samedi 25 avril 2015

Qui sont les résidents affamés et assiégés de Yarmouk et pourquoi sont-ils là ?

JPEG - 145 koPaul Larudee                        

Il y a beaucoup d’idées fausses sur ce qui se passe dans le quartier de Yarmouk de Damas et dans sa population de réfugiés palestiniens.
 
Le quartier a été réservé en 1957 aux réfugiés palestiniens qui y vivaient déjà, ceux qu’Israël avait expulsés de leurs maisons en 1948, et aux populations qui sont arrivées périodiquement par la suite. Aujourd’hui, il abrite environ un million de Syriens et de Palestiniens, le nombre de ces derniers s’élevant à environ 170 000. Les Palestiniens de Syrie ont tous les droits des citoyens syriens, sauf le droit de vote, et à Yarmouk leurs maisons sont indiscernables de celles des résidents syriens.
Depuis 2012, des éléments armés qui tentent de renverser le gouvernement Assad ont pris pied à Yarmouk. La plupart des Palestiniens n’étaient pas d’accord, parce que cela violait l’accord tacite de réciprocité : hospitalité syrienne contre neutralité palestinienne. Mais il n’y avait pas non plus de consensus parmi les Palestiniens pour expulser de force les intrus.
Dès juin 2013, l’armée arabe syrienne (AAS) a encerclé le camp pour empêcher d’autres attaques sur le centre de Damas qui recevait déjà sa dose quotidienne de tirs à l’aveugle de mortiers. (Trois ont atterri juste à l’extérieur de mon hôtel en avril 2014, l’un d’eux faisant trois morts.) La plupart de la population a fui jusqu’à ce qu’il ne reste que 18 000 personnes en octobre 2013, selon le chef du Fatah, Mahmoud Abbas Zaki, comme Ma’an News l’a indiqué. Plusieurs milliers de personnes vivent maintenant en dehors du camp, dans des abris fournis par le gouvernement syrien et les organisations humanitaires syriennes.
En avril 2014, j’ai visité une école qui avait été convertie en logements pour les réfugiés de Yarmouk. L’endroit était terriblement surpeuplé et très inconfortable, du fait qu’il fallait fournir le nécessaire à près de 8 millions de personnes rapatriées dans les zones contrôlées par le gouvernement, doublant la population normale dans ces zones. Néanmoins, il y avait de la nourriture, ainsi que des services d’éducation et de santé.
Pendant les 18 mois suivants, jusqu’à ce que Daesh (ISIS ou l’Etat islamique) entre dans le camp le 1er avril 2015, le nombre de résidents a continué de se maintenir à 18 000 malgré un siège qui a coupé l’électricité et l’eau et réduit l’approvisionnement en nourriture et en médicaments. Plus d’une centaine de civils seraient morts de faim ou du manque de soins médicaux pendant ces dix-huit mois. Qui sont les civils restants et pourquoi refusent-ils de sortir se mettre à l’abri comme les autres ?
Des contrôleurs locaux de l’aide humanitaire expliquent en privé que certains d’entre eux ne sont pas de Yarmouk et certains ne sont pas palestiniens. Il y a les familles des combattants syriens et étrangers qui veulent renverser le gouvernement syrien par la force des armes, et d’autres viennent des quartiers voisins, comme le bastion de Daesh de Hajar al-Aswad. Il est difficile de savoir combien sont retenus de force dans le camp par les groupes armés et combien préfèrent y rester de peur des conséquences.
Certains pourraient être considérés comme des « boucliers humains », utilisés par les combattants pour décourager les attaques. Mais ils pourraient aussi craindre de devenir des « otages humains » s’ils partent, et d’être utilisés pour faire pression sur les combattants pour qu’ils se rendent. Les motivations pour partir ou rester peuvent être complexes, mais rien ne prouve que le gouvernement syrien empêche les civils de quitter le camp. En fait, 90% de la population est déjà partie.

Le gouvernement syrien empêche-t-il la distribution de nourriture et de médicaments dans le camp ?

Le siège est une des stratégies militaires les plus courantes de l’AAS. Typiquement, l’armée assiège une zone et empêche les aliments, les médicaments et, bien sûr, les bras d’entrer dans la mesure du possible. D’autre part, il encourage les civils à partir et fournit de l’aide humanitaire à ceux qui le font.
L’objectif est d’évacuer autant de civils que possible de la région et ensuite d’attaquer l’ennemi ou de l’obliger à se rendre parfois en lui promettant l’amnistie. C’est la stratégie militaire classique, bien qu’elle soit pénible pour les civils, comme d’habitude.
Dans le cas de Yarmouk, il y a une autre dimension au siège. Le gouvernement syrien a conclu un accord de longue date avec le Conseil palestinien qui administre le camp selon lequel il n’entrerait pas sans sa permission. Toutefois, le Conseil n’a jamais fait cette demande et les autorités syriennes n’ont jamais demandé sa permission. Cet accord tient toujours, bien que les forces palestiniennes qui défendent le camp contre Daesh aient récemment mis en place un commandement conjoint et coordonné leurs efforts avec l’armée syrienne qui fournit l’artillerie et le soutien aérien. En outre, l’armée a attaqué des zones voisines de Yarmouk qui sont des bastions de Daesh, afin d’empêcher qu’ils n’entrent à Yarmouk et/ou qu’ils n’approvisionnement les forces de Daesh dans le camp.
Rien n’indique que l’AAS empêche la distribution d’aide humanitaire dans Yarmouk. Malgré le siège, l’armée a autorisé le stockage de marchandises aux abords du camp et il a permis aux civils de l’intérieur de venir chercher l’aide pour la distribuer. Toutefois, le gouvernement veut que les civils partent, il ne veut pas que des personnes supplémentaires s’installent dans le camp et il répugne à laisser entrer des étrangers, en particulier du fait qu’ils n’y sont pas en sécurité. Néanmoins, il a permis à des ONG humanitaires, comme l’UNRWA, de distribuer de l’aide à peu près la moitié du temps.
Il y a donc eu un flux modeste mais insuffisant d’aide aux résidents du camp jusqu’à ce Daesh envahisse une grande partie du secteur. Pendant les combats pour défendre le camp et reprendre les zones occupées par Daesh, il était beaucoup trop dangereux de distribuer de l’aide, ce qui a eu des conséquences désastreuses pour les civils restants. Par conséquent, le nombre de résidents civils a probablement chuté à moins de la moitié des 18 000 (l’estimation initiale), malgré leur peur de partir.

L’armée syrienne a-t-elle utilisé des bombes barils sur Yarmouk ?

Aucune utilisation de bombes barils n’a été enregistrée à Yarmouk avant l’arrivée de Daesh, fin mars 2015. Leur utilisation en avril 2015 est confirmée, même si le nombre de victimes qu’ont fait ces munitions est infime. Une ou peut-être deux bombes barils semblent avoir été larguées dans la rue devant l’hôpital de la Palestine dans le camp, mais sans faire de victimes. Des nombres plus élevés de victimes ont été mentionnés, mais sans que la preuve en ait été apportée.
Au cours de combats les plus violents, la Force aérienne syrienne (FAAS) a utilisé deux bombes conventionnelles larguées par des avions à réaction et des bombes barils sur le bastion de Daesh de Hajar al-Aswad et la partie adjacente de Yarmouk. Les résidents ont entendu des dizaines d’explosions, mais on ne sait pas combien venaient de Yarmouk même, ni combien de victimes il a pu y avoir, ni combien parmi elles étaient des civils. Un total de 18 victimes civiles a été dénombré dans l’ensemble de Yarmouk au cours d’une semaine de combats intensifs au début d’avril, mais aucune n’est due aux bombes barils et on ne sait pas qui est responsable de ces meurtres.

Est-ce que l’armée syrienne massacre des civils ?

L’un des principales reproches contre les bombes barils et les tactiques de l’AAS est qu’elles causent d’énormes pertes civiles. Il ne fait aucun doute qu’il y a eu un nombre disproportionné de victimes civiles dans certains cas. Globalement, toutefois, le nombre de civils tués par les forces gouvernementales et les loyalistes est inférieur au nombre de victimes chez les soldats eux-mêmes, peut-être même que deux combattants sont morts pour chaque civil tué. Jamais, depuis la première guerre mondiale, ça n’a été le cas pour les forces américaines.
Quant aux « bombes barils », les allégations de leur utilisation contre des civils et de leur barbarie insensée ne tiennent pas. Comme toutes les bombes, elles sont faites d’explosifs, parfois avec l’ajout de projectiles. À cet égard, elles ne sont pas différentes de nombreuses sortes de munitions explosives utilisées par les forces militaires à travers le monde. Elles sont conçues pour détruire, y compris la vie.
Voilà les reproches qu’on leur fait : a) elles sont par nature aveugles et atteignent des cibles non voulues et b) elles sont presque toujours utilisés contre les civils. Le premier est manifestement faux. Les bombes conventionnelles sont habituellement larguées par des chasseurs-bombardiers à haute vitesse et souvent à proximité de la cible. Dans la guerre syrienne comme dans les autres, la rapidité du largage protège contre le feu ennemi en provenance du sol. Cette vitesse réduit également la précision, mais la proximité relative de la cible compense sensiblement cet inconvénient.
Les bombes barils sont généralement larguées d’une hauteur qui est hors de portée du feu du sol. Cependant, elles sont lâchées à partir d’hélicoptères fixes, qui permettent une plus grande précision qui compense l’inconvénient de la hauteur. Selon les rapports, peu voire aucune bombe baril ne manque sa cible (bien que parfois la cible sélectionnée puisse résulter de mauvais renseignement).
On sait que des milliers de bombes barils ont été utilisées par la FAAS depuis 2012, date à laquelle elle a commencé à les utiliser, et qu’il y a eu des milliers de victimes de ces armes. Malheureusement, on n’en sait pas davantage à l’exception de cas anecdotiques. Bien que certaines bombes n’aient provoqué que des dégâts matériels, d’autres ont causé 25 victimes ou davantage. Les données disponibles ne fournissent pas beaucoup de statistiques, comme, par exemple, le nombre moyen de victimes par bombe. Font-elles plus ou moins de victimes que les bombes conventionnelles ou que les drones américains, par exemple ? Combien de victimes sont des civils et combien des combattants ? Nous ne le savons pas, mais le nombre total de victimes civiles demeure anormalement bas par rapport à la plupart des autres conflits du siècle dernier.
Ce qui semble clair, c’est que la presse occidentale, les gouvernements et les ONG ont présenté les bombes barils comme des armes diaboliques. La raison semble en être que, alors que les bombes conventionnelles font tout autant de dégâts et de victimes (et sont largement utilisées par le gouvernement ukrainien), les arsenaux occidentaux ne contiennent pas de bombes barils. Si ces armes peuvent être suffisamment vilipendées en fonction du type d’arme plutôt que de leur mode d’utilisation, il sera possible de condamner les forces militaires syriennes pour leurs armes inhumaines, sans que cela n’entache les nations qui utilisent des armes différentes, même celles qui sont autant sinon plus destructrices. Curieusement, les bombes DIME* proprement inhumaines et les armes au phosphore blanc utilisées dans la bande de Gaza n’ont pas provoqué la même condamnation, bien que le ration des victimes militaires israéliennes par rapport aux victimes civiles ait été jusqu’à 100 fois plus élevé que pour l’armée syrienne.
Pourquoi, alors, Amnesty International, Human Rights Watch, Chris Gunness de l’UNRWA, et la plupart des agences de presse occidentales condamnent-ils le gouvernement syrien pour l’utilisation de bombes barils, et l’accusent-ils d’affamer les habitants du camp et de les empêcher de partir ? Les Palestiniens et leurs partisans sont habitués à ce que l’information sur la Palestine soit fausse et biaisée. Ils savent que les médias occidentaux font des heures supplémentaires pour protéger Israël. C’est leur mission. Peuvent-ils croire que ces organismes soient objectifs en ce qui concerne la Syrie ?
L’Occident, Israël, les monarchies du Golfe, la Turquie et les nombreux courtisans et marionnettes des puissances occidentales ont annoncé très clairement leur intention de renverser le gouvernement syrien, en violation de la Charte des Nations Unies et d’autres lois internationales prohibant les guerres d’agression, et en violation de la souveraineté syrienne. AI, HRW et d’autres impérialistes des droits de l’homme n’ont pas une seule fois reconnu l’un de ces faits en ce qui concerne la Syrie. Au contraire, ils ont soutenu le push illégal de l’ouest pour un changement de régime.

N’est-il pas tout à fait évident que les institutions et les médias occidentaux déforment leur couverture de la Syrie pour l’adapter à leur objectif ?
On dirait que non, même pour les personnes qui devraient être plus avisées, habituées comme elles le sont à voir de telles distorsions dans les rapports sur la Palestine.

Note :

Photo :  Des habitants du camp de Yarmouk se dépêchent pour atteindre le point de distribution de nourriture - janvier 2014 - Photo : UNRWA

* Paul Larudee est l’un des fondateurs des mouvements Free Gaza et Free Palestine et un des organisateurs de l’International Solidarity Movement.

Info Palestine

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