Édifiant :
la Commission européenne, le FMI et la BCE corrigent les propositions
du gouvernement Tsipras. Les Grecs proposent d’aller prendre l’argent là
où il est. Insupportable pour des institutions qui préparent une forme
de coup d’État rampant.
Puisque
le peuple grec vote contre l’austérité, il faut dissoudre le peuple
grec. Les institutions européennes n’ont rien compris à l’ironie de
Brecht, évidemment, elles ont décidé de le prendre au pied de la lettre.
Et de cadenasser toutes les issues hors de la logique des saignées
budgétaires, des baisses des droits sociaux, des salaires et des
retraites, telles que les Grecs les connaissent depuis l’instauration du
régime de terreur des mémorandums à partir de 2010. Nouvelle
illustration, hier, à Bruxelles à l’occasion d’un énième Eurogroupe,
rassemblant les ministres des Finances de la zone euro, et d’un Conseil
européen avec tous les chefs d’État et de gouvernement de l’Union
européenne. Alors que, sous la conduite d’Alexis Tsipras, le
gouvernement grec avait tracé, non sans douleur, une perspective de
sortie de crise en dressant un plan permettant d’atteindre la «
trajectoire budgétaire » exigée par les créanciers, la Commission
européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale
européenne manifeste de Berlin, décidé de repasser à l’attaque en
exigeant d’un côté de nouveaux sacrifi ces pour les couches moyennes et
populaires en Grèce et, dans le même geste, des cadeaux pour les plus
riches ! Incroyable précipité de cette Europe telle qu’elle ne tourne
vraiment plus rond…
Des
traits qui raturent. Du rouge qui corrige. Dans le document envoyé par
la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et la
Banque centrale européenne (BCE), en réponse aux propositions de
réformes présentées par l’exécutif grec en début de semaine, il y a,
avant même les mots, la forme et la couleur. Tout un programme qui dit
la consigne impérieuse, la politique à sens unique, l’autorité du
maître. Soucieux, derrière les couleuvres qu’on tente de lui faire
avaler, d’afficher une perspective de justice sociale par un transfert
du fardeau de l’austérité des classes populaires vers les plus riches,
le gouvernement Tsipras entend mettre en place une taxe exceptionnelle
de 12 %
sur les bénéfices au-delà
de 500 000 euros des entreprises ? C’est non. Il veut porter de 26 à 29 % le taux de l’impôt
sur les sociétés ? Biffé en rouge : la troïka n’accepte pas plus de
28 %.
À côté des augmentations de cotisations pour la protection
sociale – ça, c’est oui, puisque ce sont les salariés qui paieront –,
Athènes veut simplement restaurer les cotisations des employeurs sur les
retraites complémentaires à leurs niveaux de 2014 ? Niet ! Une taxation
des machines à sous et des jeux d’argent ? Jamais de la vie ! Tsipras
propose des déductions fiscales pour les Grecs résidents permanents dans
les îles avec de faibles revenus ? Qu’ils aillent se faire voir dans
les Cyclades, c’est hors de question, là encore ! Les ministres
entendent consulter les organisations syndicales avant de revoir
certains régimes spéciaux de retraite ? Totalement exclu pour les
saigneurs de la Grèce. L’exécutif veut limiter à 13 % la TVA sur les
produits d’alimentation de base ? Le FMI, la BCE et la Commission
n’accepteront de dérogations que sur les produits alimentaires « non
transformés », donc, pour le lait, l’huile ou les fromages, par exemple,
ça sera 23 % de TVA ! Et ainsi de suite : du côté grec, des
propositions qui, même dans le cadre très étroit de la crise budgétaire,
tendent à exercer encore la souveraineté populaire sur les grandes
orientations politiques ; de l’autre côté, chez les partisans de l’ordre
néolibéral, une seule réponse : non, non et non !
Une fois de plus, derrière les sourires et la « photo de
famille » réalisée en ouverture, hier après-midi, du Conseil européen à
Bruxelles, l’Union européenne montre, avec le concours zélé du FMI, le
visage de l’autoritarisme. Insupportable démocratie quand elle ne va pas
dans le sens des intérêts que les dominants veulent protéger. Dans la
nuit de lundi à mardi, une fois connu le détail des contre-propositions
grecques pour arracher le déblocage de 7,2 milliards d’euros encore dus
par la troïka et pour pouvoir ainsi régler une échéance cruciale le
30 juin, les regards se sont tournés vers la coalition de gauche, au
pouvoir en Grèce : alors que les créanciers saluaient une « avancée
significative » du gouvernement Tsipras, Syriza n’allait-il pas exploser
en vol devant un programme contenant, au-delà des mesures déjà
évoquées, des concessions douloureuses, par exemple, sur la poursuite
des privatisations ?
Un front du diktat s’est reconstitué pour repartir à l’attaque
Pendant ce temps, une autre coalition s’est mise en
mouvement en Grèce et dans toute l’Europe. Alors que, parmi les chefs
d’État et de gouvernement, certains comme François Hollande
reconnaissent, au moins en façade, la légitimité du gouvernement grec à
définir lui-même la manière d’« atteindre la trajectoire budgétaire »
(lire l’Humanité du 24 juin), un front du diktat s’est reconstitué pour
repartir à l’attaque. Tentant de contraindre le gouvernement grec de
poursuivre purement et simplement le programme austéritaire et, dans le
même temps, de remettre en selle une coalition politique grecque prête à
appliquer docilement le programme (lire ci-contre)… S’appuyant sur les
témoignages des patrons et les inquiétudes des oligarques grecs, relayés
avec complaisance par la presse financière internationale, les
représentants du FMI, mais aussi Wolfgang Schäuble, le ministre des
Finances allemand, et bien d’autres ont entonné le refrain des mesures
« anticompétitives » ou « récessives ». « La Grèce ne peut construire
son programme seulement sur des hausses d’impôts et des taxes, ce n’est
vraiment pas bon pour la croissance, se répand un porte-parole du FMI.
Elle doit également faire des coupes dans les dépenses. » Chantages et
pressions à tous les étages. À Bruxelles, c’est le temps des
« ultimatums » : pour les Grecs, hier, le plan des créanciers était « à
prendre ou à laisser » avant midi. Mais le gouvernement Tsipras n’est
pas tombé dans le panneau. Une nouvelle réunion de l’Eurogroupe, avec
les ministres des Finances de la zone euro, les représentants du FMI et
de la BCE, n’a pas permis d’avancer. Au beau milieu d’un Conseil
européen, les usuriers de la Grèce continuent à l’arme lourde, mais
Alexis Tsipras joue une carte plus tranquille. « Je suis confiant dans
le fait que nous parviendrons à un compromis qui aidera la zone euro et
la Grèce à surmonter la crise, indique-t-il, tout sourires. L’histoire
européenne est pleine de désaccords, de négociations et ensuite de
compromis. »
Au même moment, à Athènes, l’indignation est à son comble.
« Personne ne peut supporter les propositions de la troïka, dénonce-t-on
à la tête de Syriza. Nouvelles mesures d’austérité et logique
technocratique folle, ces propositions sont purement idéologiques. Elle
ne visent pas la conclusion d’un accord raisonnable, elles servent des
intérêts particuliers. Comment comprendre le rejet des propositions
grecques sur l’imposition des hauts revenus et du grand capital ? On
veut imposer un accord humiliant pour le gouvernement grec et le premier
ministre. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire