Pourquoi le milliardaire franco-israélien, Patrick
Drahi, qui possède notamment l’opérateur de téléphonie mobile SFR, le
réseau Numericable et la chaîne de télévision israélienne à vocation
internationale I24 News a-t-il aussi pris le contrôle, en 2014 et 2015
du quotidien Libération, puis de l’Express avant d’étendre son empire
médiatique à BFM-TV et RMC ? Ceux qui se posent encore cette question
ont, depuis dimanche soir, des éléments de réponse éloquents. Et
inquiétants.
Depuis les studios de I24 News à Jaffa a
été diffusée, relayée par BFM-TV une interview de Manuel Valls, en
visite en Israël, au cours de laquelle le premier ministre a répondu aux
questions de quatre journalises des médias Drahi : Apolline de
Malherbe, de BFM-TV, Paul Amar, de I24 News, Christophe Barbier, de
l’Express et Laurent Joffrin de Libération. « Quatre médias, a indiqué Paul Amar à son invité, qui vous offrent une forte visibilité et une vraie diversité éditoriale ». Pour la « forte visibilité », l’affirmation se discute. Pour la « vraie diversité », le débat, en revanche, est clos.
Il
s’agissait de célébrer l’amitié que porte Manuel Valls à Israël, de
défendre, en gros et en détail, la politique du gouvernement Netanyahou,
et de laisser le premier ministre français défendre la sienne. Sans
l’encombrer de questions gênantes. Et sans faire l’économie, à plusieurs
reprises, à propos d’Israël, de son armée, de sa police d’un discours
lourdement propagandiste.
Dès les premières phrases de Paul Amar, les choses étaient claires. « Pour observer au quotidien le peuple israélien,
a confié l’ancien journaliste de France 2 à Manuel Valls, qui venait de
rappeler le lien indéfectible qui unissait la France à Israël, je
peux vous dire qu’il éprouve un sentiment très fort d’injustice, il se
sent très seul. C’est la seule démocratie dans cette région mais c’est
le seul pays à subir autant de critiques contrairement aux autres pays
alentour ».
Une voix, parmi les trois autres journalistes qui
participaient à cette interview a-t-elle émis une réserve, fait observer
par exemple, que cette démocratie n’était pas exactement la même selon
que les citoyens étaient juifs ou arabes ? Non.
Une
voix a-t-elle rappelé que cette démocratie occupait et colonisait depuis
près d’un demi-siècle la terre d’un autre peuple en lui déniant le
droit de choisir son destin et de disposer de son Etat ? Non. Une voix
a-t-elle conseillé à Paul Amar d’être plus respectueux de la vérité,
c’est-à-dire plus attentif aux articles, aux reportages, aux analyses,
aux éditoriaux consacrés par la presse mondiale à analyser et dénoncer
ce qui se passe dans les pays voisins d’Israël à commencer par la Syrie,
l’Irak, l’Egypte, l’Iran, l’Arabie saoudite ? Non. Ni le premier
ministre français, ni les journalistes partenaires de I24News n’ont
élevé la moindre remarque. Ce qui était une manière de souscrire à
l’affirmation, entendue cent fois, mais mensongère, de Paul Amar.
Entamée
dans ce climat de respect des faits, de la vérité, des téléspectateurs
et des principes du journalisme, l’interview s’est poursuivie dans la
même veine pendant près d’une heure. Si convenue et convenable, si peu
dérangeante, qu’à certains moments on pouvait se croire devant un clip
de communication électorale.
Il serait fastidieux de
passer en revue le déferlement d’approximations, de contre- vérités, de
fanfaronnades sécuritaires et de froncements de sourcils alarmistes puis
de propos de comptoir politiciens auxquels ont été soumis les
téléspectateurs qui ont suivi cette interview. Il faut cependant
s’arrêter sur quelques moments, particulièrement démonstratifs, ce
soir-là, de la « diversité éditoriale » et de la rigueur des médias de
citizen Drahi.
Comme on pouvait s’y attendre, Paul Amar a
interrogé Manuel Valls sur la récente résolution de l’Unesco sur
Jérusalem-est, votée par Paris, que le gouvernement israélien et ses
partisans, notamment en France, ont tenté de présenter comme une
négation du lien entre le peuple juif et le mont du Temple. Intox qui ne
résiste pas à une lecture du document (lire ici mon article). Comme il l’avait déjà fait à Paris, Manuel Valls a répété : « La France regrette son vote. C’était une erreur ».
Une voix lui a-t-elle demandé quels mots, précisément, de cette
résolution, constituaient une erreur ? Non. Pourquoi Paris, qui
disposait du texte deux semaines avant le vote, avait attendu la
réaction d’Israël, relayée par divers représentants de la communauté
juive pour constater cette « erreur » ? Non. A-t-on fait observer que
cette intox était opportunément utilisée par le gouvernement Netanyahou
pour discréditer l’initiative diplomatique française, qu’Israël
rejette et que Manuel Valls était venu défendre ? Non.
Une
voix a-t-elle demandé au premier ministre français ce qu’il pensait de
l’entrée au gouvernement d’un pays ami, au poste redoutable de ministre
de la Défense, d’un populiste raciste qui rêvait autrefois de bombarder
le barrage d’Assouan et qui propose aujourd’hui d’appliquer la peine de
morts aux terroristes palestiniens, mais d’en dispenser les terroristes
juifs ? Non. Le premier ministre aurait pu répondre qu’il n’avait pas
l’habitude de commenter la politique intérieure des pays qui le
reçoivent, mais les téléspectateurs auraient peut-être découvert, dans
la question, un visage différent de la démocratie israélienne.
Lorsque,
au cours de cette interview, Manuel Valls a accusé, pour la deuxième
fois en quelques jours, Clémentine Autain d’appartenir à une frange
« islamo-gauchiste » et d’avoir eu des « discussions étranges » avec Tariq Ramadan, une voix lui a-t-elle fait observer que l’intéressée avait déclaré n’avoir « jamais rencontré Tariq Ramadan, ni partagé une tribune avec lui » et avait menacé de porter plainte contre le premier ministre pour diffamation s’il ne présentait pas ses excuses ? Non.
Quel
enseignement nous livre la synergie de complaisances, de silences
complices, de grossiers mensonges et de tranquille cynisme à laquelle
viennent de participer, avec le premier ministre et son conseiller en
communication quatre journalistes des médias contrôlés par Patrick
Drahi ? Elle confirme que l’homme d’affaires boulimique d’acquisitions
ne se contente pas d’étendre à travers une cascade de holdings et de
participations diverses son empire des télécommunications vers les
médias, d’en rationaliser l’organisation autour de SFR et d’acquérir des
équipes de journalistes chargés de nourrir ses multiples canaux. Et
elle indique clairement qu’il est aussi en train d’assembler une
machine de guerre politico-médiatique internationale destinée à propager
et défendre en Israël, comme en France, et peut-être bientôt ailleurs,
ses engagements politiques et ses intérêts, mais aussi ceux de ses amis
et partenaires.
L’exercice auquel nous avons assisté dimanche soir – et
qui n’est sans doute qu’un début – montre qu’au moins pour l’instant,
sa conception très personnelle de l’information rencontre peu de
résistance dans les médias qu’il vient de conquérir.
Source : Médiapart
Union Juive Française pour la Paix
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