"Nous qui nous trouvons dans la zone de confort occidentale, ne devons
pas battre en retraite ou céder aux fausses accusations
d’antisémitisme".
C’est la mise en garde d’Ilan Pappé, historien
israélien qui s’est exilé en Angleterre, et qui y assiste aux pressions
exercées par le lobby israélien, notamment sur les dirigeants du Parti
Travailliste, soumis à un chantage à l’antisémitisme, que nous
connaissons bien en France, afin qu’ils renoncent à soutenir la
Palestine.
Le Boycott met le doigt là où ça fait mal
"Il arrive un moment dans le combat d’un mouvement où le succès est à
la fois gratifiant et très dangereux. En Afrique du Sud, le régime
d’apartheid poursuivait ses politiques les plus cruelles et meurtrières
peu de temps avant sa chute. Si vous ne menacez pas spécifiquement un
régime ou un État injuste et ses partisans, ceux-ci vous ignorent et ne
ressentent pas le besoin de vous affronter ; si vous mettez le doigt sur
le problème, cela entraîne une réaction.
C’est ce qu’il s’est passé avec le mouvement Boycott,
désinvestissement et sanctions (BDS). Ce mouvement est le prolongement
logique de l’excellent travail préalablement réalisé par l’ensemble des
groupes et comités de solidarité avec la Palestine. Il fait preuve d’un
soutien ferme et indéfectible envers le peuple palestinien grâce à des
relations directes avec d’authentiques représentants des communautés
palestiniennes en Palestine et à l’étranger. Jusqu’à récemment, Israël
considérait qu’il s’agissait d’un développement marginal et inefficace ;
certains partisans de la Palestine eux-mêmes s’opposaient au BDS pour
la même raison : son inefficacité.
Mais il semble toutefois que le mouvement ait dépassé les attentes de
ses propres fondateurs en ce qui concerne son efficacité. Cela n’a rien
de surprenant : il reflète un renouveau général de la politique, comme
en témoignent les jeunes électeurs qui ont voté pour Jeremy Corbyn au
Royaume-Uni et pour Bernie Sanders aux États-Unis. Cette recherche d’une
politique plus saine et plus éthique qui ose remettre en cause la
configuration néolibérale de l’économie et de la politique occidentales a
paradoxalement poussé ces jeunes gens à soutenir deux vieux messieurs
qui représentent une forme pure de la politique.
Cette politique plus pure entraîne dans son sillage un solide soutien
au peuple palestinien. Aujourd’hui, la seule façon d’exprimer son
soutien aux Palestiniens en dehors de la Palestine est le BDS. Au
Royaume-Uni, cette logique est comprise par ceux qui ont voté pour
Jeremy Corbyn et par ceux qui s’engagent par ailleurs pour des causes
telles que la justice sociale, les stratégies écologiques et les droits
de l’homme et des autochtones.
Certains membres des élites politiques et de la classe dirigeante
occupant des fonctions très élevées expriment un soutien clair et
décomplexé envers la Palestine. À quel moment le chef de l’opposition
britannique et le candidat présidentiel américain ont-ils manifesté un
tel soutien ? Même si le soutien du second est plutôt chétif et timide,
dans la sphère politique américaine, un candidat qui se permet de ne pas
assister à la conférence de l’AIPAC sans provoquer de cataclysme
constitue une révolution.
Une violente attaque contre Jeremy Cobyrn
Voici la toile de fond de l’attaque violente que subissent actuellement le Parti travailliste britannique et Jeremy Corbyn. Tout ce que les sionistes britanniques désignent comme une expression d’antisémitisme, c’est-à-dire, la plupart du temps, des critiques légitimes à l’encontre d’Israël, a déjà été dit au cours des cinquante dernières années. Le lobby sioniste britannique, supervisé directement par Israël, y a recours car la position clairement antisioniste du BDS a atteint les échelons supérieurs. Les sionistes sont véritablement terrifiés par ce développement. Félicitations au mouvement BDS !
Il faut admettre que la réaction est forte et brutale. Toutefois, le
fait de capituler en suspendant des membres de partis, en congédiant des
représentants étudiants et en s’excusant inutilement pour des crimes
qui n’ont pas été commis n’est pas la bonne méthode pour y faire face.
Nous menons un combat pour que la Palestine et Israël soient libres et
démocratiques : la peur de l’intimidation sioniste n’est pas la marche à
suivre. Les jours à venir seront très éprouvants et nous devrons non
seulement être patients mais aussi retourner à la tribune, sur les sites
web, à la radio et à la télévision pour expliquer de nouveau ce qui est
évident pour bon nombre d’entre nous : le sionisme n’est pas le
judaïsme et l’antisionisme n’est pas synonyme d’antisémitisme.
Le sionisme n’a pas été le remède au pire épisode antisémite qu’a
vécu l’Europe : l’Holocauste. Le sionisme n’a pas été la bonne réponse à
cette atrocité. En réalité, lorsque les dirigeants européens ont
apporté leur soutien au sionisme sans l’ombre d’une hésitation, leurs
motivations étaient bien souvent antisémites. Comment expliquer
autrement que l’Europe n’ait rien fait alors que le régime nazi
exterminait les juifs et qu’elle ait demandé pardon en soutenant un
nouveau plan visant à se débarrasser des juifs en les envoyant coloniser
la Palestine ? Rien de surprenant à ce que cette logique absurde n’ait
pas mis un terme à cet élan antisémite. Elle l’a plutôt entretenu.
Mais cette histoire appartient au passé. Les colons juifs et les
Palestiniens indigènes partagent un territoire et continueront de le
faire à l’avenir. La meilleure façon de lutter contre l’antisémitisme
aujourd’hui consiste à faire de ce territoire un État libre et
démocratique reposant autant que possible sur des principes économiques,
sociaux et politiques justes et équitables. Il s’agira d’une
transformation complexe et douloureuse de la réalité sur le terrain dont
la mise en œuvre prendra peut-être des décennies. Mais il est urgent de
commencer à l’évoquer clairement, sans peur, sans apologétique inutile
ni fausse référence à la realpolitik.
Jeremy Corbyrn trouvera peut-être difficile de sensibiliser son parti
à la nécessité d’adopter un discours honnête et éthique sur la
Palestine. Il a déjà tant fait pour cette cause que nous devons être
patients, même si certaines de ses réactions et celles de son parti sont
décevantes (malgré le fait qu’il soit de toute façon évident que les
récentes disputes au sein du Parti travailliste pour des questions
d’antisémitisme résultent principalement d’une tentative des blairistes
du parti, qui ont toujours été à la botte des sionistes, pour
discréditer Jeremy Corbyn au même titre qu’Israël les utilise dans un
effort désespéré pour mettre un terme au basculement massif de l’opinion
publique britannique en sa défaveur).
Ces pressions et attaques ne sont rien en comparaison de ce qu’affrontent les Palestiniens
Mais là n’est pas le problème. Ce que l’avenir nous réserve est bien
plus important que la scène politique nationale britannique. Ce qui
importe vraiment, c’est de reconnaître qu’une nouvelle étape a été
franchie en Grande-Bretagne comme aux États-Unis dans la lutte pour la
paix, la justice et la réconciliation en Palestine. Ce combat ne
remplace pas celui qui a lieu sur le terrain, mais il le valorise et lui
donne plus de poids.
En réalité, nous nous trouvons face à un ensemble de combats
inévitables : contre les législateurs qui sont intimidés ou soudoyés par
Israël ; contre les juges et les policiers qui sont contraints de
respecter de nouvelles lois injustes et ridicules qui condamneront le
BDS pour antisémitisme (et nous savons déjà que bon nombre d’entre eux
trouvent ces directives ridicules) ; contre les directions des
universités qui s’inclineront face à l’intimidation et à la pression ;
et contre les journaux et les sociétés audiovisuelles qui enfreindront
leur code d’éthique et trahiront leurs engagements professionnels face à
la nouvelle contre-attaque.
La lutte sur le terrain en Palestine est bien plus difficile,
bien plus dangereuse et requiert de lourds sacrifices que l’on ne nous
demande pas d’endurer en Occident. La moindre des choses est de ne pas
être nous-mêmes intimidés par des accusations absurdes et d’être assurés
que de nos jours, la lutte contre l’islamophobie, contre les dangers du
néolibéralisme, pour les droits des peuples autochtones du monde entier
et pour la Palestine constituent un seul et même combat.
Défendre les Palestiniens, c’est une question centrale
Cette campagne ne concerne pas uniquement les musulmans britanniques,
les exilés palestiniens en Europe, les vieux gauchistes américains et
les antisionistes en Israël. Elle fait partie d’un mouvement bien plus
vaste qui a amené de nouveaux partis au pouvoir en Grèce, en Espagne et
au Portugal, de nouvelles valeurs au sein du Parti travailliste et des
opinions différentes au sein du Parti démocrate aux États-Unis.
Nous ne devons pas nous inquiéter des nouveaux projets de loi, des
nouvelles directives de la police ou de l’hystérie médiatique. Même
l’attitude lâche du Parti travailliste avec son épuration de conseillers
ne doit pas nous détourner des accomplissements dans la lutte pour
conquérir l’opinion et le cœur du public en faveur de la Palestine.
La perspective revêt aujourd’hui une importance capitale. Si Israël
pense qu’il peut impunément désigner Mark Regev, le visage public de sa
politique criminelle à Gaza, comme ambassadeur à Londres et que
l’ambassadeur israélien à Washington peut décider de combattre le BDS en
envoyant des produits provenant de Cisjordanie occupée à tous les
délégués et les sénateurs du Congrès, enfreignant ainsi purement et
simplement la législation américaine, cela ne signifie pas qu’Israël est
invincible, mais plutôt qu’il constitue un système politique idiot
incapable d’appréhender le cours de l’histoire.
Organiser la riposte
Comme toutes les phobies, la palestinophobie peut intimider
et paralyser, mais elle peut aussi être mise en échec, particulièrement
au cours de la période exceptionnelle dans laquelle nous vivons.
Nous
qui nous trouvons dans la zone de confort occidentale ne devons pas
battre en retraite ou céder aux fausses accusations d’antisémitisme des
anglo-sionistes, des hommes politiques lâches et des journalistes
cyniques. Il est temps de riposter au tribunal, sur les places, au
Parlement et dans les médias.
Ilan Pappé est professeur d’histoire, directeur du Centre européen
pour les études palestiniennes et co-directeur du Centre d’études
ethno-politiques à l’Université d’Exeter (Angleterre)
CAPJPO-EuroPalestine
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