Dans
le contexte de profonde et saine réflexion de janvier 2015 – « Esprit
du 11 janvier, es-tu là ?... » – un constat faisait l’unanimité de nos ersatz de dirigeants, dramatiquement happés par le syndrome du singe dominant :
« C’est en prison que le islamistes se radicalisent, il faut donc les
regrouper dans des quartiers spéciaux, pour les isoler et les
surveiller ».
Le 21 janvier 2015, dans le cadre d’un plan de lutte contre le terrorisme (George W. Bush in memoriam),
notre excellent Premier sinistre a annoncé la création, d’ici la fin de
l’année 2015, de cinq quartiers dédiés au regroupement des personnes
détenues radicalisées ou perméables au prosélytisme.
Ah que tout ceci est beau et bon… Enfin, un problème résolu.
Petit
problème, au sein des connaisseurs du monde pénitentiaire, personne ne
voyait bien l’intérêt, et comment faire. Le très officiel Contrôleur Général des lieux de libertés, qui est une contrôleuse, Adeline Hazan, publie un long et documenté avis au Journal officiel d’hier, pour dire que c’est une connerie sans nom. Euh, comme Madame la Contrôleuse est courtoise, se dit « défavorable » à la chose, pour tailler en pièces ce funeste projet.
Ici, l’avis publié au Journal officiel et là, le rapport. Ca, c’est de l’info, et pas de la propagande pour batraciens.
Ça tombe dès les premières lignes, car chiffres à l’appui, Madame la Contrôleuse
démonte le mythe : « Il faut d’abord relever que la prison est loin
d’être le lieu premier de la radicalisation, qui se développe en amont.
En effet, selon le ministère de la justice, 16 % seulement des personnes
incarcérées pour des actes liés au radicalisme islamiste avaient déjà
été incarcérées auparavant ».
- Quoi, 84% des entaulés pour des folies barbues et radicales n’avaient jamais été en prison ?
- Oui, le chiffre est certain.
- Donc ils ne se sont pas radicalisés en prison ?
- Oui, c’est mathématique.
- Donc, on parle pour ne rien dire ?
-
Mais si… Au contraire c’est très important. On parle pour te faire
croire que la grande affaire, c’est le consensus des gentils contre
quelques méchants, et que tu dois oublier le reste qui n’est que
secondaire, genre l’emploi, la dette ou l’éducation en panne sèche. On
trouve même des ahuris encravatés pour parler de guerre de civilisation…
Attention, petit, choisis bien ton camp… sinon tu vas avoir chaud à la
barbe !
Madame
la Contrôleuse poursuit : « Ce regroupement, dont les modalités ne sont
pas déterminées, ne correspond a priori à aucun cadre légal précis. Les
décisions ont été prises par le Gouvernement après une longue période
d’immobilisme, et sans concertation avec les acteurs concernés ».
Le
premier problème est la qualification : « L’identification des
personnes détenues concernées par le phénomène de radicalisation doit
être précise, pluridisciplinaire, et conçue dans le respect des droits
fondamentaux, afin notamment de ne pas y inclure des personnes
présentant a priori peu de risques et qui se trouveraient regroupées
avec des personnes détenues enracinées de longue date dans une
radicalisation profonde. La question des modalités de détection est
cruciale ».
Madame
la Contrôleuse explique ce qu’elle a vu par des visites sur le terrain
rencontrant tous les acteurs, et que l’on retrouve de manière très
détaillée dans le rapport, et voici ses conclusions :
« Le
Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’est pas
favorable au dispositif de regroupement tel qu’annoncé par les pouvoirs
publics en janvier 2015. En effet, outre son caractère potentiellement
dangereux, le regroupement de personnes détenues au sein de quartiers
dédiés ne découle d’aucune disposition légale applicable, ce régime sui generis
ne s’apparentant ni à la détention ordinaire, ni à la mise à
l’isolement. La décision de regroupement, prise de façon discrétionnaire
par la direction de l’établissement, ne peut faire l’objet d’aucune des
voies de recours habituelles. Or elle peut faire grief si elle
restreint les droits fondamentaux et détériore les conditions de
détention.
L’absence
d’informations précises quant aux modalités d’encadrement et aux
conditions de détention de ces nouveaux quartiers de regroupement laisse
craindre un éventuel glissement de ce régime vers un isolement de facto
de ces personnes.
En
ce qui concerne les programmes dits de déradicalisation, qui s’appuient
sur le volontariat des personnes concernées, une évaluation sera
nécessaire. D’ores et déjà, il convient de veiller à ce que les fonds
alloués à ces programmes ne le soient pas au détriment des actions de
réinsertion en direction d’autres personnes détenues et n’obèrent pas la
prise en charge de l’ensemble de la population pénale. Enfin, une
réflexion doit être engagée par les pouvoirs publics sur la nature de la
prise en charge des jeunes de retour des zones de conflit, étant
observé que l’incarcération ne peut pas être le mode de traitement
indifférencié d’un phénomène qui touche désormais plusieurs centaines de
personnes au degré d’engagement disparate ».
Bref,
l’avertissement est assez clair : le problème est complexe, et les
solutions préconisées, sans étude ni concertation, le compliquent.
- Oki, chef. Et maintenant on fait quoi ?
- On fonce, Alphonse !
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