lundi 27 avril 2015

La loi sur le renseignement vise aussi les zadistes, les écolos et les antinucléaires

Lucas Mascarello



Le gouvernement Valls présente une loi antiterroriste, qui vise en fait à surveiller, sans contrôle judiciaire, tous les citoyens. Parmi les cibles : les mouvements sociaux et écologistes, les zadistes et les antinucléaires.
Lundi 13 avril, le projet de loi sur le renseignement était examiné en première et unique lecture à l’Assemblée nationale. Le texte doit être voté dans une procédure d’urgence. Mais il constitue une atteinte aux libertés publiques, selon de nombreuses associations et partis qui se sont rassemblés devant l’Assemblée, lundi en fin de matinée, au moment où Manuel Valls s’apprêtait à défendre le texte dans l’hémicycle.
On retrouvait notamment le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, Amnesty International, la Ligue des droits de l’homme, la Quadrature du Net, rassemblés à l’appel de l’Observatoire des libertés et du numérique. On pouvait voir également plusieurs personnalités politiques et des anonymes protester contre cette loi supposée antiterroriste, mais qui donnera à l’exécutif la possibilité d’une surveillance massive.
« Cette loi est une loi liberticide », prévient Maryse Artiguelong de la Ligue des droits de l’Homme, « et c’est déplorable qu’un gouvernement qui a dit le 11 janvier ne pas faire de Patriot Act à la française, mette en place ce projet de loi ».
Trois mois après l’attentat contre Charlie Hebdo, c’est pourtant bien un vaste dispositif de surveillance que tente d’instaurer le gouvernement. Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes à La Quadrature du Net, appelle les citoyens « à refuser ce qu’a fait la NSA[National security agency] aux États-Unis, ce qu’Édouard Snowden a dénoncé et ce qui met en danger la vie privée de l’ensemble des citoyens » avant de mettre en garde contre « l’argument selon lequel on ne va chercher que ce qui concerne les potentiels terroristes, qui est absolument faux ».
En effet si le texte passe en l’état, il touchera l’ensemble des citoyens et la surveillance sera étendue à tous les domaines de la vie sociale.

Des moyens de surveillances inédits

Concrètement, cette loi permet aux services de renseignements de mettre en place des moyens de surveillance beaucoup plus intrusifs. Pose de micros dans un appartement ou un véhicule, écoute téléphonique, installation de balises GPS pourront se faire sans l’accord d’un juge. La demande sera directement faite au Premier ministre, charge pour lui d’accepter ou non.
D’autre part, les services de renseignements pourront utiliser des « IMSI-catchers ». Ce sont de fausses antennes relais. Les téléphones s’y connectent et il devient très facile d’espionner les conversations. Les métadonnées des ordinateurs seraient également collectées et renseigneront sur les flux entrants et sortants. Pour finir en beauté, l’ensemble du net français serait surveillé par l’intermédiaire de « boites noires » installées directement chez les fournisseurs d’accès.
Toutes ces données, une fois collectées, seront analysées par des algorithmes qui détermineront les comportements suspects. C’est donc bien une collecte généralisée de la navigation sur internet qui se joue actuellement.
Adrienne Charmet tient à rappeler « que l’intégralité de ce qui va être collecté par les services de renseignements sera classée ’secret défense’ ». Autrement dit, en plus d’échapper au contrôle d’un juge, le citoyen qui voudra contester une surveillance abusive se heurtera à la levée du secret. Pas gagné…

Une loi liberticide qui touche tout le monde

La surveillance d’internet par l’intermédiaire des « boites noires » concernerait l’ensemble du trafic français. De fait, c’est l’ensemble des citoyens qui seraient sous surveillance. Pour Adrienne Charmet, « tout le monde peut se retrouver à un moment ou à un autre à avoir ses données collectées massivement par les services de renseignement ».
Comme garde-fou, la Commission de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) sera chargée de contrôler tous les moyens techniques mis en œuvre pour le recueil de renseignements. Jusqu’à présent, les écoutes étaient encadrées par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).
Pour Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT police, « ce projet de loi est confié aux seules mains du Premier ministre puisque la commission nationale que monsieur Urvoas [député rapporteur du projet de loi]veut bien intégrer comme étant le seul contre-pouvoir à ce projet n’est pas décisionnaire ». En d’autres termes, l’unique instance de contrôle n’aura qu’un avis consultatif.

Surveiller les ZAD et les anti-nucléaires

Dans ce contexte, Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature considère que « l’action des services de renseignements doit rester exceptionnelle, parce que, dans une démocratie, elle est de l’ordre de la dérogation. Elle doit être encadrée et contrôlée par une autorité indépendante, par un juge ». Or le champ d’intervention des services de renseignements étant très large, on peut craindre des opérations visant les mobilisations citoyennes et politiques. Plus précisément, ces écoutes et autres interceptions seront possibles grâce au volet « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ».
La formulation a légèrement changé dans le texte actuel :
Mais la désignation est suffisamment vague pour englober les luttes sociales. On pense, entre autres, aux ZAD ou aux actions antinucléaires, qui risquent fort d’être espionnées sans contrôle judiciaire.
Pour Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste, « on va mettre de plus en plus de bâtons dans les roues à tous ceux et toutes celles qui font sortir des informations issues des mobilisations. Ce qui se trame aujourd’hui au nom du secret des affaires dans des grands groupes énergétiques, de distribution des eaux, de l’armement… tout cela sera encore plus obscur que ça ne l’était auparavant ».
Florian Borg, président du Syndicat des avocats de France, poursuit la logique : « Ce qui veut dire que si demain, le gouvernement décide que l’EPR de Flamanville est un enjeu essentiel pour la France, toute personne qui voudra le contester est susceptible d’être écoutée et surveillée ».

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