Le livre « Nuits de Gaza » du Dr Mads Gilbert est un témoignage qui
rappelle à notre souvenir la guerre de 51 jours menée contre Gaza en
2014 ; c’est une plongée de première importance dans les luttes du
secteur de la santé dans Gaza assiégée.
Les livres écrits par des chirurgiens
et des médecins qui ont servi en temps de guerre et qui ont été témoins
d’horreur sans nom relèvent d’un genre littéraire fascinant. Leurs
récits, généralement poignants sont un rappel dévastateur des coûts
réels de la guerre, pour les victimes, bien sûr, mais aussi pour ceux
qui restent derrière. Même si leur lecture n’est pas toujours une partie
de plaisir.
Le chirurgien norvégien, Dr Mads Gilbert, a ajouté sa pierre à cet
édifice littéraire en faisant le récit de son expérience sous les
bombardements israéliens de la bande de Gaza, l’été dernier. Cet ouvrage
fait suite à son livre de 2010 : « Les yeux à Gaza » qui traitait de
l’Opération Plomb Durci. Au début du livre, il dit clairement : « Ce
livre est un témoignage, pas une thèse universitaire ni un rapportage
journalistique neutre. »
Le Dr Gilbert a l’expérience des champs de bataille. Il a soigné les
blessés à Gaza pendant les guerres de 2009 et 2012 et pendant la
deuxième Intifada, et même déjà en 1982, à Beyrouth pendant l’invasion
israélienne. Il a également travaillé en Birmanie, au Cambodge et en
Angola.
Il pose un regard sans concession sur ce qui est arrivé pendant la
guerre israélienne à Gaza, en 2014, alors qu’il était basé à l’hôpital
Al-Shifa. Imaginez le chaos, la profusion de blessés, le personnel
épuisé qui n’a jamais le temps de dormir, les enfants sans parents, avec
en musique de fond les bombes, les obus et les drones. Les choix de vie
et de mort : qui va-t-on soigner, et qui ne pourra-t-on pas soigner ?
Le livre sort presque un an après l’opération « Bordures
protectrices » qui coïncide avec le huitième anniversaire du blocus de
Gaza. Les chiffres de l’Organisation des Nations Unies rappellent à tous
l’ampleur de cette attaque. Elle a été le plus agressive et la plus
destructrice des 12 guerres d’agression israéliennes contre la bande de
Gaza.
Gilbert montre clairement que l’impact de la guerre a été accentué
par le blocus. En effet, la population souffrait déjà, à différents
degrés, de malnutrition et/ou de problèmes de santé. Environ 3500
enfants ont été blessés, mais l’état physique et psychique de la
quasi-totalité de ces enfants était déjà déficient avant de subir ce
traumatisme. Leurs systèmes immunitaires étaient déficients, ils
souffraient d’une carence de protéines et 75% souffraient d’anémie.
À cause du blocus, la fourniture d’électricité était sporadique, même
dans les hôpitaux. Il n’y avait pas de pièces détachées pour réparer
les générateurs. Les ventilateurs de l’unité de soins intensifs
s’arrêtaient fréquemment. Lui et ses collègues palestiniens devaient
parfois opérer uniquement à la lueur de leurs écrans de téléphones
mobiles. Ils manquaient de tout, depuis les médicaments jusqu’aux
feuilles à usage unique. Il a même été obligé de faire des points de
suture à un petit garçon sans anesthésie – car il n’y avait pas assez
d’anesthésiques pour tout le monde.
Le traumatisme ne se termine pas avec la chirurgie. Comme le chef de
l’hôpital, Dr Sobhi Skaik, le dit à Gilbert, « Où vont-ils aller si nous
nous les laissons partir ? » Plus de 500 000 personnes ont été
déplacées dans le conflit et 20 000 maisons détruites.
Il y a dans le livre des photos d’une remarquable humanité et
infiniment émouvantes. Certaines montrent des personnes souffrant de
blessures inimaginables, mais d’autres montrent la force des
Palestiniens, leur dignité et leur expression de défi devant un tel
carnage. Prises par l’auteur ou avec son appareil photo, ces photos sont
infiniment plus parlantes que tous les mots. Elles sont très
impressionnantes.
Le récit lui-même devient éminemment puissant et inoubliable quand
Gilbert donne la parole aux Palestiniens. Il n’oublie jamais que c’est
leur histoire qu’il raconte et non pas la sienne, et c’est tout à son
honneur. Il rencontre beaucoup de personnes qu’il a soignées dans les
conflits précédents et il s’intéresse à ce qu’elles sont devenues
depuis. Il raconte qu’il a rendu visite à Samar à Bruxelles quelques
années, après l’avoir soignée en 2009. Elle se souvient de tout, bien
qu’elle n’ait eu que quatre ans à l’époque.
Puis il y a Amal. Sa tête la fait toujours souffrir. Elle a encore un
énorme éclat d’obus près du cerveau qu’il est impossible de retirer
sans mettre sa vie en danger. Gilbert retourne aussi voir Jumana Samouni, blessée en 2009, dont la main gauche a dû être amputée et qui, plus horrible encore, a perdu 30 membres de sa famille.
La guerre de 2014 a causé d’énormes destructions dans le secteur de
la santé avec 17 hôpitaux, 56 centres de soins primaires et de 45
ambulances endommagées ou détruits par les frappes israéliennes.
Gilbert, en plus de l’hôpital Shifa, travaille aussi dans un hôpital
pédiatrique touché par les bombardements israéliens.
Les médecins et le personnel de santé soignent les blessés à leurs
risques et périls. Dans les conflits modernes le personnel de santé est
de plus en plus pris pour cible. Selon le CICR, il y a eu plus de 2300
incidents de menaces ou d’actes de violence dans les établissements de
soins, de janvier 2012 à juillet 2014. La Syrie et la République
centrafricaine en ont été des exemples marquants mais Gaza aussi
malheureusement, et pas seulement pendant la guerre de 2014. La
Quatrième Convention de Genève semble être passée aux oubliettes.
Mads Gilbert a fait l’objet de critiques, souvent de la part des
partisans d’Israël. (Israël lui a d’ailleurs interdit à vie l’entrée à
Gaza en octobre 2014 pour des raisons de sécurité). Ils prétendent que
le Hamas avait des quartiers généraux à l’hôpital Al Shifa. À quoi le Dr
Gilbert rétorque : « Les allégations israéliennes au sujet de Shifa
sont anciennes et n’ont jamais été prouvées. Je n’ai jamais vu aucune
trace de QG ni de fusillades à Shifa ».
Il respecte la quatrième Convention de Genève et affirme qu’il
« aurait démissionné s’il avait constaté des signes ou des preuves de
violations du droit international ». Israël n’a toujours pas produit la
moindre preuve que l’hôpital Shifa ait été utilisé par le Hamas, bien
qu’il l’ait prétendu 1000 fois depuis 2009. Quoiqu’il en soit, cela ne
diminue en rien la bravoure et le dévouement du personnel de santé qui y
travaille.
« Nuits à Gaza » n’est pas le compte rendu exhaustif de la guerre de
51 jours de l’été 2014. Ce n’est pas son propos. Même si la lecture
d’autres travaux est nécessaire pour se faire une image complète,
« Nuits à Gaza » donne un aperçu très intéressant de la lutte menée par
le secteur de la santé pour réussir à soigner les blessés à Gaza.
Ce témoignage constitue aussi un rappel. En l’ajoutant à d’autres
récits et d’autres preuves, y compris ceux et celles fournis par des
soldats israéliens eux-mêmes, on peut se rendre compte de l’ampleur des
crimes dont les dirigeants d’Israël auront à répondre. Le Dr Gilbert
vient à nouveau de solidifier son inestimable travail de médecin avec
cet ouvrage simple mais accablant. Espérons qu’il n’aura pas besoin de
recommencer dans 12 mois.
C’est fort à propos qu’un Palestinien, le journaliste Mohammed Omer, a
le dernier mot, dans le livre : « Une nation capable de recycler les
vieux missiles en pots de fleurs, pour y faire fleurir des plantes,
témoigne de la constance de sa résilience et de son optimisme. »
L’ouvrage (langue anglaise) peut être commandé à : http://www.amazon.fr/Night-Gaza-Mad...
22 juin 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/in-dep...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet
http://www.middleeasteye.net/in-dep...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet
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