À six mois des élections
régionales, Jean-Luc Mélenchon déplore que sa proposition de « listes
citoyennes » soit encore en débat au Front de gauche. Le député européen
appelle les siens à la «clarté» vis-à-vis du Parti socialiste.
Estimez-vous qu'Alexis Tsipras, le premier ministre grec,
puisse encore imposer ses vues face aux créanciers de son pays sans se
renier ?
Jean-Luc Mélenchon : J'ai confiance en lui ! Je connais aussi la
dureté de ce qu'il affronte. La dette grecque a cessé depuis longtemps
d'être une question financière : elle est exclusivement politique. Il
s'agit de prouver qu'on ne peut désobéir aux libéraux. Mais si, par les
violences de la Banque centrale, le système bancaire grec s'effondre, si
la Grèce est mise en banqueroute, les Français devront payer 40
milliards et les Allemands 60 milliards. C'est inenvisageable. Si on
trouve l'accord technique qui permet d'effacer la dette grecque par des
mécanismes de rééchelonnement, tout le monde s'épargnera cette épreuve
absurde. La responsabilité intégrale du danger repose sur Merkel
et Schäuble [la chancelière et le ministre des finances allemands] qui
ont parié sur la tension et l'inertie de Hollande.
M. Tsipras pourrait cependant avoir du mal à faire valider un possible accord à sa majorité…
En effet. Pour ma part,
je m'en remettrais au vote du peuple. Dans une telle bataille, on ne
doit pas se laisser enfermer. L'ouverture et la force, c'est d'avoir son
peuple avec soi.
Quelle conséquence aurait un échec de Tsipras pour la gauche radicale européenne ?
L'Eurogroupe
transigera, c'est certain ! Qui veut payer à la place des Grecs ? Donc
les créanciers céderont. C'est un jeu d'écriture. Nous allons
nécessairement gagner sur l'essentiel. Tout le reste se discute.
Vous ne croyez pas à la possibilité d'un « Grexit » ?
Si, c'est possible. En
2011, le directeur de cabinet de M. Schäuble s'est exprimé publiquement
en faveur de deux zones euro. C'est irresponsable dans le contexte. La
géographie de l'euro ne peut pas changer sans qu'il y ait des
conséquences mondiales. Il y a un point à partir duquel c'est la panique
qui l'emporte. L'Europe de l'Est et du Nord est déjà profondément
contaminée par l'extrême droite et le nationalisme qui sont
caractéristiques de ces périodes. Si on ajoutait une énorme crise
financière, il faudrait s'attendre à des explosions que personne ne
pourra maîtriser.
Vous êtes donc contre une sortie de l'euro ?
J'ai refusé de
fétichiser la monnaie. Les Anglais ne sont pas dans la monnaie unique et
ce n'est pas le socialisme pour autant chez eux. L'Europe a été annexée
par le gouvernement allemand au profit de ses retraités les plus aisés.
Je mise sur la puissance de la France, si nous la dirigeons, pour
changer le cours des choses. La monnaie unique, accompagnée d'un
protectionnisme solidaire et d'une harmonisation sociale et fiscale
progressive, peut aussi être un bon outil de travail pour une Europe des
conquêtes sociales. Mais ce qui se fait à présent lui tourne le dos.
Nous avons un plan B : désobéir sans limite !
Pourquoi n'y a-t-il pas de Syriza ou de Podemos à la française ?
Nulle part en Europe, y
compris dans des pays qui subissent un sort beaucoup plus dur que le
nôtre, il n'y a eu de répliques. Il faut relever le défi ! Mais pas
d'impatience ! Le peuple grec a tout essayé avant d'en venir à Syriza ! Y
compris une coalition aussi étrange qu'un gouvernement commun de la
droite, du parti socialiste grec et de l'extrême droite. Podemos s'est
imposé après une puissante activité populaire et une rupture avec les
structures politiques traditionnelles y compris celles de «l'autre
gauche». Dans les deux cas, la crédibilité est venue de l'autonomie
face au système politique et au PS. Cette question n'est toujours pas
tranchée chez nous. L'ambiguïté nous cloue au sol. Et puis le Front de
gauche doit se dépasser. Je suis satisfait d'avoir convaincu tout le
monde que la suite sera un mouvement citoyen dépassant les partis. Mais
alors chacun est au pied du mur. Les régionales sont l'occasion de faire
du neuf !
C'est pourquoi le Front de gauche n'est toujours pas en ordre de bataille pour ces élections ?
Aux départementales,
nous avons commencé, sous les radars j'en conviens, à travailler ces
formules dans plusieurs endroits de France avec des résultats que je
juge spectaculaires, comme dans le Jura. On a pu cristalliser une
alliance entre les classes moyennes et le programme écosocialiste. C'est
dans ce chemin qu'il faut continuer. Il faut des listes citoyennes et
les partis doivent se mettre à leur service. J'ai fait cette proposition
au Front de gauche en janvier. Mais il y a loin entre les déclarations
d'intention de beaucoup et leur capacité à bousculer des habitudes. Pour
l'instant, ma proposition est en débat. Je souhaite qu'elle entraîne
tout le monde. Sinon tant pis. Elle avancera avec ceux qui veulent bien
avancer.
Est-ce la mort du Front de gauche ?
Non. Certes le Front de
gauche est autolimité par sa forme de cartel de petits appareils. Mais
il reste un point d'appui essentiel. Je sais que j'agace en bousculant
tout le temps les routines. Mais je déplore que l'on masque par le
dénigrement personnel des divergences de stratégie. Il n'y a pas de
divergences sur le projet « l'humain d'abord ». Le débat porte sur deux
points : autonomie absolue vis-à-vis du PS, prééminence du mouvement
citoyen et de ses assemblées représentatives. C'est au peuple de
trancher entre nous et le PS. L'ambiguïté nous a envoyés dans le mur aux
municipales.
Que s'est-il passé avec Cécile Duflot ?
J'en suis stupéfait !
Comment peut-elle virevolter entre deux stratégies aussi opposées en
l'espace d'à peine trois semaines et avec des procédés humainement aussi
déplorables ? EELV est partagé entre le retour au gouvernement et la
coalition avec nous. Duflot préfère l'isolement à la clarté. Pour moi,
l'efficacité électorale tient à la clarté de la coupure entre les deux
orientations : celle du PS et de sa soumission aux politiques
européennes et la nôtre qui est de lutter contre. Syriza a gagné au prix
de cette clarté.
Les « frondeurs » et les écologistes vous accusent d'être un frein à un rapprochement…
Pas tous ! Mais je suis
d'accord : je suis une partie de leur problème puisque je ne veux pas
combiner avec le PS. Je refuse la tambouille. Je demande qu'on n'en
fasse pas une affaire personnelle. Que me reproche-t-on à la fin ? Ma
manière d'être ? De parler ? Mes 11 % ? Ce sectarisme à mon endroit est
absurde. Me diaboliser au moment où l'on dédiabolise Mme Le Pen est une
lourde faute !
En 2012, vous avez engagé « une course de vitesse » avec le FN. Trois ans plus tard, ont-ils gagné?
C'est évident. Nous
avons perdu une bataille et on sait pourquoi. En France, la clé pour
ceux qui contestent et rejettent cette politique, c'est la rupture. En
allant à une élection départementale avec trois stratégies dans une même
ville, nous nous sommes rendus indétectables. En 2012, nous étions
identifiables par une opposition frontale au système qui a obligé les
socialistes à bouger et à passer sur notre terrain avec le discours
contre la finance. La clé du succès actuel de Mme Le Pen, c'est sa
rupture avec la droite traditionnelle. Elle a pu ainsi créer dans son
camp – la droite – une dynamique qui pousse les autres à adopter son
discours au point de le rendre dominant !
Est-ce que vous pensez être le meilleur pour 2017 dans votre camp ?
Je ne sais pas. Après
2012, j'ai tout fait pour transformer notre force électorale en une
force matérielle. Les grandes marches citoyennes furent des succès. Mais
j'ai échoué à convaincre le Front de gauche d'endosser dans la durée et
le concret ses propres mots d'ordre révolutionnaires comme celui de VIe
République. Pour 2017, je m'exprimerai le moment venu. Comprenez : je
sors d'une année où pesait sur moi l'agonie de mon camarade François
Delapierre [son bras droit décédé le 20 juin]. À mes yeux, il était
apte à être un des choix pour notre gauche en 2017. Maintenant, il me
faut définitivement agir sans lui. Je vois la vie d'une autre manière.
Même très entouré au PG et dans le peuple, je ressens quelque chose
comme la solitude des premiers de cordée. Car je dois travailler comme
si j'allais devoir être candidat, et préparer tout ce dont j'aurai
besoin pour mener ce combat, s'il le faut. Tous les soutiens seront les
bienvenus. Un cessez-le-feu contre moi dans mon camp serait le bienvenu.
Le Parti de gauche tient son congrès les 4 et 5 juillet. Deux
cadres du parti l'ont récemment quitté en mettant en cause son
fonctionnement. Votre parti est-il en crise ?
Non. Les frustrations
d'ego sont inévitables. Elles restent marginales. Par contre, il y a des
questions qui font vraiment débat : la stratégie par rapport au
mouvement citoyen à impulser et la question de l'euro. J'aurais préféré
qu'on laisse le temps aux événements de montrer les points de passage
pour l'action. Mais puisque ça trouble dans nos rangs, mieux vaut en
parler ouvertement. Pour le reste, le PG assure bien ses changements de
direction depuis mon retrait en 2011. Le renouvellement des générations
et du programme se fait tranquillement. Mais ce parti ne doit pas
oublier qu'il doit se dépasser un jour prochain dans un ensemble plus
ample.
Son but n'est pas de durer 90 ans comme le PCF ou 105 ans comme
le PS. Je sais que la vague viendra vers nous, à terme. Mais, pour
qu'elle passe au bon endroit, il faut être courageux et tenir bon.
Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulieres
Jean-Luc Mélenchon
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