Il y a beaucoup d’idées fausses sur ce qui se passe dans le quartier de
Yarmouk de Damas et dans sa population de réfugiés palestiniens.
Le quartier a été réservé en 1957 aux réfugiés palestiniens qui y
vivaient déjà, ceux qu’Israël avait expulsés de leurs maisons en 1948,
et aux populations qui sont arrivées périodiquement par la suite.
Aujourd’hui, il abrite environ un million de Syriens et de Palestiniens,
le nombre de ces derniers s’élevant à environ 170 000. Les Palestiniens
de Syrie ont tous les droits des citoyens syriens, sauf le droit de
vote, et à Yarmouk leurs maisons sont indiscernables de celles des
résidents syriens.
Depuis 2012, des éléments armés qui tentent de renverser le
gouvernement Assad ont pris pied à Yarmouk. La plupart des Palestiniens
n’étaient pas d’accord, parce que cela violait l’accord tacite de
réciprocité : hospitalité syrienne contre neutralité palestinienne. Mais
il n’y avait pas non plus de consensus parmi les Palestiniens pour
expulser de force les intrus.
Dès juin 2013, l’armée arabe syrienne (AAS) a encerclé le camp pour
empêcher d’autres attaques sur le centre de Damas qui recevait déjà sa
dose quotidienne de tirs à l’aveugle de mortiers. (Trois ont atterri
juste à l’extérieur de mon hôtel en avril 2014, l’un d’eux faisant trois
morts.) La plupart de la population a fui jusqu’à ce qu’il ne reste
que 18 000 personnes en octobre 2013, selon le chef du Fatah, Mahmoud
Abbas Zaki, comme Ma’an News l’a indiqué. Plusieurs milliers de
personnes vivent maintenant en dehors du camp, dans des abris fournis
par le gouvernement syrien et les organisations humanitaires syriennes.
En avril 2014, j’ai visité une école qui avait été convertie en
logements pour les réfugiés de Yarmouk. L’endroit était terriblement
surpeuplé et très inconfortable, du fait qu’il fallait fournir le
nécessaire à près de 8 millions de personnes rapatriées dans les zones
contrôlées par le gouvernement, doublant la population normale dans ces
zones. Néanmoins, il y avait de la nourriture, ainsi que des services
d’éducation et de santé.
Pendant les 18 mois suivants, jusqu’à ce que Daesh (ISIS ou l’Etat
islamique) entre dans le camp le 1er avril 2015, le nombre de résidents a
continué de se maintenir à 18 000 malgré un siège qui a coupé
l’électricité et l’eau et réduit l’approvisionnement en nourriture et en
médicaments. Plus d’une centaine de civils seraient morts de faim ou du
manque de soins médicaux pendant ces dix-huit mois. Qui sont les civils
restants et pourquoi refusent-ils de sortir se mettre à l’abri comme
les autres ?
Des contrôleurs locaux de l’aide humanitaire expliquent en privé que
certains d’entre eux ne sont pas de Yarmouk et certains ne sont pas
palestiniens. Il y a les familles des combattants syriens et étrangers
qui veulent renverser le gouvernement syrien par la force des armes, et
d’autres viennent des quartiers voisins, comme le bastion de Daesh de
Hajar al-Aswad. Il est difficile de savoir combien sont retenus de force
dans le camp par les groupes armés et combien préfèrent y rester de
peur des conséquences.
Certains pourraient être considérés comme des « boucliers humains »,
utilisés par les combattants pour décourager les attaques. Mais ils
pourraient aussi craindre de devenir des « otages humains » s’ils
partent, et d’être utilisés pour faire pression sur les combattants pour
qu’ils se rendent. Les motivations pour partir ou rester peuvent être
complexes, mais rien ne prouve que le gouvernement syrien empêche les
civils de quitter le camp. En fait, 90% de la population est déjà
partie.
Le gouvernement syrien empêche-t-il la distribution de nourriture et de médicaments dans le camp ?
Le siège est une des stratégies militaires les plus courantes de
l’AAS. Typiquement, l’armée assiège une zone et empêche les aliments,
les médicaments et, bien sûr, les bras d’entrer dans la mesure du
possible. D’autre part, il encourage les civils à partir et fournit de
l’aide humanitaire à ceux qui le font.
L’objectif est d’évacuer autant de civils que possible de la région
et ensuite d’attaquer l’ennemi ou de l’obliger à se rendre parfois en
lui promettant l’amnistie. C’est la stratégie militaire classique, bien
qu’elle soit pénible pour les civils, comme d’habitude.
Dans le cas de Yarmouk, il y a une autre dimension au siège. Le
gouvernement syrien a conclu un accord de longue date avec le Conseil
palestinien qui administre le camp selon lequel il n’entrerait pas sans
sa permission. Toutefois, le Conseil n’a jamais fait cette demande et
les autorités syriennes n’ont jamais demandé sa permission. Cet accord
tient toujours, bien que les forces palestiniennes qui défendent le camp
contre Daesh aient récemment mis en place un commandement conjoint et
coordonné leurs efforts avec l’armée syrienne qui fournit l’artillerie
et le soutien aérien. En outre, l’armée a attaqué des zones voisines de
Yarmouk qui sont des bastions de Daesh, afin d’empêcher qu’ils n’entrent
à Yarmouk et/ou qu’ils n’approvisionnement les forces de Daesh dans le
camp.
Rien n’indique que l’AAS empêche la distribution d’aide humanitaire
dans Yarmouk. Malgré le siège, l’armée a autorisé le stockage de
marchandises aux abords du camp et il a permis aux civils de l’intérieur
de venir chercher l’aide pour la distribuer. Toutefois, le gouvernement
veut que les civils partent, il ne veut pas que des personnes
supplémentaires s’installent dans le camp et il répugne à laisser entrer
des étrangers, en particulier du fait qu’ils n’y sont pas en sécurité.
Néanmoins, il a permis à des ONG humanitaires, comme l’UNRWA, de
distribuer de l’aide à peu près la moitié du temps.
Il y a donc eu un flux modeste mais insuffisant d’aide aux résidents
du camp jusqu’à ce Daesh envahisse une grande partie du secteur. Pendant
les combats pour défendre le camp et reprendre les zones occupées par
Daesh, il était beaucoup trop dangereux de distribuer de l’aide, ce qui a
eu des conséquences désastreuses pour les civils restants. Par
conséquent, le nombre de résidents civils a probablement chuté à moins
de la moitié des 18 000 (l’estimation initiale), malgré leur peur de
partir.
L’armée syrienne a-t-elle utilisé des bombes barils sur Yarmouk ?
Aucune utilisation de bombes barils n’a été enregistrée à Yarmouk
avant l’arrivée de Daesh, fin mars 2015. Leur utilisation en avril 2015
est confirmée, même si le nombre de victimes qu’ont fait ces munitions
est infime. Une ou peut-être deux bombes barils semblent avoir été
larguées dans la rue devant l’hôpital de la Palestine dans le camp, mais
sans faire de victimes. Des nombres plus élevés de victimes ont été
mentionnés, mais sans que la preuve en ait été apportée.
Au cours de combats les plus violents, la Force aérienne syrienne
(FAAS) a utilisé deux bombes conventionnelles larguées par des avions à
réaction et des bombes barils sur le bastion de Daesh de Hajar al-Aswad
et la partie adjacente de Yarmouk. Les résidents ont entendu des
dizaines d’explosions, mais on ne sait pas combien venaient de Yarmouk
même, ni combien de victimes il a pu y avoir, ni combien parmi elles
étaient des civils. Un total de 18 victimes civiles a été dénombré dans
l’ensemble de Yarmouk au cours d’une semaine de combats intensifs au
début d’avril, mais aucune n’est due aux bombes barils et on ne sait pas
qui est responsable de ces meurtres.
Est-ce que l’armée syrienne massacre des civils ?
L’un des principales reproches contre les bombes barils et les
tactiques de l’AAS est qu’elles causent d’énormes pertes civiles. Il ne
fait aucun doute qu’il y a eu un nombre disproportionné de victimes
civiles dans certains cas. Globalement, toutefois, le nombre de civils
tués par les forces gouvernementales et les loyalistes est inférieur au
nombre de victimes chez les soldats eux-mêmes, peut-être même que deux
combattants sont morts pour chaque civil tué. Jamais, depuis la première
guerre mondiale, ça n’a été le cas pour les forces américaines.
Quant aux « bombes barils », les allégations de leur utilisation
contre des civils et de leur barbarie insensée ne tiennent pas. Comme
toutes les bombes, elles sont faites d’explosifs, parfois avec l’ajout
de projectiles. À cet égard, elles ne sont pas différentes de nombreuses
sortes de munitions explosives utilisées par les forces militaires à
travers le monde. Elles sont conçues pour détruire, y compris la vie.
Voilà les reproches qu’on leur fait : a) elles sont par nature
aveugles et atteignent des cibles non voulues et b) elles sont presque
toujours utilisés contre les civils. Le premier est manifestement faux.
Les bombes conventionnelles sont habituellement larguées par des
chasseurs-bombardiers à haute vitesse et souvent à proximité de la
cible. Dans la guerre syrienne comme dans les autres, la rapidité du
largage protège contre le feu ennemi en provenance du sol. Cette vitesse
réduit également la précision, mais la proximité relative de la cible
compense sensiblement cet inconvénient.
Les bombes barils sont généralement larguées d’une hauteur qui est
hors de portée du feu du sol. Cependant, elles sont lâchées à partir
d’hélicoptères fixes, qui permettent une plus grande précision qui
compense l’inconvénient de la hauteur. Selon les rapports, peu voire
aucune bombe baril ne manque sa cible (bien que parfois la cible
sélectionnée puisse résulter de mauvais renseignement).
On sait que des milliers de bombes barils ont été utilisées par la
FAAS depuis 2012, date à laquelle elle a commencé à les utiliser, et
qu’il y a eu des milliers de victimes de ces armes. Malheureusement, on
n’en sait pas davantage à l’exception de cas anecdotiques. Bien que
certaines bombes n’aient provoqué que des dégâts matériels, d’autres ont
causé 25 victimes ou davantage. Les données disponibles ne fournissent
pas beaucoup de statistiques, comme, par exemple, le nombre moyen de
victimes par bombe. Font-elles plus ou moins de victimes que les bombes
conventionnelles ou que les drones américains, par exemple ? Combien de
victimes sont des civils et combien des combattants ? Nous ne le savons
pas, mais le nombre total de victimes civiles demeure anormalement bas
par rapport à la plupart des autres conflits du siècle dernier.
Ce qui semble clair, c’est que la presse occidentale, les
gouvernements et les ONG ont présenté les bombes barils comme des armes
diaboliques. La raison semble en être que, alors que les bombes
conventionnelles font tout autant de dégâts et de victimes (et sont
largement utilisées par le gouvernement ukrainien), les arsenaux
occidentaux ne contiennent pas de bombes barils. Si ces armes peuvent
être suffisamment vilipendées en fonction du type d’arme plutôt que de
leur mode d’utilisation, il sera possible de condamner les forces
militaires syriennes pour leurs armes inhumaines, sans que cela
n’entache les nations qui utilisent des armes différentes, même celles
qui sont autant sinon plus destructrices. Curieusement, les bombes DIME*
proprement inhumaines et les armes au phosphore blanc utilisées dans la
bande de Gaza n’ont pas provoqué la même condamnation, bien que le
ration des victimes militaires israéliennes par rapport aux victimes
civiles ait été jusqu’à 100 fois plus élevé que pour l’armée syrienne.
Pourquoi, alors, Amnesty International, Human Rights Watch, Chris
Gunness de l’UNRWA, et la plupart des agences de presse occidentales
condamnent-ils le gouvernement syrien pour l’utilisation de bombes
barils, et l’accusent-ils d’affamer les habitants du camp et de les
empêcher de partir ? Les Palestiniens et leurs partisans sont habitués à
ce que l’information sur la Palestine soit fausse et biaisée. Ils
savent que les médias occidentaux font des heures supplémentaires pour
protéger Israël. C’est leur mission. Peuvent-ils croire que ces
organismes soient objectifs en ce qui concerne la Syrie ?
L’Occident, Israël, les monarchies du Golfe, la Turquie et les
nombreux courtisans et marionnettes des puissances occidentales ont
annoncé très clairement leur intention de renverser le gouvernement
syrien, en violation de la Charte des Nations Unies et d’autres lois
internationales prohibant les guerres d’agression, et en violation de la
souveraineté syrienne. AI, HRW et d’autres impérialistes des droits de
l’homme n’ont pas une seule fois reconnu l’un de ces faits en ce qui
concerne la Syrie. Au contraire, ils ont soutenu le push illégal de
l’ouest pour un changement de régime.
N’est-il pas tout à fait évident que les institutions et les médias
occidentaux déforment leur couverture de la Syrie pour l’adapter à leur
objectif ?
On dirait que non, même pour les personnes qui devraient être plus
avisées, habituées comme elles le sont à voir de telles distorsions dans
les rapports sur la Palestine.
Note :
Photo : Des habitants du camp de Yarmouk se dépêchent pour atteindre le point
de distribution de nourriture - janvier 2014 - Photo : UNRWA
* Paul Larudee est l’un des fondateurs des mouvements Free Gaza et Free Palestine et un des organisateurs de l’International Solidarity Movement.
Info Palestine
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