Côté Ukraine, le
noeud se resserre. Nous assistons à
l'alliance tragi-comique des Folamours
néo-conservateurs et d'une poignée
d'oligarques ukrainiens vendus qui
n'arrivent pas à se partager le butin
sur le corps sanguinolent d'un pays au
bord de la faillite.
Iatseniouk,
n'a-t-il pas proposé de récupérer les
clandestins de Lampedusa pour les nicher
dans des camps de travail donabassiens ?
Ces pauvres bougres devront extraire le
schiste de la région en échange d'une
maigre pitance. L'oligarchie kiévienne
se verrait octroyer en retour un soutien
plus important encore de la part de
l'UE.
Tous les moyens
sont bons pour séduire la vache à lait
occidentale qui, elle, a sa petite idée en
tête : coloniser l'Ukraine et faire du
Donbass une zone grise avec bases
militaires et camps de détention
otaniens. Le scénario est tellement
vieux et rebattu qu'il semble inutile de
revenir sur ses détails.
Personnellement, l'accueil qu'a réservé
Poroshenko aux 300 militaires américains
de la 173e Brigade aéroportée m'a
rappelée la main tendue de Pétain au
maréchal Keitel en 1940. Même air de
soumission, même détermination à trouver
de nouveaux maîtres à son pays. À une
nuance près ! Il semble que Pétain
croyait à l'idéologie qu'il soutenait.
Poroshenko croit à celui qui remplira
ses poches avec plus de générosité et
alimente, sournoisement, la
désinformation ambiante des médias
atlantistes en prétendant combattre des
armées russes supposées et non pas les
armées républicaines du Donbass qui sont
une émanation du peuple.
M. Géronimo est un
géopoliticien de premier plan.
Universitaire, auteur du livre « La
pensée stratégique russe : Guerre tiède
sur l'échiquier eurasien », il nous a
livré une analyse de fond
pluridimensionnelle du dossier ukrainien
dans sa dynamique.
Radio Sputnik.
Le chef du renseignement français, Mr
Christophe Gomart, avait déclaré il y a
peu qu'il n'y avait pas de troupes
russes dans le Donbass et que le
renseignement français avait été
constamment leurré par la CIA. Comment
se fait-il, selon vous, que l'Assemblée
Nationale se soit décidée à reprendre
cette déclaration ? La France serait-elle
en passe de réviser sa position par
rapport au rôle supposé de la Russie en
Ukraine ?
Jean Géronimo.
Oui, depuis quelques temps on observe
une inflexion du discours de la
diplomatie française en faveur de la
Russie. Ce revirement peut s'expliquer
par trois raisons.
D'abord, c'est une
vérité incontournable qui a été relayée
par les membres de l'OSCE et de l'ONU,
voire par certains responsables
américains. On sait à l'heure actuelle,
qu'officiellement, il n'y a pas
d'intervention russe en Ukraine. On ne
pouvait pas faire autrement que de
revenir vers la vérité.
Deuxièmement, il y
a une volonté française de s'écarter de
la ligne américaine, d'affirmer sa voix
sur la scène internationale, l'éveil
d'un réflexe gaullien qui pousse à
défendre ses intérêts nationaux. Il
s'agit aussi d'atténuer la politique de
sanctions contre la Russie qui est
inefficace sur le plan économique. On a
finalement vu que les plus embêtés, sur
un plan géopolitique, c'était les
Européens, les sanctions favorisant le
renforcement de l'axe sino-russe au
détriment de l'Europe. Par exemple, sur
un plan économique, on peut remarquer
qu'en 2014, alors que les échanges entre
Européens et Russes ont baissé de 15%,
les échanges entre Américains et Russes
ont augmenté de 7%.
Troisièmement,
l'objectif consiste à accélérer l'issue
d'une solution politique au conflit
ukrainien parce qu'on reconnait
aujourd'hui le rôle incontournable de la
Russie dans les accords de Minsk.
D'autre part, il y a une méfiance accrue
des Européens et de la France par
rapport à Porochenko. Cet aveu de
Monsieur Gomart pourrait renforcer la
légitimité russe et sa contribution
positive à la sortie de la crise
ukrainienne.
Radio Sputnik.
On constate que le Donbass est de
nouveau secoué par des tirs
d'artillerie, qui d'ailleurs, vont
crescendo, la situation s'envenime.
Est-ce qu'on devrait y voir un échec
déjà avéré de Minsk-2 qui n'a en fait
que gelé le conflit ? Si la Russie
continue à ne pas intervenir, même après
l'envoi de 300 instructeurs américains
de l'OTAN à Kiev et Lvov, pourrait-on
s'attendre à la longue à un apaisement
des tensions suivi d'une solution
diplomatique ?
Jean Géronimo.
Tout d'abord, Minsk-2 n'est pas un échec
mais plutôt un succès relatif. Je vais
revenir sur trois éléments. Cet accord a
permis une évolution positive. Il y a,
d'une part, un retour aux négociations,
à une forme de dialogue, et d'autre
part, ça a permis de stabiliser la
situation, d'avoir un cessez-le-feu qui
est plus ou moins respecté.
Deuxième
élément : Il y a certes une montée des
tensions mais qui est canalisée grâce à
l'accord. Il y a certes des accrochages
depuis le début et l'intensité de ces
accrochages tend à augmenter depuis peu,
mais ça reste à un niveau tolérable.
D'autre part,
on observe une ingérence américaine qui
est en quelque sorte officialisée mais
qui est aujourd'hui cadrée par cet
accord de Minsk. On sait que des
instructeurs américains ont débarqué
mais bien avant il y avait déjà des
conseillers américains ! Ce processus est
aujourd'hui officialisé et l'accord
permet de réguler cette ingérence
américaine, de la contenir à un niveau
plus supportable.
Troisième élément :
le danger, c'est le renforcement des
capacités militaires de Kiev qui
pourrait profiter de la trêve, qui en
profite d'ailleurs aujourd'hui, pour
construire les bases d'une nouvelle
offensive, entre autres réarmemer. Il y
a aussi un reformatage de la Garde
Nationale qui est catalysé par l'aide
américaine. Or, la Garde Nationale a une
énorme composante ultra-nationaliste à
tendance quasiment néo-nazie. C'est un
jeu dangereux qu'ont lancé les
Américains, mais ce n'est pas la
première fois qu'ils jouent ce jeu pour
déstabiliser la Russie. Ils l'ont fait
bien avant, en 79, en Afghanistan,
depuis il y a une ligne structurelle de
déstabilisation de la Russie. Je dirais
que tous les coups sont bons sur le
Grand Echiquier.
Conclusion :
l'apaisement des tensions dépend des
deux parties à respecter Minsk-II sous
la supervision russe qui ne doit
absolument pas intervenir. D'ailleurs,
si la Russie n'intervient pas, c'est
parce que elle joue pour l'instant un
rôle de superviseur et qu'elle défend
ainsi mieux ses intérêts nationaux. Or,
trois problèmes viennent se greffer
là-dessus.
D'une part, il y a un
mouvement de dissidence de la part des
groupes ultra-nationalistes et des
groupes paramilitaires, le plus célèbre
étant bien sûr le Pravy Sektor qui
refuse de désarmer et qui considère les
accords de Minsk comme illégitimes.
Deuxième problème : il y a un recul de
Porochenko sur le statut des régions
séparatistes.
Troisième problème : il y a
une montée en puissance des oligarques
qui verrouillent le conflit. Nous sommes
également en présence d'une guerre entre
les oligarques de l'Est contre les
oligarques de l'Ouest.
Radio Sputnik.
Dans l'interview que vous avez assez
récemment accordée à RFI, il était
question de volonté de puissance de la
Russie qui serait désireuse de
construire une grande Europe. Est-ce que
vous croyez que la stratégie de Poutine,
y compris à travers l'Ukraine, y
contribue ?
Jean Géronimo.
La stratégie de Poutine, contrairement à
ce que croient certains experts
occidentaux, est centrée sur le long
terme. Il y a une stratégie russe sur le
long terme qui est de reconstruire la
puissance russe dans le cadre d'une
grande Europe. C'est un peu la ligne
gaullienne qui avait été reprise par le
projet de Gorbatchev, la Maison Commune.
Cette stratégie s'appuie sur un ancrage
régional, eurasien et sur le
renforcement d'une structure sécuritaire
eurasienne qui comprendrait l'Europe,
l'ex-URSS et la Chine. On constate donc
qu'il y a là, implicitement, une reprise
du concept d'interdépendance sécuritaire
de Gorbatchev et de la pérestroïka qui
inspire modérément Vladimir Poutine. On
est tous dans une Maison Commune, tant
dans un sens économique que sécuritaire,
et cela suppose de régler d'abord le
problème ukrainien qui mine le projet
sécuritaire de Poutine. Le problème
ukrainien, je le considère comme un choc
exogène de court terme qui ne remet pas
en cause la stratégie de long terme de
Poutine.
Conclusion : on peut dire que Poutine préserve l'avenir européen de la Russie en excluant toute intervention militaire. Trois éléments en témoignent.
Conclusion : on peut dire que Poutine préserve l'avenir européen de la Russie en excluant toute intervention militaire. Trois éléments en témoignent.
D'abord, la reprise
de la Crimée s'inscrit dans le fait que
c'était un territoire historiquement
russe, elle vise surtout à bloquer
l'avancée de l'axe USA-OTAN.
Deuxième
élément : il y a une stratégie défensive
de Poutine qui cherche à défendre les
intérêts nationaux de la Russie. Cette
stratégie est également réactive,
c'est-à-dire qu'elle réagit aux
provocations de l'OTAN en Ukraine,
provocations aussi des oligarques de
l'Ouest ukrainien. Troisième élément :
Poutine maintient son projet d'une
Europe de l'Atlantique à l'Oural qui est
repris de la Maison Commune de
Gorbatchev.
Radio Sputnik.
« Faut-il avoir peur de Poutine ? » vous
a-t-on demandé lors de l'émission. Cette
peur, est-elle partagée par l'Européen
moyen ou s'agit-il d'une question
rhétorique ?
Jean Géronimo.
C'est un discours alarmiste, même
convenu, qui est plus ou moins hérité
d'une autre époque, celle de la Guerre
Froide. Un discours qui vise à faire de
Poutine et donc de la Russie la menace
numéro un. C'est attesté aussi par
l'inflexion de la doctrine militaire
américaine, ukrainienne et otanienne.
Les objectifs sous-jacents de ce
discours concourrent à réactiver
l'idéologie antirusse et donc de
légaliser le putsch qui a permis le
contrôle du pivot géopolitique ukrainien
pour reprendre la terminologie de
Brezinski.
Cette stratégie se
traduit notamment par la réémergence de
ce que j'appelle l'ennemi systémique.
L'ennemi systémique c'est celui de la
Guerre Froide mais qui est nécessaire à
réguler l'équilibre entre la Russie et
les Etats-Unis. On a tous besoin d'un
ennemi systémique qui va réguler nos
rapports de force ce qui va justifier,
d'une part, l'extension et le réarmement
de l'OTAN, un marché très juteux pour le
complexe militaro-industriel américain,
d'autre part, légitimer le leadership
américain sur l'OTAN tout en
marginalisant la Russie et en justifiant
l'installation du futur bouclier
anti-missile américain.
C'est un discours qui s'inscrit dans une stratégie globalement antirusse et qui vise à accélérer le reflux de la puissance russe, à bloquer le projet d'union eurasiatique qui est perçu par les Américains comme un projet à visée géopolitique. Il y a enfin une volonté de déstabilisation du régime de Vladimir Poutine, un peu dans la logique des révolutions de couleur qui sont sans cesse conduites sur l'espace post-soviétique.
C'est un discours qui s'inscrit dans une stratégie globalement antirusse et qui vise à accélérer le reflux de la puissance russe, à bloquer le projet d'union eurasiatique qui est perçu par les Américains comme un projet à visée géopolitique. Il y a enfin une volonté de déstabilisation du régime de Vladimir Poutine, un peu dans la logique des révolutions de couleur qui sont sans cesse conduites sur l'espace post-soviétique.
La vraie question à se
poser n'est pas de savoir s'il faut
avoir peur de Poutine mais plutôt s'il
faut avoir peur des dirigeants américains et
des dégâts collatéraux de leur
gouvernance post-guerre froide des
crises internationales. On l'a vu en
ex-Yougoslavie en 1999, au Kosovo et en
Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, et
désormais au Moyen-Orient ainsi qu'en
Ukraine. Poutine n'a pas fait de tels
dégâts. Ce sont plutôt les Américains
qui sont responsables de cette
déstabilisation ».
Palestine Solidarité
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