Il est 11h10,
les deux tueurs arrivent dans deux voitures différentes. Le premier
porte sur lui plusieurs couteaux, un fusil et un pistolet
semi-automatique 9 millimètres. Le second sort de la voiture avec un
couteau de chasse, une carabine et un fusil à pompe de calibre 12. A
11h19, les deux tireurs ouvrent le feu dans la cafétéria et tirent
indistinctement sur les jeunes qui s’y
trouvent attablés. En moins de 20 minutes, ils tuent 13 personnes et en
blessent 24 autres. Les policiers arrivent rapidement sur les lieux et
lancent l’assaut. Après quelques échanges de tirs avec les forces de
l’ordre, les deux assaillants se suicident d’une balle dans la tête pour
l’un et d’une balle dans la bouche pour l’autre.
Paris, 13 novembre 2015 ?
Non. Paris, 7 janvier 2015 ? Non, Colombine, 20 avril 1999. Les tireurs
ne sont pas des islamistes radicaux mais des lycéens blancs
Nord-Américains âgés de 17 et 18 ans. Les mêmes causes produisant les
mêmes effets, la pulsion de mort de ces jeunes désaxés n’est
pas un problème religieux et encore moins un problème ethnique mais
bien une pathologie sociale qui ne fait que croître depuis ces 15
dernières années. Les fusillades dans les lycées aux Etats-Unis, le
massacre d’Utoya en Norvège en 2011, la tuerie de Mohammed Merah en
France en 2012. C’est à chaque fois le même mode opératoire et les mêmes
pauvres têtes perdues et mystifiées… que ces actes soient fait au nom
de la religion, de la politique ou sans but apparent. Le coupable n’est
pas le choc des civilisations mais la vacuité d’un monde où le
capitalisme de crise, le fétichisme de la marchandise et le narcissisme
high-tech ont fait du sujet moderne un être à la dérive qui met en scène
un suicide d’ordre spectaculaire relayé par les médias et les réseaux
sociaux. La célébrité instantanée par ce que l’humanité peut produire de
pire, la télé réalité nous y avait habitué, mais lorsque l’on passe du
virtuel au réel, on comprend bien de quoi sont capables ces temps
crépusculaires.
Le système totalitaire marchand
veut nous effrayer en nous faisant croire qu’il sera notre seul rempart
contre la barbarie qu’il a lui-même produite. Mais celui qui provoque
le mal ne peut guère prétendre le soigner. Les assassins de janvier et
de novembre 2015 sont bien les enfants de cette république illusoire qui
n’est rien d’autre que le totalitarisme marchand hexagonal. L’ampleur
du traumatisme populaire est compréhensible. Les desseins qu’il sert
sont moins honorables : le silence de la pensée et l’ordre sécuritaire.
Les concerts, les matchs de foot, les bistros n’ont pas fermé leur porte
avec l’état d’urgence permanent, en revanche il est désormais interdit
de manifester. On le sait déjà depuis longtemps, la seule vertu des lois
antiterroristes est bien de faire taire toute forme de contestation
intérieure et tout cela avec le consentement populaire. Il faut que le
peuple désire toujours un peu plus sa condition servile. « L’ordre
sécuritaire plutôt que la guerre », proclament les braves gens. Et bien
vous aurez l’ordre sécuritaire et vous aurez la guerre.
Chaque camp
dans le présent système de domination y va de sa pauvre et stérile
interprétation des attentats. Ainsi toutes les gauches illusionnistes
drapées d’humanisme affirment que la France paye le prix de ses guerres
impérialistes dans le monde musulman. La droite réactionnaire et
l’extrême-droite xénophobe déclarent que l’islam est incompatible avec
la république, quand ce n’est pas tout simplement l’étranger qu’il faut
exclure du territoire national. Tous ces « sauvages », tous ces «
barbares » qui viendraient troubler l’ordre républicain. Le barbare est
d’abord celui qui croit en la barbarie. Toutes les volontés d’exclusion
ne résoudront rien à la misère sociale, morale, intellectuelle et
culturelle que produit le totalitarisme marchand.
Dans ces temps obscurs,
il est plus efficace de bombarder l’opinion publique avec un message
simple plutôt que de construire un discours qui cherche les causes
profondes et ne se contente pas de l’écume du temps. La tyrannie de la
pensée marchande est en marche, et sous prétexte de ne pas justifier
l’inacceptable, on se refuse à tenter de le comprendre. Les pires
époques de l’histoire ont toujours ethnicisé les problèmes sociaux. Le
procédé n’est pas nouveau mais il semble malheureusement promis à un bel
avenir. Ainsi, lorsque le gouvernement, les médias officiels, les
conspirationnistes sur internet, les nouveaux réactionnaires dans les
journaux et l’extrême-droite dans les urnes vont tous dans la même
direction, on peut désormais s’attendre au pire. Mais le plus alarmant
demeure le silence des révolutionnaires. Si nous sommes inaudibles
depuis déjà plusieurs années, ce n’est pas seulement à cause de la
malfaisance des dirigeants ou de la tyrannie médiatique. Nous devrons
répondre devant l’histoire de notre incapacité à opposer une résistance
solide à ce flot de haine irrationnelle.
C’est donc à nous de trouver
les moyens de faire entendre une autre musique, celle du combat pour
l’émancipation humaine, pour l’élévation de la conscience et pour la
construction d’un monde de justice, de liberté et de fraternité. Nous
n’avons jamais eu d’autres alliés que notre unité et notre créativité.
Œuvrer à cette unité était jusqu’à présent nécessaire, désormais, la
situation actuelle nous y oblige.
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