dimanche 22 mai 2016

Les Européens s’écharpent sur le glyphosate

Manon Flausch          

Le groupe d’experts et de représentants des 28 a de nouveau reporté sa décision sur l’autorisation du glyphosate. Probablement cancérigène, le désherbant est un perturbateur endocrinien pour la France.

Après avoir déjà été reportée au mois de mars, la décision de la Commission européenne sur le glyphosate a encore été retardée. Les négociations au sein du comité technique, constitué de spécialistes et de représentants des États membres, avaient recommencé le 18 mai.
« C’est la deuxième fois que la Commission ne parvient pas à réunir le soutien nécessaire des gouvernements de l’UE pour réapprouver le glyphosate », souligne dans un communiqué Franziska Achterberg, de Greenpeace. « Ce n’est pas étonnant, étant donné que la Commission continue à fermer les yeux sur les inquiétudes des scientifiques indépendants, des eurodéputés et des citoyens européens. Il est temps que la Commission change de stratégie ! »
L’exécutif proposait un renouvellement de neuf ans, au lieu des 15 initialement prévus. En avril, les eurodéputés avaient demandé à ce que la proposition ne s’étende que sur sept ans, et uniquement à des fins professionnelles.
Une erreur, selon Franziska Achterberg, directrice des politiques alimentaires de Greenpeace. « C’est un peu énervant que le seul débat se fasse autour de la durée du renouvellement de l’autorisation », estime-t-elle, ajoutant qu’il est « irresponsable d’ignorer les avertissements sur le glyphosate » et de prolonger la licence « sans restriction pour protéger le public et l’environnement ».
« Ce deuxième report de vote montre bien que les États membres sont sensibles à la mobilisation des citoyens et des écologistes et que la réautorisation du glyphosate ne va vraiment pas de soi puisqu’il n’a pas été possible de dégager une majorité qualifiée », estime quant à elle l’eurodéputée Michèle Rivasi (Verts/ALE), plutôt optimiste.
« Permettre que nos champs, nos rues et nos parcs soient inondés de ce pesticide dangereux serait à la fois dangereux et inutile. Le renouvellement du glyphosate ne rassemble clairement pas assez de soutien politique, il est temps de l’interdire et de sortir les agriculteurs de l’engrenage chimique », assure Adrian Bebb, des Amis de la Terre Europe.
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À quelques heures de la fin de la réunion, la Commission européenne avait pourtant encouragé le groupe d’expert à se prononcer sur la question polémique du renouvellement d’autorisation du glyphosate, mais les États sont encore divisés. Certains soutiennent la proposition de renouveler l’autorisation d’utilisation de l’exécutif, alors que d’autres freinent des quatre fers.

La polémique

L’opposition au renouvellement s’est intensifiée ces derniers mois, en raison de l’impact probable du pesticide sur l’environnement et la santé humaine, et de sérieux doutes planant sur les méthodes d’évaluation des risques de l’UE.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a en effet déclaré « improbable » le risque cancérigène de la substance, alors même que  le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classée comme « probablement cancérigène ». Les détracteurs de l’Efsa critiquent également le manque de transparence de l’étude de l’agence européenne.
Monsanto, dont le produit phare contient du glyphosate, rejette ces accusations. Philip Miller, vice-président aux affaires législatives et gouvernementales pour la multinationale, a assuré que « l’évaluation des risques de l’Union européenne a été l’une des plus rigoureuses jamais menée […] avec plus de 90 000 pages de données et 353 études prises en compte ».
C’est cependant l’origine de ces masses de données qui font l’objet de critiques.
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Michèle Rivasi n’hésite d’ailleurs pas à qualifier la proposition de l’exécutif de mesure « scandaleuse » qui « piétinait sans scrupule le principe de précaution ».

Perturbateur endocrinien

Outre le problème de la nature potentiellement cancérigène du glyphosate, se pose en effet une autre question : la substance est-elle un perturbateur endocrinien ? Le 18 mai, la ministre française de la Santé, Marisol Touraine, a rappelé que la France considérait le glyphosate comme un perturbateur endocrinien.  Un constat qui ne date pas d’hier, puisqu’il est testé depuis des années, comme l’indique un document de l’ANSES de 2011.
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« Le président de la République a dit très clairement lors de la dernière conférence environnementale que le glyphosate ne serait pas autorisé en France », a rappelé la ministre de la Santé, « car indépendamment des débats sur le caractère cancérigène ou non du glyphosate, nous considérons, et les études nous nous disposons le montrent aussi, que c’est un perturbateur endocrinien. »
Une position également défendue par Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, qui s’est déclarée satisfaite de l’issue de la réunion du groupe d’experts. Elle assure qu’en cas de vote, certains pays, comme l’Allemagne, l’Italie, la Suède, l’Autriche et le Portugal, ont fait savoir qu’ils s’abstiendraient de voter ou voteraient contre. La Commission  ne parviendrait donc pas à récolter une majorité suffisante pour l’adoption de sa proposition.
« Tromperie aggravée »

Quelques heures avant le non-verdict du groupe d’expert, l’association Générations futures a déposé une plainte pour tromperie aggravée auprès du bureau du procureur à Paris. « Nous considérons que de nombreux moyens ont été mis en œuvre par l’agence allemande BfR chargée de l’évaluation du glyphosate, l’agence européenne EFSA et les fabricants pour sous-évaluer les dangers réels posés par le glyphosate », a indiqué l’association.
Génération futures a en outre réalisé un sondage IFOP selon lequel 70 % des Français sont opposés au renouvellement d’utilisation, et seulement 23 % y sont favorables.
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euractiv.fr
 

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