Difficile après les événements de la journée de ne pas vous parler
des chauffeurs de taxi, de leur grève et de leur protestation. Je vais
essayer d’aborder les choses de façon pragmatique et juste.
Un outil de travail qui coûte cher
N’imaginez pas que je vais me livrer à une défense inconditionnelle
des chauffeurs de taxi. Néanmoins, par honnêteté intellectuelle, il est
très important de rappeler certaines réalités de cette profession.
Il existe en gros deux types de « taxi ». L’artisan propriétaire de
sa « plaque » et celui qui est locataire de sa « plaque ». Une plaque
c’est le droit d’exercer comme taxi. Une plaque cela s’achète, cher,
très cher, tellement cher qu’en réalité, bien souvent, ce n’est pas tant
le chauffeur de taxi qui est propriétaire mais sa banque. 200 000
euros. C’est le prix par exemple à Paris pour devenir taxi.
Un chauffeur va exercer en « nom propre ». Cela veut dire qu’il est
solidairement responsable de son activité. Si notre chauffeur de taxi ne
rembourse pas son crédit, ou ne paye pas ses charges (le très célèbre
RSI), la banque, comme les organismes sociaux, n’hésiteront pas un instant
à venir saisir ses biens, ou sa maison.
Un chauffeur de taxi doit donc payer sa licence (la plaque), il doit
payer des charges, il doit aussi financer très régulièrement
l’acquisition de son véhicule, une assurance tous risques qui est très
chère puisqu’il s’agit d’un métier où l’on transporte du monde, les
frais de carburant…
Mais ce n’est pas fini (comme dit la pub), un chauffeur de taxi roule
beaucoup. Énormément. Et vu le nombre de radars et de contrôles
routiers, le moindre faux pas pour ces professionnels peut rapidement
poser des problèmes importants. Bref, vous l’aurez compris, être taxi ce
n’est pas forcément une sinécure, les contraintes sont nombreuses, les
coûts sont importants et la législation très précise.
Une colère compréhensible, pourtant le métier de taxi va rapidement disparaître….
Il est donc assez logique que cette profession voit rouge lorsque des
chauffeurs particuliers, qui ne sont pas assurés pour le transport de
personnes, qui font cela occasionnellement donc sans avoir à remplacer
un véhicule ou à acheter spécifiquement un véhicule pour cet usage, ne
paient pas de charges ou d’impôts.
Même s’il est de bon ton de dire qu’Uber c’est super car c’est
moderne, la réalité c’est que les profits d’Uber proviennent d’une
distorsion de concurrence évidente. Uber s’arroge le droit de faire
conduire des gens par des gens au mépris de toutes les règles y compris
d’assurance. C’est parce que ses chauffeurs sont des amateurs qu’Uber
peut gagner de l’argent.
Pourtant, je pense que les chauffeurs de taxi n’ont pas à avoir peur
d’Uber dans sa version actuelle. Ils devraient néanmoins être effrayés
par la version 2 d’Uber à laquelle ils seront rapidement confrontés
(mais taxi ne sera pas le seul métier concerné). Je pense évidemment à
la voiture sans chauffeur dans laquelle Uber, avec Google, est
particulièrement en pointe.
Le métier de chauffeur de taxi est donc en réalité condamné et il
s’agit à mon sens d’un combat que nos amis chauffeurs de taxi ont perdu
d’avance. Ils n’arrêteront pas le « progrès ». Qu’ils se rassurent, je
ne pense pas qu’être conduit par un robot soit un « prôgrès ». En ce qui
me concerne, je préfère avoir un chauffeur crétin et désagréable plutôt
qu’un robot, de la même façon que je préfère faire la queue à la caisse
avec caissière qu’à la caisse automatique. Pourquoi ? Parce que c’est
ma façon personnelle de résister à un système déshumanisant qui oublie
aussi qu’économiquement, la richesse de tous dépend de la répartition
par le salaire de l’ensemble de la création de richesse justement. Alors
oui, je fais la queue y compris au péage là où un être humain prendra…
ma carte bleue ! Au moins, il a un travail et donc un salaire pour faire
vivre sa famille.
Mais, ne soyons pas naïfs. Les entreprises ont pour vocation unique
de faire toujours plus de profits. Et quand les entreprises de
transports pourront se passer des chauffeurs… elles se passeront des
chauffeurs. Cela concernera les routiers mais également les taxis. Vous
vous rendez compte les gains de productivité ? Votre camion pourra en
plus rouler sans s’arrêter en permanence… plus besoin de pauses ou de
sommeil. Idem pour votre taxi.
Les chauffeurs de taxi mènent donc un combat d’arrière-garde,
comparable à celui des canuts. On casse les véhicules des autres comme
les canuts cassaient les métiers à tisser… mais au bout du compte, les
canuts ont disparu.
Et non, je ne me sers pas de l’argument des canuts pour dire qu’il y
aura plus de travail après. Ce n’est pas le cas et ce ne sera pas le
cas.
Deux suggestions à faire à nos amis taxis
Collectivement, il ne faut pas demander l’application de la loi au
sens strict, il faut aller plus loin. Il faut revoir la profession et
aligner le régime des VTC sur celui des taxis ou inversement. Non, ne
hurlez pas tout de suite et ne me jetez pas à la Seine avant d’avoir lu
la suite.
Si on aligne ces deux régimes, il faut évidemment indemniser les
taxis pour l’acquisition de leur licence dont le prix, à terme, va
tendre vers 0. Or les gars sont endettés pour leurs licences à 200 000
balles et en plus ils ont plus de concurrence… donc impossibilité de
gagner leur croûte, d’où la colère.
Alors de deux choses l’une, car tout dans la vie doit être régi selon
les principes de justice et de cohérence. On ouvre le transport des
gens à la concurrence. Dès lors on demande aux nouveaux venus, les VTC,
de s’acquitter d’une soulte de disons 5 ou 10 000 euros afin d’avoir le
droit d’exercer. Cette soulte alimente un fonds qui rachètera
progressivement aux taxis leurs licences à la valeur du marché. On fixe
évidemment le prix de la plaque en le figeant à son prix actuel afin que
personne ne soit lésé.
Si on n’indemnise pas les taxis… eh bien on n’ouvre pas leur marché à
la concurrence sinon cela veut dire que l’État s’arroge le droit de
ruiner des gens, des familles entières et de façon générale, ce ne sont
pas des procédés acceptables.
Il va falloir changer de métier
La deuxième suggestion, c’est que ceux qui comprennent l’avenir et
qui ont encore beaucoup d’années à tirer feraient mieux de penser à une
réorientation professionnelle. Vendez vos licences tant que vous le
pouvez et allez faire autre chose. Je sais, ce n’est pas forcément
facile, ni simple, il faut faire bouillir la marmite et puis que faire
d’autre… certes. Mais mon analyse de l’évolution économique m’amène à
penser que ce métier est condamné à brève échéance. VTC, Uber,
co-voiturage, taxis clandestins, sans oublier voiture sans chauffeur et
augmentation de toutes les charges tous les ans font du modèle
économique d’un taxi un échec financier à venir.
Que cela ne soit pas une bonne nouvelle, j’en conviens. Que nos
camarades taxis aimeraient entendre autre chose j’en suis presque
certain, mais ce serait leur mentir et je ne mens jamais. D’ailleurs,
lorsque l’on voit leur réaction dont la violence rappelle celle des
bonnets rouges bretons, on sent bien une forme de désespoir.
Pourtant, comme le disait Churchill, « il vaut mieux prendre le
changement par la main, avant qu’il ne vous prenne par le cou ». Et
encore une fois cette maxime s’applique ici. Pendant des décennies, les
taxis ont été tranquilles. Or depuis moins de 5 ans, le changement est
palpable, évident même. Et ce statut finira par craquer, comme
l’enseignement et l’Éducation nationale sous la pression des MOCCs qui
sont les cours en ligne et où, du fin fond de la Corrèze, vous pourrez
apprendre en écoutant le meilleur des professeurs de médecine du monde.
Les enseignants n’en sont même pas conscients et pourtant leur métier,
dans sa forme actuelle; est déjà mort (sans même avoir à évoquer les
résultats souvent pitoyables).
Bref, vous devez comprendre que la convergence entre les technologies
de l’information, de la robotique et de l’intelligence artificielle
vont totalement bouleverser le monde du travail dans les 10 prochaines
années.
Cela signifie que vous devez, à titre personnel, anticiper cette
future réalité et que vous devez choisir ou vous reconvertir vers des
métiers qui soient :
- non délocalisables ;
- non robotisables ;
- non informatisables.
- non délocalisables ;
- non robotisables ;
- non informatisables.
Ce raisonnement et cette réflexion doivent être menés par toutes les
personnes qui ont encore au moins 10 années de travail devant elles. Je
vous souhaite à tous beaucoup de courage et de lucidité afin d’aborder
cette nécessité de changement, souvent subie, avec le plus de douceur
possible et le moins de traumatisme, mais il s’agit-là de périodes
toujours délicates et les transitions sont toujours difficiles à gérer.
La violence ne peut être que l’ultime recours…
Enfin, dernier élément de réflexion que je souhaitais partager avec
vous, lorsque l’industrie du disque en pleine déconfiture fait tout ce
qu’elle peut pour criminaliser les « pirates » qui sont aussi ses
clients, elle se tire une balle dans le pied. Mettre ses propres clients
en prison n’est pas une solution durable. On ne peut pas bâtir un
modèle économique sur la contrainte pénale. Il faut donc se réinventer
ou évoluer, au choix. De la même manière, ce n’est pas en cassant la
gueule des clients d’Uber ou des VTC que les chauffeurs de taxi
gagneront la « bataille des cœurs ». Dans la majorité des cas, la
violence est bien mauvaise conseillère et contre-productive. L’image
renvoyée par les taxis au reste de l’opinion est désastreuse.
Il existe des quantités de manière de se rendre populaire… Je ne sais
pas moi, par exemple, une petite opération péage ouvert lors des
départs en vacances attirera infiniment plus de sympathie de la part du
peuple (qui tire la couenne) qu’un blocage du périph, et comme vous
toucherez au grisbi (les sous), vous serez très rapidement écoutés !! Je
pars en vacances le 1er août et je prendrai l’A10… Je vous dis ça c’est
juste au cas où !!
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