qu’elle a la capacité et
la volonté, en partant des bases en Europe, de faire d’autres guerres en
Afrique du Nord/Moyen-Orient (où se prépare une autre intervention
militaire en Libye) et en Europe orientale. Sur le « flanc oriental »
l’Otan, après avoir provoqué l’explosion de la crise ukrainienne, fait
de plus en plus pression sur la Russie.
Au
large de l’Ecosse est en cours (11-24 avril) la plus grande manœuvre
navale Otan de la série « Joint Warrior », en fonction anti-Russie, avec
la participation de plus de 50 navires de guerre et 70
chasseurs-bombardiers de 14 pays, y compris un groupe naval sous
commandement italien. En Mer Noire, où en mars s’est déroulée une
manœuvre Otan à laquelle a aussi participé l’Italie, des navires de
guerre étasuniens croisent aux limites des eaux territoriales russes.
Quand un chasseur-bombardier russe, désarmé mais outillé pour la guerre
électronique, a survolé le torpilleur lance-missiles Donald Cook, le
Pentagone a protesté pour « cette action provocatrice russe qui viole
les protocoles internationaux ». Sont légaux par contre, pour
Washington, les drones USA Global Hawk qui survolent la Mer Noire et
l’Ukraine. Où est arrivé de Vicence un convoi USA de la 173rd Airborne
Brigade avec armes et équipements pour l’opération « Fearless Guardian »
: l’entraînement, pour une période de six mois, de trois bataillons (de
claire inspiration nazie) de la Garde nationale ukrainienne, effectué
par environ 300 paras USA. À qui s’ajoutent des centaines d’instructeurs
envoyés par Grande-Bretagne et Canada. Ottawa fournit aussi à Kiev des
images à haute définition de son satellite Radarsat-2 pour une
utilisation militaire.
Et
l’Allemagne ? Tandis que d’un côté elle semble se différencier de
Washington en traitant avec Moscou, de l’autre elle participe aux
manoeuvres Otan sous commandement USA en fonction anti-Russie et, en
même temps, arme la Lituanie en lui offrant même des obus automoteurs
Panzerhaubitze 2000, qui tirent 12 projectiles de 155mm à la minute avec
une portée de 30-40 Km. Les mêmes qui ont été utilisés par l’Allemagne
dans la guerre Otan en Afghanistan.
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Les pays voisins de la Russie s'arment face à l'agressivité poutinienne
Olivier Bot
La
confrontation entre la Russie et l'Occident ne se joue pas seulement en
Ukraine. Si le président russe Vladimir Poutine apparaît comme le grand
vainqueur à court terme des tensions entretenues dans ce pays (annexion
de la Crimée, popularité record, déstabilisation de l'Ukraine, absence
de réaction ferme des Etats-Unis et de l'Union européenne qui ont limité
leur réaction à des sanctions économiques et des initiatives
diplomatiques), le résultat à long terme de ce conflit gelé pourrait
bien être désastreux pour la Russie. La tension régionale créée par
l'annexion pure et simple de la Crimée et l'envoi de troupes sans
insignes et de matériels aux séparatistes de l'est ukrainien, ainsi que
les déclarations de Vladimir Poutine se faisant le protecteur des
minorités russophones des pays voisins, commencent à avoir de sérieuses
conséquences dans l'environnement régional de la Russie.
Des budgets militaires à la hausse en Europe de l'Est
La sortie du dernier rapport du Sipri (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm) sur
les dépenses militaires dans le monde démontre que la menace russe a
changé l'attitude des pays d'Europe de l'Est et des pays baltes, mais
aussi ceux d'Europe centrale et scandinave. Sur le front de tensions qui
ont regagné en intensité ce lundi - après une période de cessez-le-feu
troublée par des tirs, depuis les accords de Minsk 2 signés le 12
février - l'Ukraine a augmenté ses dépenses militaires de 20% l'an
dernier et prévoit de doubler cet effort cette année. Au palmarès des
augmentations de budget de défense, la Pologne arrive deuxième avec 13%,
juste devant la Russie avec 8% et la Lituanie qui accroît son budget
d'armement de 6%.
L'OTAN en alerte
Mais
les dépenses militaires ne sont pas le seul indicateur de la crainte
des pays voisins à l'égard de la Russie. Après avoir interrompu toute
coopération pratique avec la Russie, l'OTAN, l'organisation de défense
des Occidentaux, a décidé au sommet de Newport en septembre 2014, de
l'instauration d'une force rapide d'intervention, après l'annexion de la
Crimée. La semaine dernière, les premières manœuvres de cette force de
réaction ont eu lieu en République tchèque et aux Pays-Bas. Elles ont
impliqué 900 soldats allemands, 200 néerlandais et 150 Tchèques dans
leurs pays respectifs pour se rendre à un point d'embarquement dans les
aéroports afin de tester un déploiement de force en quelques dizaines
d'heures à destination des Pays Baltes.
Un
autre exercice baptisé Noble Jump 2, est programmé en juin à une
échelle plus grande, avec le déploiement de troupes alliées en Pologne.
Le président estonien réclamait même ce lundi une présence permanente de
troupes de combat de l'OTAN dans les trois Pays Baltes. Même
l'Allemagne, qui répétait encore ce lundi, son appel à Moscou et Kiev à
s'atteler à la prochaine phase de l'accord de Minsk, a décidé de réagir
au relèvement de l'état d'alerte dans l'Alliance atlantique en
réintégrant dans ses forces de l'armée de terre. Une centaine de chars
seront modernisés à partir de 2017 pour atteindre les 328 chars Léopard
II prêts au service, au lieu des 225 actuels. Kiev enfin a répété jeudi
dernier que sa stratégie prioritaire de défense était bien de rejoindre
l'OTAN, malgré la réticence de pays comme l'Allemagne ou la France, qui y
voient comme la Russie, un facteur d'aggravation des tensions. Dans ce
rendez-vous diplomatique de Berlin, mardi, pour le suivi des accords de
Minsk à Berlin s'annonce difficile. Celui qui était programmé le même
jour dans la capitale allemande pour évoquer les négociations sur le gaz
entre l'Ukraine, l'Union européenne et la Russie a été reporté, faute
d'avancées suffisantes.
Des incidents dans le ciel et en mer
Partout
en Europe, les incidents ou provocations se multiplient depuis des
semaines entre militaires russes et forces de l'OTAN. Lundi, les
Etats-Unis ont protesté contre l'interception "dangereuse" d’un avion de
reconnaissance américain au-dessus de la Pologne. La chasse au
sous-marin nucléaire russe en Mer Baltique qui semble avoir été le fruit
d'une paranoïa, rappelait celles de la guerre froide et mettait en
colère la Suède. L'interception de deux bombardiers russes survolant La
Manche avait mis à cran le Royaume-Uni qui a intercepté ces vols. Et en
Méditerranée, la présence de navires russes s'est accrue. La Pologne a,
en outre, construit ce mois-ci six miradors sur les 200 kilomètres de
frontière avec l'enclave russe de Kaliningrad. Ils devraient être
opérationnels en juin prochain.
La
perspective des célébrations de la victoire contre les forces nazies le
9 mai sur la place rouge va concrétiser la méfiance qui s'est installée
entre les alliés d'hier. Le président tchèque sera en effet le seul
chef d'Etat de l'Union européenne à répondre à l'invitation de Vladimir
Poutine. La plupart des pays occidentaux vont aussi snober cette
commémoration, que Vladimir Poutine utilisera sans doute pour décrire
les révolutionnaires ukrainiens de la place Maidan comme des Nazis.
Guerre d'espions et de communication
Depuis
des semaines, les affaires d'espionnage et les renvois de diplomates se
multiplient aussi. La Lituanie affirmait la semaine dernière qu'un
tiers des diplomates russes en poste dans ce pays, étaient des espions.
Trois suspects ont été expulsés en début d'année. En mars, la Suède
avait évalué elle aussi à un tiers, la proportion d'agents des services
secrets parmi le personnel diplomatique russe. Dans ce pays neutre comme
en Finlande, de plus en plus d'hommes politiques évoquent la
possibilité d'adhérer à l'OTAN. La Norvège vient d'achever pour sa part
un exercice interarmées de grande ampleur à la frontière russe, avec
5000 hommes, alors que de l'autre côté, des exercices de l'armée russe
commençaient. Les ministres de la Défense norvégien, suédois, danois,
finlandais et le ministre des Affaires étrangères islandais ont signé
une déclaration commune publiée par un quotidien norvégien expliquant
que le bloc nordique devait se préparer à "de possibles crises ou
incidents".
La
guerre de communication, une arme que les Russes ont largement utilisée
dans le conflit, a aussi poussé certains pays à prendre des mesures
drastiques. La Lituanie a ainsi interdit une chaîne de télévision russe
d'émettre sur son territoire, l'accusant de faire de la propagande.
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