mercredi 11 mai 2016

Israël, le pays où massacrer délibérément plus de cent civils peut faire de vous un Ministre de l’Éducation

Les tombes des victimes du massacre de Qana, juste à l'extérieur de la base des Nations-Unies bombardée par IsraëlMiko Peled

Naftali Bennet, le Ministre israélien de l’éducation, fut le premier personnage officiel israélien à exprimer publiquement son soutien à Elor Azarya, le soldat qui a exécuté Abdel Fatah Alsharif alors que celui-ci gisait, gravement blessé, à Hébron.

Bennet s’était montré critique vis-à-vis du gouvernement auquel il appartient, auquel il reprochait de ne pas soutenir assez clairement le soldat. J’ai écouté l’interview que Bennet avait donné à la télévision, dans laquelle il affirmait que le gouvernement et la presse avaient jugé durement et précipitamment le soldat. Ensuite, il a ajouté une chose que je n’aurais jamais cru entendre.
«Peut-être le soldat a-t-il commis une erreur, vous savez moi aussi j’ai fait une erreur. Durant “Raisins de la colère”, l’opération “Raisins de la colère”, je me suis apparemment trompé et une chose très difficile s’est produite».
Une chose très difficile s’est produite” : le choix des mots et le moment où ils sont prononcés sont intéressants. Il y a exactement 20 ans que s’est produit le massacre de Qana, un village du sud du Liban, un massacre dont Bennet était responsable. À l’époque, il avait expliqué à qui voulait l’entendre que “dans mon cas, j’ai reçu le plein appui du général commandant et du chef d’état-major de l’armée”.
En fait, il avait été soutenu par l’ensemble de la chaîne de commandement, remontant jusqu’au Premier Ministre (et lauréat du Nobel de la Paix) Shimon Peres. Bennet parlait du bombardement par les forces israéliennes du camp de l’ONU dans le village de Qana, dans le sud du Liban. Cela eut lieu le 18 avril 1996, alors que des centaines de civils libanais de la région cherchaient un abri dans le complexe. Parmi les 800 civils qui avaient trouvé refuge dans le camp, on a dénombré 106 morts et 116 blessés.
Cette attaque se situait dans le contexte des combats entre l’armée israélienne et le Hezbollah durant l’opération “Raisins de la Colère”. Des preuves existent qu’un drone israélien espionnait le complexe de l’ONU avant le bombardement, ce qui rendait pour le moins peu vraisemblable l’argument selon lequel il s’était agi d’une erreur. Clairement, tous les niveaux du commandement de l’armée israélienne (IDF) savait que le camp se trouvait là et qu’il servait d’abri à des réfugiés fuyant les combats. L’immeuble était clairement identifié comme un complexe des Nations-Unies, et il figurait même sur les cartes israéliennes.
Bennet, qui était à l’époque commandant d’une unité de reconnaissance de l’armée israélienne, avait demandé un bombardement d’artillerie massif sur le site. La BBC avait décrit le massacre comme “l’un des événements les plus meurtriers de tout le conflit israélo-arabe”. Robert Fisk, qui effectuait un reportage sur le site, écrivit : “Jamais depuis Sabra et Chatila je n’avais vu un tel massacre d’innocents”.
Les descriptions de Fisk de ce qu’il avait vu ne sont pas destinées à ceux qui ont le cœur fragile, mais il vaut la peine de les relire et de s’en souvenir. Combien de fois avons nous entendu la phrase “Plus jamais ça” ? Pourtant, Israël commet un massacre odieux après l’autre et s’en sort, généralement avec l’absolution des États-Unis.
Dans ce cas, le principal coupable est connu. Il admet sa responsabilité et non seulement il est resté impuni, il n’éprouve aucun repentir, mais il est aujourd’hui Ministre de l’Éducation. Quelle ironie.
Reprenons les descriptions de Fisk : «Les réfugiés libanais, les femmes, les enfants et les hommes gisent les uns sur les autres, leurs mains, leurs bras ou leurs jambes manquent, ils sont décapités ou éventrés. Il y en a plus d’une centaine. […] Les obus israéliens les avaient fauchés alors qu’ils se trouvaient dans l’abri des Nations-Unies, s’y croyant en sécurité, sous la protection du monde. Comme les musulmans de Srebrenica, les musulmans de Qana avaient tort.»
Et Fisk de poursuivre : «Aujourd’hui, les Israéliens sont à nouveau éclaboussés par le bain de sang de Qana, la petite ville délabrée dans les collines du Liban, où les Libanais croient que Jésus transforma l’eau en vin.»
On a souvent cité Naftali Bennet pour avoir déclaré qu’il avait tué beaucoup d’Arabes dans sa vie et n’en éprouver aucun remord, et à son avis “un soldat sur le champ de bataille ne peut pas commettre un meurtre”. Dans un discours à la Knesset, Bennet a affirmé qu’il avait tué beaucoup de terroristes pendant son service militaire et qu’il aurait bien voulu en tuer davantage. Bennet n’a jamais vu un Arabe qu’il ne considère pas comme un terroriste, et par conséquent comme une cible légitime.
Les Arabes tuent des Juifs tous les jours”, a-t-il dit pour défendre l’exécution de Hébron. Un élément d’information important qui est complètement ignoré, c’est qu’un autre soldat a tiré en premier lieu sur Abdel Fatah, alors que celui-ci était sans arme et qu’il levait les mains, et que ce n’est qu’ensuite que Elor Azarya l’a exécuté. Bennet appelle cette scène “un champ de bataille” et les coups de feu sont selon lui parfaitement légitimes puisque “les vicieux terroristes palestiniens viennent chaque jour pour tuer des Juifs”.
Le résultat de la demande de Bennet pour un bombardement à Qana, selon Fisk, fut “un torrent de sang de tous les réfugiés qui s’écoula littéralement hors du complexe des Nations-Unis fracassé par les obus […] dans lequel les musulmans chiites des villages des montagnes du sud du Liban –  qui avaient obéi aux ordres d’Israël de quitter leurs maisons – avaient pathétiquement cru trouver un abri”.
Aussitôt que la nouvelle du bombardement se répandit, les familles des victimes affluèrent de tout le Liban, à la recherche de leurs proches. Leur chagrin et leur colère étaient terribles : “soudain, nous n’étions plus les troupes des Nations-Unies ou des journalistes, mais des Occidentaux, des alliés d’Israël”, écrit Fisk. Et il poursuit : “un homme barbu et aux yeux féroces nous dévisageait, le visage déformé par la fureur : ‘je voudrais être transformé en une bombe et me faire exploser au milieu des Israéliens’, criait-il”.
L’histoire du massacre de Qana fut évoquée lors des élections israéliennes de 2015, car Bennet était le dirigeant d’un des partis en compétition. D’aucuns affirmèrent que cet “incident” démontrait la “pauvreté de son jugement”. 

Aujourd’hui, 20 ans et d’innombrables massacres plus tard, un homme qui est, de notoriété publique, responsable d’une horrible tuerie de nombreux civils innocents, est chargé de l’éducation des enfants israéliens, et il défend l’exécution d’un jeune Palestinien. Et pourtant, celui que tout le monde [en Israël] désigne comme un terroriste, c’est celui qui n’a commis aucun acte de violence : le jeune Abdel Fatah Alsharif (qu’il repose en paix).

Cet article est paru le 7 avril sur le site “American Herald Tribune” sous le titre “20 years since the Qana massacre and Naftali Benet is Education Minister”.

Traduction : Luc Delval

Miko_peledMiko Peled est un écrivain et militant israélien vivant aux États-Unis. Il est né et a grandi à Jérusalem. Son père était le général Matti Peled. Conduit par une tragédie personnelle et familiale à explorer la Palestine, son peuple et leur histoire, il a écrit un livre à propos de son parcours allant de la sphère protégée des Israéliens privilégiés à celle des Palestiniens opprimés. Ce livre, intitulé “The General’s Son, Journey of an Israeli in Palestine” (Le fil du général, voyage d’un Israélien en Palestine), n’a à notre connaissance pas été édité en français. Miko Peled, qui prend fréquemment la parole un peu partout dans le monde, défend l’idée d’un État binational démocratique de Palestine, et il soutient fermement la campagne “Boycott, Désinvestissement, Sanctions” (BDS)

Photo : Cazz - Les tombes des victimes du massacre de Qana, juste à l’extérieur de la base des Nations-Unies bombardée par Israël le 18 avril 1996-





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