La polémique Valls Bianco n'est pas anodine. Elle témoigne des thèses
radicales que le premier ministre semble valider sans nuances. Et de sa
conception très personnelle du débat démocratique.
L’attaque injustifiée du premier ministre contre Jean-Louis Bianco
qui intervient dans un climat empoisonné (attentats, conflit
israélo-palestinien, antisémitisme, islamophobie), fragilise
progressivement le pacte républicain. Loin d’être un incident isolé,
cette polémique révèle, après d’autres, une évolution inquiétante de
l’idée que Manuel Valls semble se faire de sa fonction. Certes, il est
normal, sain et légitime qu’un premier ministre communique avec
pugnacité pour défendre sa politique et répondre aux critiques de
l’opposition et des médias. Comme citoyen, il a aussi le droit de
s’exprimer sur les sujets politiques et sociétaux les plus divers, et
donc, de critiquer les idées de ses compatriotes. Mais, un chef de
gouvernement doit aussi garder le sens de la mesure et ne pas tomber
dans l’outrance du polémiste. Surtout, il ne doit jamais perdre de vue
qu'il représente tous les Français. Pour galvaudée et
stéréotypée qu’elle puisse paraître, cette expression prend, en réalité,
tout son sens au regard des dérives que j’évoque. Car un chef de
gouvernement est avant tout un représentant de l’Autorité. À ce
titre, tout mélange des genres, toute confusion des rôles lui est
interdite. Car sinon, on ne sait plus qui parle. Et le représentant de
l’Autorité qui jette l’anathème sur ses contradicteurs en arrive très
vite à criminaliser, au sens légal du terme, ceux qui en réalité n’ont
fait qu’user normalement de leur liberté d’expression : le sujet
polémique se transforme soudain en question d’ordre public. L’égalité
entre citoyens est rompue.
« On ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner
le terrorisme avec des organisations que je considère comme
participant d’un climat nauséabond (…) il y a des lignes qui ont été
dépassées et je le rappellerai à chacun », a déclaré
Manuel Valls à l’encontre du président de l’Observatoire de la laïcité
ainsi que de son rapporteur Nicolas Cadène. Le crime de Jean-Louis
Bianco ? La signature d’une tribune dans Libération, le 15 novembre
dernier, appelant à l’unité des français face au terrorisme, aux côtés
du « très controversé » Collectif contre l’islamophobie en France et
d’une personne « proche du courant » des Frères musulmans. Des griefs
pour le moins flous. D’autant que parmi les 80 signataires de cet appel
figuraient des personnalités incontestables comme le président de la
Fédération protestante et le grand rabbin de France… Quant à Nicolas
Cadène, le premier ministre lui reprochait un simple tweet déplorant les
déclarations d’Elisabeth Badinter sur France Inter à propos de
l’islamophobie !
Surtout, Manuel Valls s’exprimait lors d’une conférence organisée, ce lundi 18 janvier, par Les Amis du CRIF.
Un terrain tout sauf neutre où le premier ministre n’a pourtant pas
hésité à en rajouter, en affichant son soutien indéfectible à Israël et –
plus grave – en criminalisant une simple manifestation de militants
pro-palestiniens, le 5 janvier dernier, devant l’Opéra de Paris, lors du
spectacle d’une compagnie de danse israélienne : « J'en
ai déjà parlé et j'en reparlerai avec le ministre de l'Intérieur. Les
pouvoirs publics doivent changer d'attitude vis-à-vis de ce genre de
manifestions. Ça suffit, on ne peut pas tout se permettre dans ce
pays! ». Manifester contre la politique d’un
gouvernement étranger à l’occasion d’une représentation culturelle - la
compagnie Bat Sheva est en effet une « vitrine » très officielle de
l’Etat d’Israël – fait pourtant partie des modes d’action du
militantisme le plus basique. Une manifestation qui était en
l’occurrence d’autant plus légitime qu’Israël ne se prive pas, de son
côté, de pénaliser les manifestations culturelles qui lui déplaisent. On
n’a pas entendu Manuel Valls protester contre les pressions
intolérables exercées il y a quelques jours à peine, par l’ambassade
d’Israël sur la galerie Art Curial pour faire retirer d’une vente une
photo du palestinien Marwan Barghouti. Ni contre l’expulsion et
l’interdiction du territoire prononcée en 2014 par les autorités
israéliennes contre Maximilien Leroy, auteur de plusieurs albums de
bande dessinée en faveur des Palestiniens. Un deux poids deux mesures
qui s’inscrit dans le même esprit que l’interdiction scandaleuse des
manifestations pro-palestiniennes, à Paris en juillet 2014, là où les
manifestations de soutien aux bombardements israéliens sur Gaza étaient
autorisées. Et qui s’inscrit aussi dans le droit fil des amalgames les
plus éculés que le premier ministre n’a pas hésité à reprendre à son
compte sans la moindre nuance : « Les critiques de la politique
d’Israël se sont transformées en un " antisionisme " dissimulant presque
systématiquement de l’antisémitisme ». Avec ce « presque
systématiquement », Manuel Valls pointe ainsi comme délinquants et sans
la moindre distinction les dizaines de milliers de citoyens, militants,
chercheurs et intellectuels, qui dans leur immense majorité, n’ont
jamais fait que s’engager en faveur d’une cause légitime et respectable,
celle des Palestiniens, en usant de leur liberté d’expression dans le
respect de la loi.
Les milieux les plus radicaux de la communauté juive
clament depuis des années que le « palestinisme » serait par essence un
antisémitisme. Manuel Valls valide cette thèse. De la part du chef de
gouvernement d’un pays ou vivent les communautés juives et musulmanes
les plus importantes d’Europe, une faute majeure.
mediapart.fr
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