samedi 25 avril 2015

Accord sur le nucléaire ou pas, le conflit entre les Etats-Unis et l’Iran durera !

Issam Nouman                 

Au bout 12 ans de discussions et de 16 mois de pourparlers intensifs ayant démarré suite à la conclusion d’un accord intérimaire entre l’Iran et le groupe 5+1 [les 5 membres permanents du Conseil de sécurité (USA, Grande Bretagne, France, Russie, Chine) + Allemagne] en novembre 2013, les sept, réunis à Lausanne, sont parvenus à l’accord-cadre [du 2 avril 2015] prévoyant la pleine levée des sanctions imposées à l’Iran en échange de contrôles internationaux très stricts de son programme nucléaire pacifique ; les détails de leur mise en œuvre nécessitant des négociations supplémentaires avant d’aboutir à la signature d’un « accord définitif » annoncée pour le 30 juin prochain.

Première question : Est-ce que la simple signature de cet accord, tant souhaité, mettra fin au conflit entre les USA, avec en arrière plan Israël, et l’Iran ?

La réponse est NON ! NON, parce que le conflit n’est pas centré sur la capacité de l’Iran à fabriquer une arme nucléaire qu’il faudrait interdire à tout prix, mais sur ses capacités croissantes dans absolument tous les domaines ; ce qui, selon les États de l’OTAN et Israël, lui permettrait de menacer leur sécurité et leurs intérêts, notamment au Moyen-Orient.
Ceci, car ils sont convaincus que l’Iran est devenu l’hyper puissance régionale avant même d’acquérir la capacité de fabrication d’une arme nucléaire, la possession d’une telle arme stratégique ne pouvant que doubler sa puissance. D’où la nécessité de lui faire signer un accord qui ne consisterait pas à juste l’empêcher d’en arriver à ce stade, mais à garantir à ses adversaires et concurrents un ensemble de mécanismes qui limiteraient ses avancées technologiques et son influence croissante avec des clauses punitives, si nécessaire.
L’Iran a parfaitement intégré ce raisonnement de base. C’est pourquoi il a manifesté sa volonté d’accorder des concessions d’ordre technologique aux Occidentaux, étant donné qu’il n’est vraiment pas intéressé par la fabrication d’une bombe nucléaire, sans rien céder sur la levée des sanctions internationales, étatsuniennes et européennes, qui ont nui à son économie et épuisé son peuple.
Cette réponse négative devient plus claire si l’on examine les trois points essentiels sur lesquels se sont focalisés les négociateurs à Lausanne : la durée de l’accord, le rythme de la levée des sanctions économiques, et les mécanismes de reprise des sanctions au cas où l’Iran violerait les obligations imposées par la signature de l’accord définitif :
  • Les pays occidentaux veulent une levée progressive des sanctions sur une période de cinq années ; des mécanismes d’une reprise des sanctions, en cas de violation de l’accord, ne passant pas par le Conseil de sécurité des Nations Unies ; une durée de l’accord d’au moins 15 ans.
  • L’Iran insiste sur la levée totale et immédiate des sanctions en cours, dès la signature de l’accord définitif ; ne veut pas d’un accord à très long terme ; refuse aux pays occidentaux la possibilité de revenir aux sanctions sans passer par le Conseil de sécurité, sous prétexte d’une quelconque violation de l’accord.
Par ailleurs, même s’il devenait possible de trouver un accord définitif qui dissiperait les angoisses de certaines parties prenantes, les pays déterminés à limiter l’influence iranienne, notamment les États-Unis, la France et Israël, ne cesseront pas pour autant d’exercer leurs pressions politiques, économiques et militaires, dans ce but. Tout comme l’Iran ne cessera pas d’exercer des pressions similaires pour les empêcher de continuer à l’éreinter :
  • Les pays occidentaux chercheront probablement à persévérer dans la fragilisation des alliés régionaux de l’Iran : la Syrie, les forces de la Résistance palestinienne, le Hezbollah libanais, et les forces yéménites anti-saoudienne qui ne comptent pas uniquement des Houthis dans leur rang.
  • Les pressions contraires de l’Iran consisteront, tout aussi probablement, à persévérer dans le soutien de ces mêmes alliés régionaux, ainsi que de toutes les forces qui combattent Daech, Jabhat al-Nosra et autres forces islamistes extrémistes, notamment celles qui sont alimentées par la Turquie et certains pays du Golfe.
Deuxième question : En dépit de ce qui précède, est-ce que l’accord sur le nucléaire entre l’Iran et les Pays occidentaux pourrait conduire à un règlement qui atténuerait l’intensité des combats faisant rage en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye ?

La réponse est NON à plus ou moins courte échéance, parce que la situation dépend de cinq facteurs étroitement mêlés et contradictoires :
1. Le niveau de satisfaction des États qui signeront cet accord quant à leurs propres intérêts et préoccupations, dont les USA et l’Iran en premier lieu.
2. La position des alliés régionaux des USA, en particulier l’Arabie saoudite et Israël, quant aux répercussions de l’accord sur leur politique et leurs intérêts dans les différents pays et marchés de la région.
3. Les conséquences de l’accord sur les intérêts d’acteurs régionaux de poids, dont essentiellement la Turquie qui rêve d’une expansion « ottomane » dans les Pays du Levant et en Mésopotamie, et l’Égypte qui cherche à se reconstruire économiquement en plus de vouloir restaurer son rôle stratégique dans le monde arabe et la région.
4. Les réactions des forces de la Résistance arabe d’une part et des forces islamistes extrémistes d’autre part, chacune selon ses propres intérêts et objectifs.
5. La position de la Russie et de la Chine qui ont toutes deux des intérêts et des alliances dans la région, ce qui les amènera à participer au conflit, positivement ou négativement, selon ce que l’accord définitif pourrait engendrer comme opportunités ou menaces à l’encontre de leurs intérêts et des intérêts de leurs alliés respectifs.

Finalement, à ce stade, Barack Obama peut bien dire que ce qui a été réalisé à Lausanne est une « entente historique », tout comme Hassan Rohani peut bien déclarer qu’il a été possible de parvenir à un accord « gagnant-gagnant » ; tant que les USA et l’Iran n’abandonneront pas leurs objectifs stratégiques contradictoires ou refuseront de les réduire, cet accord tant souhaité par les deux parties n’éteindra pas le feu qui s’étend, mais inaugurera un nouvelle étape de violence dans une région suffisamment incendiée dans des batailles sans fin.

Issam Nouman - Homme politique libanais et ex-ministre -

Source : Al-Binaa http://www.al-binaa.com/?article=35840
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Le Grand Soir

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